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partage cérébral
2 septembre 2008

La conquête, la grande affaire

100. La conquête, la grande affaire.

Pourquoi l’homme, organisé en sociétés, cherche-t-il, avec des règles et une morale élastique, différente de celles qui régissent les pacifications internes à sa propre société, à conquérir les territoires physiques et  moraux d’autres sociétés ? Pour la gloire, c’est sûr, et l’édification d’arcs de triomphes dans ses capitales et ses sièges sociaux ; pour la fortune, les peuplades « ne mettant pas suffisamment en valeur » les richesses potentielles de leurs territoires, ce qui est une atteinte à sa morale; pour accroitre sa domination sur un petit bout de planète, puis sur un continent, puis sur la planète toute entière, puis… Et puis quoi ?

101. Prisonnier de la conquête.

En fait l’homme organisé tend à accroître son domaine, sur lequel il colonise les esprits et assoit sa domination physique et culturelle… Y-a-t-il quelque chose de transcendant, ou pas, dans cette propension toujours vérifiée au cours de l’histoire humaine, à vouloir créer des empires ?  Où l’homme est-il obligé de le faire de par sa constitution propre ? Ce faisant, sort-il de la condition ordinaire d’être vivant, certes affublé d’une grande capacité de réalisations,  ou fait-il simplement une erreur conceptuelle en le croyant?

102. Nombre des empires. Taille des empires.

Les empires ont changé à notre époque contemporaine. La civilisation occidentale et son fer de lance idéologique, ont conquis tout l’espace planétaire, même si c’est forcément transitoire à l’échelle historique. A écouter les portes paroles officiels, c’est un bien puisqu’il s’agit du triomphe de la liberté, donc le mot est contenu dans celui de « libéralisme ». En gros, chacun peut se déplacer sans contrainte avec les valeurs qu’il a produites légalement (on a déjà parlé de la relativité, de la plasticité des droits). Les empires qui se sont constitués, héritiers en général des grandes entreprises qui se sont sorties à leur avantage de la première et de la seconde guerre mondiale du 20ème siècle, ont envahi la planète et y édictent leurs règles au sein de leurs unités de recherche, de production et de vente, et au sein de la vie sociale des pays, par les propagandes et les produits qu’ils y vendent. S’il existe 1000 sociétés vraiment mondiales et hyperpuissantes, mille empires, on pourrait dire qu’il y a en 2008 beaucoup plus d’empereurs que dans toute l’histoire humaine, et que chacun de ces empires est beaucoup plus puissant et riche que les anciens empires politiques ! Tiens, cela voudrait-il dire que les empires commerciaux ne sont pas des empires politiques ? Mais si, puisque ce sont eux, avec leurs lobbies, qui font les politiques des « nations ».

103. Barons locaux.

A l’échelle en dessous des empires, les hommes politiques qui « gouvernent » les provinces et les pays, qu’ils appartiennent à la civilisation occidentale ou aux anciennes colonies et protectorats qui lui courent après, ne sont que des barons locaux  qui tergiversent avec les empereurs, en courbant l’échine ou en s’alliant avec eux pour un profit immédiat. C’est logique, ils en dépendent. Et c’est cette logique qu’il est intéressant de décrypter pour une compréhension de l’homme social… Mais non, ce serait faire de la politique, et ce n’est plus à la mode ces derniers temps. Plus à la mode ? Qui peut dire que l’organisation des sociétés humaines, au jour le jour, et sa projection dans un avenir raisonnable (1 à 10 ans maximum) serait une mode ? Elle existe depuis que l’homme existe !

104. L’inégalité de l’Ancien Régime.

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, au 18ème siècle, la politique coulait de source, étant fondée sur l’inégalité. Elle était le fait du prince entouré de ses barons, conseillé par des technocrates qu’il appelait et renvoyait à sa guise. Puis, jusqu’à la fin du 20ème siècle, il a été lourdement question de convoquer, dans les pays civilisés, les peuples à cette activité d’organisation humaine : la politique. Et pour que chacun ait la possibilité d’accéder à l’intelligence commune, on a envoyé tout ce monde à l’école primaire.  Le résultat a été, bon an, mal an, ce que nos sociétés ont montré jusqu’à la fin du 20ème. On pourrait beaucoup en dire. Beaucoup en a été dit, et seuls les vieux et les  retraités sont nostalgiques, car ils ont été trop jeunes pour avoir connu la rudesse des mouvements sociaux pionniers, qui ont réussi à arracher un certain partage des richesses produites, dont ils ont profité (congés, retraites, logement, droit des enfants, sécurité sociale, horaires de travail et de repos, salaire…) (Je ne parle pas évidemment de la morale utilisée pour justifier cette production de richesses, qui s’est beaucoup appuyée sur l’exploitation de territoires et de populations vaincues,  dans des pays moins prêts à l’époque, à la guerre occidentale. Ce n’est pas le sujet).

105. La lutte sociale est éprouvante.

Les mouvements sociaux au 20ème siècle ont été éprouvants : ils passaient par la grève (plus rien à manger), la rébellion (coups de fusils de la garde nationale), la manifestation (batailles sans fairplay avec les milices patronales et la police), le black-out patronal (plus rien à manger), l’interrogatoire policier (je ne fais pas un dessin), la prison (la mise au ban) …

Cette période était aussi celle du dilettantisme de la bourgeoisie, le fleurissement des arts d’élite, et des arts populaires. Et puis la guerre omniprésente, proche ou lointaine, qui remplissait les esprits. L’apprentissage d’une participation des gens à la politique, sous le slogan (l’idéal ?) d’égalité en valeur humaine et de liberté d’agir, a été rude, et a donné ce qu’il a donné. Qui s’en souvient à présent ? Serait-ce aussi loin dans les esprits, aussi abstrait que l’antiquité grecque? Doit-on reléguer le 20ème siècle à quelques jeux intellectuels pour prof d’histoire ?

106. L’espoir d’une vie « plus juste ».

Quand on n’était pas dans un environnement bourgeois au siècle passé, on vivait et on mourait rudement donc, mais avec l’espoir d’une organisation sociale plus « juste », et le summum en a été connu dans le dernier quart du 20ème siècle, alors que déjà un balancement se produisait à l’initiative  des dieux anonymes que vénéraient les nouveaux empereurs. Avec l’avènement des très grands empires mondiaux, les barons locaux que devenaient nos princes élus se sont entourés d’un rempart de technocrates qu’ils convoquent et révoquent à l’initiative de leurs commanditaires multinationaux, et ils affirment « la » politique, comme de jolies marionnettes habillées en costume et en robe, dont on voit bien les ficelles. Est-ce un dévoiement et un malheur ? Pas pour tout le monde sans aucun doute, on le sait  bien dans les milieux que j’ai le bonheur bien compris, de fréquenter.

107. Esclaves ou consommateurs.

Le principe général, le fil conducteur, la cohérence philosophique, l’idéal, pour les empereurs contemporains, leurs dieux anonymes (les actionnaires) et leurs puissants serviteurs (et actionnaires), confortés par leurs sbires armés de technicité, de finance, de force militaire et  paramilitaire, c’est de transformer les peuples, soit en esclaves (producteurs), soit en masse consommatrice (prisonnière de ses désirs), dans le même temps taillables et corvéables à merci. Ils ridiculisent en passant les dirigeants politiques, en leur laissant le petit travail local d’organisation sociale à régler, faire la police des masses consommatrices et de celles des esclaves… sans parler de celle concernant les « inadaptés », qui peut-être voient leurs ficelles et gênent un peu par leurs voix discordantes... Nous sommes actuellement en plein dans ce mouvement de merveille humaine (tout le monde le dit, nos sociétés sont « avancées »), et il convient de parler d’avenir. L’avenir, c’est 2 ans ? C’est 10 ans, 175 ans, 300 ans, 10 millions d’années ?..  Qui veut en parler ?

108. Esprit vidé, esprit docile.

A notre époque on a le droit de presque tout dire  et son contraire. On a le droit de s’insurger, même si certaines précautions sont nécessaires (Moi-même, je prends quelques précautions). Mais le public, de faible curiosité, n’entend pas car il est assourdi, abruti, hagard, sous les assauts audio visuels, ludiques, sérieux-ludiques, à tel point qu’il ne fait pas, en masse, la différence entre la blague et le « sérieux », le vrai et le bidouillé pour rire, ou par propagande, ou les deux. Il n’a pas la ressource de choisir… Ses sources. L’apprentissage tel qu’il a été conçu en application des préceptes d’égalité et de liberté, est obsolète. Dépassé. Il est hors de question, sauf pour une élite qui reste constante, d’apprendre à apprendre, et de se construire un jugement personnel.

109. Vendre, c’est hyper sophistiqué.

Les groupes sociaux-économiques auxquels nous sommes agrégés priment sur l’individu : celui-ci doit apprendre à obéir à des préceptes érigés en religions (dans les grandes écoles notamment, mais aussi dans tous les centres d’apprentissage de plus bas niveau social) : se mettre corps et âme au service intime des empereurs mondiaux, et participer à leurs œuvres de créations de bénéfices immédiats, à leurs formidables guerres féodales (car ils sont en concurrence), et dépenser les riches aumônes qui leurs sont faites. Par exemple, rien qu’en chine, il faudrait une bonne vingtaine de centrales nucléaires neuves, le plus tôt possible, si on veut continuer comme ça. Qui aura le marché ? Moi ! Moi ! Moi ! Allez-y, les gars: IMPOSSIBILITE FORMELLE, CULTURELLE ET PERSONNELLE, D’ESSAYER DE PENSER A AUTRE CHOSE AVANT D’AVOIR GAGNE CETTE BATAILLE. Chaque agent et partenaire de notre groupe est un vecteur de vente et de création de bénéfice. Et vous serez des hommes, vous aurez vos salaires et nous les dividendes à dépenser, c’est pour le bonheur.

Je trouve que ces perspectives humaines, dominantes, sont étroites, et qu’elles ne s’écartent pas du fond d’activité potentiel de tous les êtres vivants, même si elles sont chez nous hyper sophistiquées, hypertrophiées.

110. Temps, remplacement.

Peu importe s’il possède de multiples châteaux-succursales sur la planète, et huit-cent mille fantassins-producteurs et vendeurs, l’empereur doit accroitre son domaine et sa fortune, c’est sa religion qui l’impose : car chaque année, il doit offrir des dons en dividendes et en valeur d’action aux dieux innommables, car anonymes, qui le tiennent dans sa main. Tout le reste est secondaire. Les monothéismes issus de la fixation par l’écriture de mythes et de découvertes sur la nature de l’homme, sont enfin remplacés.

111. Une religion chasse l’autre.

Cet animisme triomphant à notre époque victorieuse, qui consiste à honorer des divinités anonymes par le travail d’une multitude d’individus et l’exploitation (minière) de territoires, montre bien qu’une religion humaine est remplaçable par une autre. Question de temps et de remplacement des générations, d’usure des fidèles et des dirigeants, de changements d’habitudes de croire et de penser, d’opportunités techniques, de peurs. Qui a peur de la mort et de son éternité imagée ? Personne aujourd’hui, on n’y pense pas, elles sont abstraites, prises en charge par des spécialistes cotés en bourse. Je ne miserais pas un centime sur le devenir à moyen terme (quelques siècles) de cette nouvelle religion, ni des autres d’ailleurs, même les plus remuantes. Par contre, je suis certain qu’elles seront remplacées.

112. Des dogmes et des sociétés.

Et justement, qu’est-ce qui peut bien faire que ces dogmes s’installent, puis s’étiolent et soient  remplacés au cours du temps ? Ce n’est pas à cause de la découverte d’une vérité, qui permettrait d’éliminer les erreurs du passé, puisqu’il s’agit de dogmes, c'est-à-dire de « révélations » proclamées par des crieurs publics. En effet : aucun dogme ayant fleuri depuis l’avènement de la cérébralité humaine, résultat collatéral de sa conscience, de son inventivité, ne supporte un examen extérieur. Ils ne supportent que l’adhésion ou le rejet. L’adhésion suscitant l’approbation de ses adhérents, le rejet suscitant la désapprobation. Nous sommes, consubstantiellement à notre conscience courte (celle qui s’arrête aux frontières d’une culture tribale), tributaires (c’est exactement le mot) de telles appartenances, qui ne se définissent que par ce seul autre mot: la croyance. D’ailleurs, pourrait-on supporter de vivre sans croire ?

113. Changement de programme, hérésie.

L’effet de groupe est important dans la vie humaine. L’union fait la force. Les dirigeants parlent d’être ensemble et de rassembler pour agir, sous entendu : avancer (conquérir) dans la direction qui nous conduira au bien, en tous cas au mieux. Le fait qu’on puisse éventuellement soupçonner quelques uns de ces dirigeants se songer d’abord à leur propre « bien », à leur propre croissance dans la société où ils se trouvent à l’aise comme un poisson dans l’eau, n’enlève rien de  la force du slogan. Aux temps de l’inégalité, il s’agissait de rallier, de gré ou de force, et d’obéir. Aux temps de l’égalité il s’agit de rallier et de se conformer aux préceptes dirigeants. C’est très différent et cela revient au même : plus fort que les voisins, dominer, plus puissants et plus riches ? C’est un programme deux cent fois millénaire. Et si nous changions de programme, ce serait une hérésie humaine ? Ou une hérésie pour tout être vivant qui serait, comme nous, vindicatifs de nature ?

114. Au début était le Verbe .

Dans l’histoire d’une genèse, reprise de la tradition orale de façon à ce qu’elle serve l’utilitaire d’une organisation sociale nouvelle, on trouve en substance : « Alors apparut le verbe, et le verbe était Dieu ». Le verbe, c’est la parole, le langage. Il est certain qu’il faut parler le même langage, au sens propre et au sens figuré, pour faire un groupe humain structuré. Et cette superbe réalisation, si difficile à maintenir avec tous ses singletons et ses sous ensembles qui la composent, avait si bonne presse dans les temps anciens que le concept est passé de bouche à oreille de génération en génération. Puis, il a été écrit dans les ouvrages de référence de religions monothéistes.  Mais ce Dieu, à l’origine, n’était-il pas plutôt le groupe constitué, fort, cimenté par un même langage, le dieu de la tribu, sans lequel elle n’existerait pas ?

115. La surrection des dieux.

Les dogmes changent, et les religions aussi, à l’insu de la vie quotidienne : il n’existe pas de monothéisme total. Dès que la pression sociale et pénale se desserre, d’autres dieux osent apparaître, comme spontanément irradiés de nos consciences aux limites mouvantes.

116. Educations.

Un individu qui aurait connu le milieu du 19ème siècle par exemple, ses interdits, ses aspirations dans différents milieux sociaux, aurait été ébahi en visitant la fin du 20ème, avec ses différences d’habitudes de pensées, de vies, de considération des personnes féminines et masculines, des concepts à la mode. Mais, constatons le, des habitudes de pensée et de vie, il y en a toujours chez les hommes. Ce n’est pas leur « qualité » qui compte, c’est leur existence. Par exemple, un musulman intégriste, conditionné socialement pour donner sa dépouille mortelle à la cause de la croissance de la vraie foi, en échange du paradis (c'est-à-dire en échange d’un statut social privilégié dans le groupe humain vivant après la mort, qu’il ne pourrait jamais atteindre autrement), il est inutile d’essayer de lui parler. Il a un langage différent et ne comprendra pas, et on ne le comprendra pas. De plus, sa conscience spécialisée ne peut pas lui permettre d’envisager un autre langage que le sien. Et cet homme là y voit une horreur à abattre en donnant sa vie. Pourtant, c’est un homme comme un autre : plongez-le en bas âge dans une famille moyen-bourgeoise du 19ème siècle en France, et il sera un catholique respectueux du dogme catholique, et des transgressions comportementales que la société autorise aux hommes à cette époque.

117. Des hommes interchangeables ?

Un homme moyen, satisfait de sa conscience courte,  réussira raisonnablement partout où il sera parachuté par la naissance et l’éducation, pourvu que la société, le groupe humain où il atterrit soit bien formé, et qu’il n’ait pas d’accident de chance. Est-ce à dire que les hommes sont interchangeables, alors que des sondages de 1000 personnes sont capables d’indiquer les intentions  et les avis d’une population entière? C’est discutable, vous ne trouvez pas ? Et peut-être que cette interchangeabilité n’existe que dans le foisonnement d’une population, et non pas  à titre individuel ?

118. l’individu et la ruche.

La réunion des êtres humains en groupes structurés font leur puissance. Y-a-t-il un équivalent chez les autres êtres vivants ? La fourmilière ? La ruche ? Ou chaque individu a sa place dans l’organisation commune ? La comparaison ne tient pas : La structure d’une fourmilière d’une espèce donnée est stable. L’individu est condamné à faire les gestes qu’il fait, certes merveilleusement, mais dont l’initiative est calibrée absolument par une règle qu’il ne peut enfreindre volontairement. Il n’en a pas la ressource cérébrale. Les groupes humains sont instables et tributaires de la volonté des individus à ne pas enfreindre la règle qui a été mise en place à la foi volontairement  et sous la contrainte, et qui  a absolument besoin d’être constamment justifiée et réaffirmée : c’est le rôle de tous, chacun à sa place dans la société, dans un contexte d’initiative individuelle toujours possible, quelle qu’elle soit.

119. L’initiative n’a pas de sens déterminé.

L’initiative individuelle, chez l’homme, va dans tous les sens, et souvent vers une transgression. Si les circonstances sont favorables elle trouvera un écho, souvent après bien des vicissitudes, auprès d’autres individus qui vont peut-être se fédérer, au moins mentalement, autour de cette initiative, qui pourra peut-être s’ériger en système de pensée et d’action. Et puis les décennies passent, les siècles, et d’autres initiatives fédérant à leur tour des groupes humains, prennent le dessus et … s’étiolent et disparaissent à leur tour dans l’armoire à rangement de la préhistoire et de l’histoire, sans que l’on perçoive d’usure dans la motivation humaine.  Pendant ce temps la fourmilière, tant que l’espèce donnée perdure, reproduira un même schéma, inamovible, de comportement individuel et collectif, sans que les fourmis s’en inquiètent, il n’y a qu’à voir le cœur qu’elles mettent à l’ouvrage. On ne perçoit pas d’usure dans leur motivation instinctive. C’est le seul point commun avec les sociétés humaines, il me semble.

120. Quel est ton futur ?

L’homme, être vivant, ne montre pas d’usure dans sa motivation instinctive : les vieux et les vielles idées finissent leur temps et disparaissent et sont remplacés par les générations nouvelles, qui se sentent très différentes des anciennes dont elles honorent certaines en faisant, avec cœur, table rase, et en oublient bien vite d’autres. Mais sur le fond, l’action humaine actuelle, si elle est beaucoup plus spectaculaire, est-elle si différente de celle des homo-sapiens du Paléolithique ? Que faisons-nous de nos fonctions primordiales d’êtres vivants ? La nourriture, la reproduction, la défense de l’espace de vie, bref, la croissance individuelle et collective ? Nous les avons sophistiquées, intellectualisées, technicisées, démultipliées, c’est certain. Ce faisant nous n’avons pourtant pas il me semble, trouvé à apaiser l’inquiétude métaphysique primordiale, à la limite de la conscience, formulée et reformulée à toutes les époques : quel est mon futur ?

121. Mon futur proche ? Il est présent.

Mon futur proche, pas de problème : j’ai de quoi m’occuper largement et les journées n’ont que 24 heures pour conquérir mon bonheur ou  celui des autres, et parfois en jouir.  Ma vérité en quelques sortes. Mais l’autre futur, celui « des siècles et des siècles » ? Cette éternité expliquée à ces grands turbulents qui ne pensent qu’à transgresser les règles d’une société que moi, chef tribal, je dois préserver au jour le jour pour assurer ma situation et celle des gens qui comptent pour moi, grands et petits, avec ce plaisir intestin que j’éprouve tous les jours à exercer mon pouvoir ?

122. Une motivation désintéressée, c’est possible ?

Avec conscience, il doit y avoir autre chose à trouver qui brise le cercle enfermant de l’application des fonctions instinctives. D’aucun diront que ce « quelque chose » se trouve dans la motivation plutôt que dans une action objective. Je peux tenter l’expérience de penser et d’agir de façon désintéressée.  Par exemple en soignant des malades pauvres qui même guéris ne serviront jamais à quoi que ce soit d’utile dans la société, et ne seront capable d’aucune reconnaissance, que de toute façon je ne recherche pas. Pourquoi pas ? Ce serait très original, et  très rare (quand ce n’est pas destiné à se faire bien voir d’une base électorale, ou à gagner son paradis, c'est-à-dire se donner bonne conscience courte, sans être nullement empêché,  par ailleurs, de mener les plus belles actions de prédation qui enrichissent et donnent honneur, bonheur et considération, comme dans les systèmes de contention des pauvres mis en place par les religions et les républiques laïques).

123. La pauvreté, un préalable ?

Le désintéressement… Mais où cette expérience peut-elle conduire l’individu qui la tente, à part d’y laisser sa chemise et devenir pauvre comme ceux qu’il aura soignés? Tenter de sortir du cercle instinctif de croissance de l’être vivant, cela conduirait à la pauvreté  et à tous ses inconvénients? Et à abandonner l’idée d’une quelconque « efficacité » ? C’est troublant et il faudrait tenter de trouver d’autres exemples de sortie de l’instinct. Ou alors cette pauvreté serait un nécessaire préalable?

124. Une échelle de valeurs.

On le sait bien, chaque espèce a des instincts différents qui les amènent à des centres d’intérêt et des comportements différents. La sensation de faim conduira la vache à manger de l’herbe. Le lion à chasser et tuer. Pour autant, y-t-il une échelle de valeur entre ces deux actions ? Chasser est-elle une action plus élevée qu’arracher des touffes d’herbe et tuer incidemment les quelques insectes qui s’y trouvent, en les digérant ? Bien sûr, on dit en général que la chasse est noble car elle requiert de la stratégie, même instinctive : en tous cas l’homme en a fait un art. Mais justement, étant lui-même chasseur et carnivore, l’homme  n’a-t-il pas transposé étourdiment la propre image qu’il a de lui-même dans cette échelle de valeur, étant juge et partie ? Demandera-t-on à l’hirondelle si le vol est une aptitude noble ?

125. Un regard extérieur, c’est très original.

Le jugement humain, pour les comportements, n’est-il pas très souvent réduit   au : «puisque je sais le faire, c’est ce qu’il y a de mieux» ?  Et si l’homme porte son regard à travers des images qu’il a de lui, est-il capable aussi d’envisager le monde et les autres vivants avec un regard extérieur, c'est-à-dire, avec sa conscience, de tenter de les comprendre autrement qu’en termes d’espace de jeux qui lui serait dévolus, avec posés dessus des jouets qui lui appartiennent s’ils l’intéressent ou le distraient ? Le lion ne sait pas le faire, avec sa toute petite cérébralité, sa toute petite stratégie, et son tout petit territoire. Et la vache non plus, avec son tout petit cerveau. Au fait, il y a combien d’espèces sur la planète, qui ont leur toute petite appréhension de leur territoire et de leurs minuscules centres d’intérêts ?

126. Le choix animal.

Cette faculté de dépasser la condition de regardeur et d’acteur animal, l’homme doit pouvoir la trouver en lui, et la cultiver. D’ailleurs certains l’on fait, vous avez des exemples en tête, connus ou inconnus. Là se trouve un gisement d’élévation de l’esprit, c'est-à-dire une possibilité de sortie des contingences comportementales d’espèce. Mais ce n’est pas du tout en érigeant en arts des comportements instinctifs ! C’est dérangeant, n’est-ce pas ?

127. Des classements de propagande.

Les hiérarchies des êtres vivants selon des échelles de valeurs que des hommes ont créées et remaniées en posant les dogmes de son essence divine, puis de sa simple excellence dominatrice, n’a pas de réalité. Elle n’est pas aléatoire, puisqu’elle a un sens, un but d’auto-propagande, pour que le moral soit bon. C’est une construction mentale, un conte, qui sert à fermer les yeux en se rassurant à peu de frais cérébraux. Cela dit, il reste un grand vide à combler : l’arrivée du dernier homme (nous-mêmes) sur la planète il y a 180 000 ans a-t-il un sens particulier en soi ? (Ou l’arrivée de « l’homme », si on considère que les espèces antérieures, Homo habilis et erectus par exemple, ou contemporaine d’Homo sapiens jusqu’à il y a 35 000 ans : Homo neanderthalensis, ne méritent pas l’appellation « d’homme », mais on peut en palabrer à perte de vue, surtout si l’on estime avoir quelque chose à y gagner). Il y a beaucoup de réponses officielles, convergentes au fond. Mais y a-t-il beaucoup de réponses intimes, c'est-à-dire sans contrainte sociale ?

128. Un programme de rêve.

Alors, l’avènement des hommes a-t-il un sens en soi, qui soit d’une autre essence que les constructions mentales opacifiant cette conscience qui nous gêne tant qu’elle serait capable de nous conduire au désintérêt pour la tribu, au désintéressement tout court, et à la pauvreté ? En tout cas il semblerait intéressant de le trouver, ne serait-ce que par simple curiosité. Et si ce n’est pas un sens, ce pourrait être une connaissance particulière, inexplorée ? Et peut-être que cette recherche serait apaisante au fond, même s’il n’y a rien à trouver ? (C’est incroyable, il faut toujours se trouver une « raison » pour agir, moi qui parle de désintéressement !) Mais l’apaisement, ce ne serait pas une bonne raison ?

En tout cas Il faudrait de la ténacité devant le vide ainsi déblayé et les quelques rares bribes de concepts avec quoi commencer ; de la modestie pour ne pas nous raconter de nouvelles histoires lénifiantes d’auto-propagande ; de la fierté car il ne s’agit pas d’avoir honte de ce qu’on peut trouver, même si cela risque d’être mal jugé par les groupes sociaux ; et de la compréhension vis-à-vis de ce qui est éloigné de notre savoir-être et de notre savoir-faire, et de notre savoir-penser. Curieux programme, n’est-ce pas ?

129. L’initiative individuelle et le groupe.

Les relations entre le groupe social, l’individu et l’initiative personnelles sont très ambigües. D’abord, il y a une hiérarchie dans le groupe, même dans ceux qui se déclarent « égalitaires ». Dans ce cas la hiérarchie est naturelle. Par exemple, celui qui a une voix qui porte, des gestes ronds et une intelligence tactique aura toute facilité naturelle à prendre un ascendant dans le groupe, par rapport à celui qui a la voix ténue, le geste maladroit, une compréhension et une intelligence des concepts, mais pas de tactique. Bien sûr, la tactique s’apprend, mais elle ne s’applique bien que quand elle est innée, vous le savez bien : si vous n’avez pas le goût des cartes ou des échecs, malgré tous les efforts de vos professeurs, malgré les vôtres, vous arriverez au mieux au stade de  joueur honorable. (Je le sais bien, moi qui ai été obligé d’apprendre les cartes pour ne pas passer pour un sauvage : ces jeux ne conviennent pas du tout à mon genre d’intelligence). Une aptitude à la tactique, un petit quelque chose d’indescriptible, mais très réel, que l’on appelle « charisme », fera d’un individu un redoutable porteur d’initiative. Ces deux caractéristiques, tactique et charisme, sont en très grande partie innées, vous ne croyez pas ?

130. Hiérarchies chevauchantes, opportunités.

Il est bien rare qu’il n’y ait qu’une hiérarchie dans un groupe humain. Il présente, sauf exceptions comme dans un régiment militaire ou une sous-direction administrative (et encore…), un foisonnement de hiérarchies chevauchantes, parallèles, plus ou moins concurrentes. Ces hiérarchies bougent dans le temps comme bougent les combinaisons des pièces d’échec à chaque jeu. Sauf que dans les jeux de stratégie, chacun joue à son tour, et que dans le vrai chacun tente de jouer dès qu’il le peut, à la faveur d’évènements plus ou moins prévus… C'est-à-dire en même temps que les autres joueurs, qui utilisent le même évènement. Par exemple, dans une société banale, un directeur de fort charisme et de forte tactique en est arrivé à cumuler plusieurs directions en fin de carrière. Quand il part à la retraite ou s’il a un accident, dès le déclenchement des effusions obligatoires dans un comportement social civilisé, les stratégies se déploient en même temps que les candidatures : le pouvoir qu’il avait rassemblé dans sa main, être insatiable et modèle de courage que nous n’oublierons jamais, va-t-il de nouveau être scindé ? Mais alors, j’ai enfin ma chance ? D’autres y ont pensé,  je les connais et je dois jouer finement.

131. Le sacrifice.

Même si les hiérarchies auxquelles on peut faire correspondre une classification des fonctions dans un groupe social sont toujours existantes, on peut dire aussi qu’elles ne sont jamais totalement acceptées par les individus. Sauf une exception extraordinaire qui est le sacrifice individuel. Le sacrifice n’a rien à voir avec la médiocrité d’un type qui stagne dans sa hiérarchie, et qui se contente de son sort : cette exception là est héroïque et exemplaire, car il s’agit de perdre la vie de façon désintéressée, et dans ce cas l’homme, quel qu’il soit, est vraiment admirable. C’est assez rare, mais vous connaissez certainement un exemple parmi vos anciennes connaissances.

132. Brasier.

Ce sont les circonstances qui font le sacrifice, et une décision intuitive, immédiate. Personne ne peut dire d’avance qu’il se sacrifiera, même s’il se prépare psychologiquement. (Le plus horrible, si l’on est témoin d’une agression dans le métro, c’est de se trouver en hypoglycémie  en fin de journée, les bras mous et le moral bas,  et de détourner le regard avec les autres témoins… on ne s’en vantera pas). Si je meurs asphyxié en tentant maladroitement de sauver une petite fille du brasier, c’est d’abord parce que les circonstances se présentent, et qu’intuitivement je sais que si je la laisse mourir dans les flammes je ne pourrais de toute façon plus jamais me regarder dans une glace. Ce ne sont pas les règles sociales qui parlent à ce moment, mais celles, instinctives, du « singleton » : je n’ai pas le temps de penser ni de rien formuler mais je « sais » que je dois y aller. Ce faisant, je me place en au quart de seconde dans le groupe des « justes », quelle que soit ma position sociale et l’avenir qui me sera réservé.

133. Médaille.

Mon désintéressement ne dure pas si longtemps en général, que je refuse la médaille. Même si éventuellement  je déteste le gouvernement et que je n’ignore pas que l’inventeur de cette médaille était une brute tactique et sanguinaire d’empereur, qui a répandu en masse la mort et la désolation, reléguant mon action héroïque à une minuscule anecdote… Le temps est passé (8 générations) et cela m’arrange bien de n’en conserver qu’une légende flatteuse qui contribue à souder le groupe social qu’est la Nation. J’ai donc quitté l’action irréfléchie du « singleton » culturel, pour rejoindre avec honneur mon groupe social et sa hiérarchie, partageant cette médaille avec tous ceux qui l’ont eue.

134. Loin des états major.

Je suis pompier. J’ai l’habitude de risquer ma vie pour secourir des gens en difficulté dans toutes sortes d’endroits incroyables et dangereux. Jamais personne ne me proposera une médaille pour ces actions de désintéressement qui sont normales. Mais je suis aguerri, je suis fier de ce que je fais, et je ne sais pas ce que je pourrais envisager d’autre maintenant à part faire l’instruction des élèves pompiers ? Je suis soldat. J’accepte le risque et j’accepte ma hiérarchie écrasante, tatillonne, prévisible dans son imprévisibilité. Dans ce cadre, je peux développer une camaraderie : une sorte de groupe informel entre quelques individus de même condition. S’il se présente une mission potentiellement mortelle, je sais que celui que les circonstances désigneront parmi mes camarades, donnera sa vie aux autres. Toutes les aventures guerrières, au milieu du carnage et de l’incurie, contiennent un de ces petits coins de ciel bleu qui rappellent ces épisodes héroïques. Ils se construisent hors des hiérarchies, loin des états-majors. Si vous avez connu un théâtre d’opérations, vous avez un tel souvenir ?

135. Contrainte hiérarchique, décision personnelle.

Le kamikaze, bien sûr, fait dont de sa vie pour l’avancée de sa cause. De même l’esclave d’une fabrique. De même le saint chrétien qui, dans l’empire romain décadent, accepte le risque d’être livré en pâture aux lions du cirque. Son sacrifice est total, pour l’exemple qu’il montre et la victoire de son dieu, près duquel il sera assis dans l’au-delà. (A côté du chef tribal, physique ou virtuel, c’est la place d’honneur. L’honneur, cela se goûte en société ou dans sa représentation mentale). Il est très difficile de faire la part de l’obligation hiérarchique et celle de la décision personnelle dans ces sacrifices.

Je suis ouvrière textile en Malaisie, ou bien ouvrier dans une papeterie en Indonésie. Je suis issu d’une famille de paysans, mais depuis que les marchés ont été envahis par les productions subventionnées des pays riches, ce n’est plus viable et j’ai du émigrer vers la ville. Je me crève la paillasse pour que les anonymes qui détiennent les actions de la société multinationale qui m’esclavage touchent des dividendes. Mon sacrifice n’est pas consenti, mais je n’ai aucun autre choix sauf la mort. Je ne peux m’y résoudre car mon instinct me dit de survivre quand même. On me dit, entre deux brimades, entre deux menaces de relégation à la mendicité, que c’est pour le bien de l’entreprise.

Je suis soldat. Je ne peux pas refuser d’attaquer la position ennemie, alors que je sais que je ne passerai pas le feu de leurs mitrailleuses. Mais il est hors de question que je désobéisse, car c’est le peloton qui m’attend, et surtout, l’opprobre post-mortem. Alors j’y vais.

Je suis en train de suivre une formation de kamikaze en 2008. J’étais venu par passion. Aujourd’hui je ne sais plus. Je ne pense plus car j’ai des gestes à faire, sans arrêt. Ce n’est pas une danse, c’est une sorte de prière gestuelle, et je ne suis jamais immobile. Et je dois toujours penser aux gestes que j’ai à faire, cette prière gestuelle qui me remplit complètement. Je vois le paradis, cette félicité immortelle. On me l’a appris par cœur et je me le récite. Bientôt, bientôt le paradis.

136. Industrie papetière ;

A propos, vous savez que l’industrie papetière est extrêmement polluante ? Et que pour avoir le droit de faire fonctionner une usine de papier en Europe il faut lui adjoindre une station d’épuration des eaux sales extrêmement coûteuse en investissement (autant que l’usine de production), mais surtout en fonctionnement ? Evidemment, en Indonésie, pas besoin de station d’épuration, et la main d’œuvre y est 40 fois moins chère, souple, indifférente aux accidents car les autorités y veillent sur place. Et le bois ? Cette matière première pousse à coté, en lieu et place des derniers lambeaux de forêt équatoriale que l’on termine de défricher. Et l’on fabrique aussi dans ces usines des très bons papiers « recyclés », qui sont tellement prisés à cause de l’éthique. Les groupes internationaux qui détiennent l’industrie papetière ont fait le bon choix en délocalisant leur production, surtout qu’ils y ont été invités par les potiches gouvernementales, serviteurs vaniteux et zélés du millier d’empereurs internationaux que compte la planète aujourd’hui. Pour la curiosité, vous pouvez vérifier l’origine des ramettes que vous utilisez pour écrire vos puissants rapports sur le « développement durable ».

137. Nucléaire.

Bien sûr, d’autres groupes internationaux vendent des centrales nucléaires, et cela compense largement le « déficit commercial » causé par les délocalisations des productions « banales ». L’industrie nucléaire, cela ne produit pas de CO², on nous le répète souvent et nous sommes maintenant pénétrés du caractère finalement écologique de cette production si utile pour la production industrielle et le confort de tous. Elle produit aussi tout de même ce qu’on appelle tranquillement des « déchets nucléaires », qui dépassent par leur nocivité l’entendement humain. Cette nocivité ne correspond à aucune décision humaine gestionnaire : C’est que  la capacité de ces produits à tuer en masse tout être vivant d’ordre animal (et humain) se situe hors de notre échelle de temps. Par simple approche (pas besoin de contact) l’action mortelle de certains d’entre eux (les fameux HA-VL, les plus radioactifs et décrits pudiquement comme ayant une activité de « plus de 30 ans », dépasse les 3 millions d’années d’activité létale). Que disent les technocrates ? Que l’on étudie actuellement la possibilité de les stocker dans des containers et des lieux qui seront « sûrs » (sauf mouvements de terrains  et circulation « accidentelle » des eaux naturelles) pendant quelques siècles. Charge aux héritiers de notre civilisation de trouver la stabilité politique ainsi que les moyens techniques et financiers pour  reconnaître ces silos et les reconstruire tous les quelques siècles. Sous peine de mort généralisée dans des régions entières de la planète au hasard des disséminations par les eaux courantes et les poussières dans le vent…  pendant 3 millions d’années. (N’oublions pas que le verre, car ces produits sont  vitrifiés en une pauvre tentative pour les  rendre inertes, est soluble dans l’eau en quelques millénaires). Que met-on en balance face à cette pollution radicale, face à ce sacrifice planifié des générations qui auront la malchance de passer par là où la terre sera mortelle? La suprématie industrielle et financière, et le confort de quelques générations présentes…

Que disent encore les technocrates ?  Qu’une future génération de réacteurs permettra d’utiliser ces déchets « à 98% ». Ils disent moins que la recherche fondamentale correspondant à cet espoir technologique n’est pas encore faite, qu’on est seulement en train de construire les machines pour la faire et qu’il y a une certaine probabilité de réussir, impossible à déterminer par avance (la recherche fondamentale n’obéit pas aux désirs des hommes, mais c’est plutôt elle qui les guide).

Et les 2% qui restent, en mettant tout au mieux? Ce n’est pas beaucoup 2%... Sauf que vu la nocivité du produit, la question qu’il pose reste intégralement la même.

L’homme, dans la décision collective, a une conscience courte. Mais il n’est pas tout sur la planète : les êtres vivants qui existeront dans trois millions d’années, la pollution s’étant épuisée, auront finalement de la place pour diverger en espèces nouvelles, qui occuperont les niches écologiques désertées grâce à l’action collective du plus conscient des primates. C’est une consolation ? Non, une règle cosmique qui nous échappe.

138. Les règles et les hiérarchies.

Cette conscience collective, « conscience courte », se construit dans le groupe, et elle construit le groupe, les deux termes évoluant en symbiose au fil des évènements. Elle obéit à tellement de règles constitutives qu’elle peut être, littéralement, n’importe quoi (l’histoire nous l’a assez enseigné), pourvu qu’à court terme, quelques heures, quelques jours, quelques années, elle permette le confortement des  hiérarchies humaines en place : en effet, quand la règle change, la hiérarchie change et c’est une révolution. Prenons un exemple amusant : admettons, hypothèse d’école, qu’une règle change  dans le grand groupe social où nous nous trouvons en 2008, et que soit  donnée soudain de l’importance  à l’individu-animal (c’est absurde), ou que soit donnée de l’importance à ce qu’il reste de la forêt équatoriale (c’est complètement absurde), ou qu’il soit décidé que l’homme n’a pas à produire, en contrepartie d’un confort consumériste, des produits qui tueront au hasard et en masse pendant 3 millions d’années (c’est encore absurde)… Mais si cela arrivait, toutes ces énormes sociétés humaines agrégées en sociétés multinationales et accessoirement  en états, perdraient leur cohérence de court terme, la raison de leur agrégation : d’autres se créeraient aussitôt, de tailles minuscules, et… La suite ne serait pas absurde, elle serait ce qu’elle serait, dans son imprévisibilité.  Qui voudrait tenter de la raconter?

139. L’argument vrai : excellence humaine ?

Comment un groupe social, par l’intermédiaire de sa hiérarchie, peut-il décider d’infléchir la règle qui le régit ? Parce qu’il y est obligé à cause de circonstances extérieures (un tremblement de terre, un changement de climat, une pollution, une épidémie) ; soit à cause d’un rapport de forces externe (invasion militaire ou économique par un autre groupe humain,  ou contrainte diplomatique  avec l’invasion ou l’étranglement économique comme menace) ; soit le rapport de forces interne a changé (manifestations, rébellions, grèves, barricades, revendications) . Dans tous ces contextes, les discours de toutes les parties (remarquablement différents) ont un point commun : ils sont empreints de stratégie. Ils reflètent une réalité « tribale » en ce sens qu’ils représentent (souvent avec sincérité) un groupe de pression. Dans cette situation nouvelle et difficile, l’argument vrai se confond avec l’argument utile. L’argument vrai, c’est celui qui fait gagner la partie à celui qui l’utilise. Toute autre considération est secondaire : dans la relation humaine, le « vrai » a un sens tribal. Tous les avocats vous le diront en privé, et aucun homme politique ni aucun chef de grande entreprise, car ceux-là sont toujours en représentation et l’idée d’une expression « sincère » ne leur convient que si elle contient des « bons » arguments, c'est-à-dire qui les confortent dans leur position économique et sociale. Au contraire, les « mauvais » arguments sont ceux qui contiennent une menace pour eux-mêmes. Evidemment, dans ces conditions, on travaille sur le court terme  avec une conscience courte. C’est gênant pour la grande réputation d’excellence de « La Démocratie », vous ne pensez pas ? Et de l’excellence humaine ?

140. L’indépendance économique individuelle.

Il apparaît bien qu’une conscience élargie, porteuse d’élévation d’esprit par exemple ou porteuse de la simple prise en compte du « temps long », ne peut surgir que chez l’individu qui en aurait le loisir, c'est-à-dire qui ne serait pas trop esclave économiquement.  Elle ne viendra jamais du groupe lui-même, ni de ses hiérarques, ni évidemment de leurs intellectuels appointés qui luttent tous les jours, comme les autres, pour être au top niveau de la reconnaissance sociale.

141. Profil d’un intellectuel.

Moi, je suis un intellectuel appointé. C'est-à-dire que je vends mon savoir et ma capacité de recherche au plus offrant en échange d’un salaire, de primes, et d’une  reconnaissance sociale les plus élevés possibles, c'est-à-dire qu’au bout du compte j’obtiendrai peut-être une chronique dans un grand média. Pour cela j’ai appris le discours tribal, qui me valorise par une judicieuse présentation de l’argument que j’expose avec autorité. C’est de la science, c’est du solide dans notre civilisation et dans beaucoup de nos cultures.  Par ma bouche elle devient vraie. Devant un interlocuteur puissant,  J’utilise « l’opposition constructive et critique » : ainsi il voit mes quenottes et a tout le loisir de considérer le grand intérêt pour lui de finalement m’embaucher, pour que je lui serve de faire-valoir. Que mon discours tribal-intellectuel évolue de 180 degrés la semaine prochaine, puisque j’ai changé d’employeur, cela n’a pas d’importance de fond. Je sais déjà quelles autres études scientifiques je pourrai faire-valoir : ma conscience est à l’abri, et mon très cher corps d’homo-sapiens est  habillé de soie. Mes confrères ? Qui s’inquièterait d’une dispute de spécialistes ? Mon plan est parfait.

Vous me connaissez tous, en sciences si vous êtes scientifiques, en procédés de fabrication si vous êtes dans une industrie, en religion si vous êtes acteurs de religions, en politique si vous êtes des scientifiques-politologues, en ministre et en conseiller si vous en connaissez, en philosophie si vous avez appris les programmes des  philosophies, en économie si vous êtes économiste, en …

142. Pensées hors norme : pas de garde fou.

La naissance d’une conscience élargie chez l’individu, cela n’a pas de sens : elle se construit sans sens, forcément, dans toutes les directions puisqu’elle dépasse la conscience collective et n’y trouve donc pas les garde-fous qui évitent l’égarement aux membres du groupe. Comment trouver des références quand on quitte le cocon de l’idéologie sociale ? Là se trouve la véritable invention, qui permette de se garantir de la construction d’une autre idéologie, différente de celle que l’on quitte certes, mais qui risque de se révéler aussi courte ! La différence n’est pas gage de meilleure vérité. Comment faire ? Dans l’article 127 je parlais de modestie, de compréhension, de fierté et de ténacité… Je ne vois pas d’autre fil conducteur. Si ce que je trouve n’est pas modeste, c’est que je cherche à me faire valoir socialement. Si ma pensée manque de compréhension, c’est que je ne tiens pas compte des autres individus vivants. Si je n’ose finalement pas penser (je manque de fierté), c’est que je ne suis pas capable de penser par moi-même : je m’arrête aux garde-fous que me montre ma société. Si j’oublie ce que j’ai commencé, c’est que je suis suffisamment bien dans une pensée dominante que je rejoins en définitive…

143. Le scientisme, l’éthique et le marché.

Le scientisme, plus personne n’y croit. Il s’agit d’une doctrine qui s’est implantée au 19ème siècle, quand l’idéologie dominante a assimilé la découverte scientifique à une application utile à l’homme (entendez, l’occidental masculin). On sait aujourd’hui que toute découverte scientifique génère des applications qui peuvent être « positives » au moins dans l’immédiateté d’un siècle, et d’autres « négatives ». Le choix d’une application selon l’un des deux termes, positif ou négatif, dépend d’un seul facteur : le marché (le marché est la seule culture mondiale). En effet « l’éthique », sorte d’ectoplasme de consistance aussi diverse qu’il y a de cultures différentes dans notre civilisation, est un produit idéologique à l’usage de nos penseurs appointés. Elle alimente la palabre mais ne compte pour rien dans les décisions économiques finales, qui sont fonction du seul marché. Le marché, évidemment, fonctionne sur le temps court, et une conscience étroitement spécialisée en une certaine finance et en une certaine analyse macroéconomique. La « réussite humaine » se confond avec la réussite commerciale de « produits ». Cela concerne à priori l’atome, la biologie humaine, animale et végétale, la chimie militaire et civile, l’électronique et ses applications dans la traçabilité individuelle et idéologique, l’aéronautique, l’armement classique, les transports etc. Vous auriez des idées à échanger sur la question ?

144. Collusion hiérarchique.

La technologie, science appliquée, est vantée chaque jour par les responsables de l’organisation des sociétés, c'est-à-dire les politiques et leurs commanditaires multinationaux. Les uns comme les autres ont la conscience de leurs intérêts immédiats : parlez-leur d’une échelle de temps qui dépasse leur mandat, ou qui dépasse le temps commercial d’un produit et sa corrélation avec le versement escompté de dividendes aux actionnaires, et ils se sentent menacés. Alors ils utiliseront toutes les armes de leur position dominante pour vous abattre, vous les millions d’individus qui voient leurs ficelles : silence médiatique ou pire, coups médiatiques tous azimut le temps d’orchestrer une bonne polémique (que l’on appelle pluralisme), et plus personne n’est capable de se structurer la moindre idée sur une question.  L’instabilité économique individuelle, (« la flexibilité ») c’est un excellent moyen aussi de castrer intellectuellement les populations : on n’a plus  cinq minutes dans la journée pour réfléchir à autre chose que sa spécialité, il faut agir, avec obligation biologique d’utiliser le temps libre pour « se distraire », sinon on ne tient pas le coup. Vous êtes bien au courant, vous le vivez tous les jours.  Quand à ceux qui n’ont pas envie, ou pas la capacité mentale (innée ou acquise) de voir les ficelles, s’ils ont un capital ils ont tout le loisir de se tailler une place dans les circuits commerciaux et d’assurer leur trois fonctions vitales agrémentées d’une parade sociale à laquelle ils ne renonceraient jamais : c’est le sens de la vie en conscience courte… Mais peut-être que c’est le bonheur ?

145. Quitter le corps ?

Il existe chez l’individu le germe d’une conscience ineffable, qui ne serait pas dû à un manque d’assouvissement d’une de ses fonctions primordiales d’être vivant.  Il doit être possible de le trouver et d’échanger parfois le cheminement de cette recherche. Pour cela, force est dans un premier temps de procéder par élimination, en descendant avec attention l’homme de son piédestal. Procéder par élimination, ce n’est pas condamner, car dans ce cas la démarche consisterait à créer un groupe de « bons penseurs », une nouvelle tribu, ce qui rejoint le mode de fonctionnement instinctif de l’homme agrégé en sociétés. La pensée individuelle désintéressée est donc nécessaire, et son partage ne peut se faire que par paliers en évitant la palabre, car celle-ci est un rapport de forces dont l’histoire est remplie. Quitter le rapport de forces, c’est quitter le corps, quitter les corps agrégés en sociétés et leurs ciments d’organisation: dématérialiser l’idée d’une application matérielle tournée vers l’utile. Cela ne « sert » donc à rien, c’est inutile. Voilà le premier palier. Quitter l’utile, quitter l’utilitaire. Cela existe déjà, c’est le sens d’une partie de la recherche scientifique fondamentale, d’une partie de la recherche artistique, d’une partie de la recherche philosophique. Séparer la connaissance, l’idée et la création d’une quelconque application… Ce n’est évidemment pas dans les mœurs et requiert pour l’individu beaucoup de vigilance, une faculté aussi de s’extraire des cultures qui correspondent à son groupe social. Peut-être la liberté de l’homme se trouve-t-elle là, chez l’individu ? Vous pensez que c’est possible ?

146. L’absurde est une sensation.

La vision de l’absurde est un déclencheur. Par exemple, un adolescent songe à la mort comme le font les adolescents. Il s’amuse incroyablement avec une moto. Les sensations les plus fortes naissent en accélérant à fond en virage, en doublant là où il y a juste assez d’espace entre deux voitures qui se croisent. C’est limite, c’est grandiose. Et s’il survit jusqu’à la vieillesse, il s’en rappellera encore avec nostalgie sur son lit de mort. Ayant connu cette sensation  il se demande à quoi bon chercher à remplir sa vie en attendant la mort. Mais quelqu’un l’a vu et lui parle : aussitôt il détecte l’intérêt par le jugement. Il s’entend dire qu’il est con d’être comme il est, il est fou. Sous entendu, l’autre se trouve bien mieux car plus raisonnable : il ne s’aperçoit  même pas que s’il abaisse l’adolescent en question, c’est pour s’élever, lui,  au moins dans sa propre estime.  Il fait partie des gens biens. Rentré chez lui, l’adolescent voit ses parents. Ils sont inquiets car leur enfant représente leur immortalité. Ils ne le formulent pas comme cela, l’adolescent non plus, mais ce qu’il  sait, c’est qu’il refuse d’être la continuation de son père qu’il connait trop bien, et de sa mère, dont il pense avoir fait le tour. Cette vie là ? Jamais. Elle n’a pas de sens. Il voudrait trouver autre chose, entre deux sensations… Sa cérébralité est un chaos, où peut-être il entrevoit l’absurde… Que peut-il arriver alors ?

147. Du chaos nait l’idée ?

La trouvaille ne vient pas d’une réflexion structurée : elle vient du chaos, par intuition. (Mais bon sang, et si c’était…)  Après, évidemment, il est nécessaire de la comparer à ce que l’on voit, ce que l’on entend, lit, et reçoit des autres êtres vivants et de la constitution de la matière. Alors, s’il en reste quelque chose, il est possible de poursuivre. En fait, la découverte de cette « conscience courte » chez soi et chez les autres vivants, conduit à une marginalité sociale. Mais elle supprime aussi  l’inquiétude qui se situe aux marges cette  conscience.  Un chemin cérébral se trace peu à peu en même temps que surgit comme malgré soi une sensation d’apaisement. Par intuition aussi,  c’est elle, si elle perdure, qui montre que cette recherche n’est pas un égarement.

Fin de ce carnet.

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