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partage cérébral
3 juillet 2008

Quel est ton futur?

120. Quel est ton futur ?

L’homme, être vivant, ne montre pas d’usure dans sa motivation instinctive : les vieux et les vielles idées finissent leur temps et disparaissent et sont remplacés par les générations nouvelles, qui se sentent très différentes des anciennes dont elles honorent certaines en faisant, avec cœur, table rase, et en oublient bien vite d’autres. Mais sur le fond, l’action humaine actuelle, si elle est beaucoup plus spectaculaire, est-elle si différente de celle des homo-sapiens du Paléolithique ? Que faisons-nous de nos fonctions primordiales d’êtres vivants ? La nourriture, la reproduction, la défense de l’espace de vie, bref, la croissance individuelle et collective ? Nous les avons sophistiquées, intellectualisées, technicisées, démultipliées, c’est certain. Ce faisant nous n’avons pourtant pas il me semble, trouvé à apaiser l’inquiétude métaphysique primordiale,  à la limite de la conscience, formulée et reformulée à toutes les époques : quel est mon futur ?

121. Mon futur proche ? Il est présent.

Mon futur proche, pas de problème : j’ai de quoi m’occuper largement et les journées n’ont que 24 heures pour conquérir mon bonheur ou  celui des autres, et parfois en jouir.  Ma vérité en quelques sortes. Mais l’autre futur, celui « des siècles et des siècles » ? Cette éternité expliquée à ces grands turbulents qui ne pensent qu’à transgresser les règles d’une société que moi, chef tribal, je dois préserver au jour le jour pour assurer ma situation et celle des gens qui comptent pour moi, grands et petits, avec ce plaisir intestin que j’éprouve tous les jours à exercer mon pouvoir ?

122. Une motivation désintéressée, c’est possible ?

Avec conscience, il doit y avoir autre chose à trouver qui brise le cercle enfermant de l’application des fonctions instinctives. D’aucun diront que ce « quelque chose » se trouve dans la motivation plutôt que dans une action objective. Je peux  tenter l’expérience de penser et d’agir de façon désintéressée.  Par exemple en soignant des malades pauvres qui même guéris ne serviront jamais à quoi que ce soit d’utile dans la société, et ne seront capable d’aucune reconnaissance, que de toute façon je ne recherche pas.  Pourquoi pas ? Ce serait très original, et  très rare (quand ce n’est pas destiné à se faire bien voir d’une base électorale, ou à gagner son paradis, c'est-à-dire se donner bonne conscience courte,  sans être nullement empêché,  par ailleurs, de mener les plus belles actions de prédation qui  enrichissent et  donnent honneur, bonheur et considération, comme dans les systèmes de contention des pauvres mis en place par les religions et les républiques laïques).

123. La pauvreté, un préalable ?

Le désintéressement…  Mais où cette expérience peut-elle conduire l’individu qui la tente, à part d’y laisser sa chemise et  devenir pauvre comme ceux qu’il aura soignés? Tenter de sortir du cercle instinctif de croissance de l’être vivant, cela conduirait à la pauvreté  et à tous ses inconvénients? Et à abandonner l’idée d’une quelconque « efficacité » ? C’est troublant et il faudrait tenter de trouver d’autres exemples de sortie de l’instinct. Ou alors cette pauvreté serait un nécessaire préalable?

124. Une échelle de valeurs.

On le sait bien, chaque espèce a des instincts différents qui les amènent à des centres d’intérêt et des comportements différents. La sensation de faim conduira la vache à manger de l’herbe. Le lion à chasser et tuer. Pour autant, y-t-il une échelle de valeur entre ces deux actions ? Chasser est-elle une action plus élevée qu’arracher des touffes d’herbe et  tuer incidemment les quelques insectes qui s’y trouvent, en les digérant ? Bien sûr, on dit en général que la chasse est noble car elle requiert de la stratégie, même instinctive : en tous cas l’homme en a fait un art. Mais justement, étant lui-même chasseur et carnivore, l’homme  n’a-t-il pas transposé étourdiment la propre image qu’il a de lui-même dans cette échelle de valeur, étant juge et partie ? Demandera-t-on à l’hirondelle si le vol est une aptitude noble ?

125.  Un regard extérieur, c’est très original.

Le jugement humain, pour les comportements, n’est-il pas très souvent réduit   au : «puisque je sais le faire, c’est ce qu’il y a de mieux» ?  Et si l’homme porte son regard à travers des images qu’il a de lui, est-il capable aussi d’envisager le monde  et les autres vivants avec un regard extérieur, c'est-à-dire, avec sa conscience, de tenter de les comprendre autrement qu’en termes d’espace de jeux qui lui serait dévolus, avec posés dessus des jouets qui lui appartiennent s’ils l’intéressent ou le distraient ? Le lion ne sait pas le faire, avec sa toute petite cérébralité, sa toute petite stratégie, et son tout petit territoire. Et la vache non plus, avec son tout petit cerveau. Au fait, il y a combien d’espèces sur la planète, qui ont leur toute petite appréhension de leur territoire et de leurs minuscules centres d’intérêts ?

126. Le choix animal.

Cette faculté de dépasser la condition de regardeur et d’acteur animal, l’homme doit pouvoir la trouver en lui, et la cultiver. D’ailleurs certains l’on fait, vous avez des exemples en tête, connus ou inconnus. Là se trouve un gisement d’élévation de l’esprit, c'est-à-dire une possibilité de sortie des contingences comportementales d’espèce. Mais ce n’est pas du tout en érigeant en arts des comportements instinctifs ! C’est dérangeant, n’est-ce pas ?

127. Des classements de propagande.

Les hiérarchies des  êtres vivants selon des échelles de valeurs que des hommes ont créées et remaniées en posant les dogmes de son essence divine, puis de sa simple excellence dominatrice, n’a pas de réalité. Elle n’est pas aléatoire, puisqu’elle a un sens, un but d’auto-propagande, pour que le moral soit bon. C’est une construction mentale, un conte, qui sert à fermer les yeux en se rassurant à peu de frais cérébraux. Cela dit, il reste un grand vide à combler : l’arrivée du dernier homme (nous-mêmes) sur la planète il y a 180 000 ans a-t-il un sens particulier en soi ? (Ou l’arrivée de « l’homme », si on considère que les espèces antérieures, Homo habilis et erectus par exemple, ou contemporaine d’Homo sapiens jusqu’à il y a 35 000 ans : Homo neanderthalensis,  ne méritent pas l’appellation « d’homme », mais on peut en palabrer à perte de vue, surtout si l’on estime avoir quelque chose à y gagner). Il y a beaucoup de réponses officielles, convergentes au fond. Mais y a-t-il beaucoup de réponses intimes, c'est-à-dire sans contrainte sociale ?

128. Un programme de rêve.

Alors, l’avènement des hommes a-t-il un sens en soi, qui soit d’une autre essence que les constructions mentales opacifiant cette conscience qui nous gêne tant qu’elle serait capable de nous conduire au désintérêt pour la tribu, au désintéressement tout court, et à la pauvreté ? En tout cas il semblerait intéressant de le trouver, ne serait-ce que par simple curiosité. Et si ce n’est pas un sens, ce pourrait être une connaissance particulière, inexplorée ?  Et peut-être que cette recherche serait apaisante au fond, même s’il n’y a rien à trouver ? (C’est incroyable, il faut toujours se trouver une « raison » pour agir, moi qui parle de désintéressement !) Mais l’apaisement, ce ne serait pas une bonne raison ?

En tout cas Il faudrait de la ténacité devant le vide ainsi déblayé et les quelques rares bribes de concepts avec quoi commencer ; de la modestie pour ne pas nous raconter de nouvelles histoires lénifiantes d’auto-propagande ; de la fierté car il ne s’agit pas d’avoir honte de ce qu’on peut trouver, même si cela risque d’être mal jugé par les groupes sociaux ; et de la compréhension vis-à-vis de ce qui est éloigné de notre savoir-être et de notre savoir-faire, et de notre savoir-penser. Curieux programme, n’est-ce pas ?

129. L’initiative individuelle et le groupe.

Les relations entre le groupe social, l’individu et l’initiative personnelles sont très ambigües. D’abord, il y a une hiérarchie dans le groupe, même dans ceux qui se déclarent « égalitaires ». Dans ce cas la hiérarchie est naturelle. Par exemple, celui qui a une voix qui porte, des gestes ronds et une intelligence tactique aura toute facilité naturelle à prendre un ascendant dans le groupe, par rapport à celui qui a la voix ténue, le geste maladroit, une compréhension et une intelligence des concepts, mais pas de tactique. Bien sûr, la tactique s’apprend, mais elle ne s’applique bien que quand elle est innée, vous le savez bien : si vous n’avez pas le goût des cartes ou des échecs, malgré tous les efforts de vos professeurs, malgré les vôtres, vous arriverez au mieux au stade de  joueur honorable. (Je le sais bien, moi qui ai été obligé d’apprendre les cartes pour ne pas passer pour un sauvage : ces jeux ne conviennent pas du tout à mon genre d’intelligence). Une aptitude à la tactique, un petit quelque chose d’indescriptible, mais très réel, que l’on appelle « charisme », fera d’un individu un redoutable porteur d’initiative. Ces deux caractéristiques, tactique et charisme, sont en très grande partie innées, vous ne croyez pas ?

130. Hiérarchies chevauchantes, opportunités.

Il est bien rare qu’il n’y ait qu’une hiérarchie dans un groupe humain. Il présente, sauf exceptions comme dans un régiment militaire ou une sous-direction administrative (et encore…), un foisonnement de hiérarchies chevauchantes, parallèles, plus ou moins concurrentes. Ces hiérarchies bougent dans le temps comme bougent les combinaisons des pièces d’échec à chaque jeu. Sauf que dans les jeux de stratégie, chacun joue à son tour, et que dans le vrai chacun tente de jouer dès qu’il le peut, à la faveur d’évènements plus ou moins prévus… C'est-à-dire en même temps que les autres joueurs, qui utilisent le même évènement. Par exemple, dans une société banale, un directeur de fort charisme et de forte tactique en est arrivé à cumuler plusieurs directions en fin de carrière. Quand il part à la retraite ou s’il a un accident, dès le déclenchement des effusions obligatoires dans un comportement social civilisé, les stratégies se déploient en même temps que les candidatures : le pouvoir qu’il avait rassemblé dans sa main, être insatiable et modèle de courage que nous n’oublierons jamais, va-t-il de nouveau être scindé ? Mais alors, j’ai enfin ma chance ? D’autres y ont pensé,  je les connais et je dois jouer finement.

131. Le sacrifice.

Même si les hiérarchies auxquelles on peut faire correspondre une classification des fonctions dans un groupe social sont toujours existantes, on peut dire aussi qu’elles ne sont jamais totalement acceptées par les individus. Sauf une exception  extraordinaire qui est le sacrifice individuel. Le sacrifice n’a rien à voir avec la médiocrité d’un type qui stagne dans sa hiérarchie, et qui se contente de son sort : cette exception là est héroïque et exemplaire, car il s’agit de perdre la vie de façon désintéressée, et dans ce cas l’homme est vraiment admirable. C’est assez rare, mais vous connaissez certainement un exemple parmi vos anciennes connaissances.

132. Brasier.

Ce sont les circonstances qui font le sacrifice, et une décision intuitive, immédiate. Personne ne peut dire d’avance qu’il se sacrifiera, même s’il se prépare psychologiquement. (Le plus horrible, si l’on est témoin d’une agression dans le métro, c’est de se trouver en hypoglycémie  en fin de journée, les bras mous et le moral bas,  et de détourner le regard avec les autres témoins… on ne s’en vantera pas). Si je meurs asphyxié en tentant maladroitement de sauver une petite fille du brasier, c’est d’abord parce que les circonstances se présentent, et qu’intuitivement je sais que si je la laisse mourir dans les flammes je ne pourrais de toute façon plus jamais me regarder dans une glace. Ce ne sont pas les règles sociales qui parlent à ce moment, mais celles, instinctives, du « singleton » : je n’ai pas le temps de penser ni de rien formuler mais je « sais » que je dois y aller. Ce faisant, je me place en au quart de seconde dans le groupe des « justes », quelle que soit ma position sociale et l’avenir qui me sera réservé.

133.  Médaille.

Mon désintéressement ne dure pas si longtemps en général, que je refuse la médaille. Même si éventuellement  je déteste le gouvernement et que je n’ignore pas que l’inventeur de cette médaille était une brute tactique et sanguinaire d’empereur, qui a répandu en masse la mort et la désolation, reléguant mon action héroïque à une minuscule anecdote… Le temps est passé (8 générations) et cela m’arrange bien de n’en conserver qu’une légende flatteuse qui contribue à souder le groupe social qu’est la Nation. J’ai donc quitté l’action irréfléchie du « singleton » culturel, pour rejoindre avec honneur mon groupe social et sa hiérarchie, partageant cette médaille avec tous ceux qui l’ont eue.

134. Loin des états major.

Je suis pompier. J’ai l’habitude de risquer ma vie pour secourir des gens en difficulté dans toutes sortes d’endroits incroyables et dangereux. Jamais personne ne me proposera une médaille pour ces actions de désintéressement qui sont normales. Mais je suis aguerri, je suis fier de ce que je fais, et je ne sais pas ce que je pourrais envisager d’autre maintenant à part faire l’instruction des élèves pompiers ? Je suis soldat. J’accepte le risque et j’accepte ma hiérarchie écrasante, tatillonne, prévisible dans son imprévisibilité. Dans ce cadre, je peux développer une camaraderie : une sorte de groupe informel entre quelques individus de même condition. S’il se présente une mission potentiellement mortelle, je sais que celui que les circonstances désigneront parmi mes camarades, donnera sa vie aux autres. Toutes les aventures guerrières, au milieu du carnage et de l’incurie, contiennent un de ces petits coins de ciel bleu qui rappellent ces épisodes héroïques. Ils se construisent hors des hiérarchies, loin des états-majors. Si vous avez connu un théâtre d’opérations, vous avez un tel souvenir ?

135. Contrainte hiérarchique, décision personnelle.

Le kamikaze, bien sûr, fait dont de sa vie pour l’avancée de sa cause.  De même l’esclave d’une fabrique. De même le saint chrétien qui, dans l’empire romain décadent, accepte le risque d’être livré en pâture aux lions du cirque. Son sacrifice est total, pour l’exemple qu’il montre et la victoire de son dieu, près duquel il sera assis dans l’au-delà. (A côté du chef tribal, physique ou virtuel, c’est la place d’honneur. L’honneur, cela se goûte en société ou dans sa représentation mentale). Il est très difficile de faire la part de l’obligation hiérarchique et celle de la décision personnelle dans ces sacrifices.

Je suis ouvrière textile en Malaisie, ou bien ouvrier dans une papeterie en Indonésie. Je suis issu d’une famille de paysans, mais depuis que les marchés ont été envahis par les productions subventionnées des pays riches, ce n’est plus viable et j’ai du émigrer vers la ville.  Je me crève la paillasse pour que les anonymes qui détiennent les actions de la société multinationale qui m’esclavage touchent des dividendes. Mon sacrifice n’est pas consenti, mais je n’ai aucun autre choix sauf la mort. Je ne peux m’y résoudre car mon instinct me dit de survivre quand même. On me dit, entre deux brimades, entre deux menaces de relégation à la mendicité, que c’est pour le bien de l’entreprise.

Je suis soldat. Je ne peux pas refuser d’attaquer la position ennemie, alors que je sais que je ne passerai pas le feu de leurs mitrailleuses. Mais il est hors de question que je désobéisse, car c’est le peloton qui m’attend, et surtout, l’opprobre post-mortem. Alors j’y vais.

Je suis en train de suivre une formation de kamikaze en 2008. J’étais venu par passion. Aujourd’hui je ne sais plus. Je ne pense plus car j’ai des gestes à faire, sans arrêt. Ce n’est pas une danse, c’est une sorte de prière gestuelle, et je ne suis jamais immobile. Et je dois toujours penser aux gestes que j’ai à faire, cette prière gestuelle qui me remplit complètement. Je vois le paradis, cette félicité immortelle. On me l’a appris par cœur et je me le récite. Bientôt, bientôt le paradis.

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