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partage cérébral
2 septembre 2008

La croissance, avec culture.

50. La croissance avec cultures.

En rapprochant la nourriture, la reproduction et la défense-extension d’un espace vital, on obtient une croissance : l’être vivant, solitaire ou en colonies, hardes et troupeaux, obtiennent cette croissance avec des techniques et des savoir-faire édictés par l’instinct, qui sont contrés par le milieu où il vit. L’homme en sociétés  y déploie toute son ingéniosité en civilisations et en cultures, tout son art, toute sa capacité créative et onirique (qui le sert accessoirement à se justifier moralement)… et se trouve contré par le milieu où il vit.   (On sait bien que la vie n’est pas simple). Vous auriez des contre-exemples ?

51. L’hyper-sophistication des actes primordiaux.

Assurer ses fonctions primordiales d’être vivant, avec culture c'est-à-dire en société, c’est bon. C’est passionnant. Dans une civilisation technique comme la nôtre, cela devient hypersophistiqué. A l’heure actuelle, il n’y a aucune contrainte sociale pour que je dise un mot d’amour à mon amie, et c’est une bénédiction de notre modernité. Pour ce simple mot d’amour à celle qui, je crois, pourrait devenir ma compagne si tout un ensemble de conditions sont remplies, dont par exemple celle de respirer son parfum avec plaisir, et d’apprécier sa conversation après l’amour, j’ai besoin d’une centrale nucléaire et d’une prise de courant pour recharger la batterie de mon portable (oui, ma copine et en stage à l’autre bout de la planète, comme cela arrive à notre époque). J’ai besoin aussi de la fusée orbitale qui a lancé et installé le satellite de télécommunications que j’utilise automatiquement ; d’un puits de pétrole en activité, d’usines de chimie fine et de nanotechnologies pour la construction du téléphone que j’ai en main, et aussi d’un avion long courrier, d’un train de voyageurs et d’une voiture car il n’est pas exclu, si nous sommes d’accord, que j’aille la rejoindre pour les vacances. Objectivement, tout cela est nécessaire à notre époque exceptionnelle. Pourtant, cela me semble assez sophistiqué, alors que nos aspirations, à mon amie et à moi, ne semblent rien comporter de différent de ce à quoi ont aspiré mes ascendants depuis que le langage est appliqué à l’amour.

52. Sophistication humaine.

Dans la civilisation où j’exerce ma vie en même temps que vous exercez la vôtre, début 21ème siècle, les cultures humaines baignent dans l’hyper sophistication technique. C’est récent, quelques dizaines d’années. Toutes ces techniques sont chères et sont donc facteur de développement économique. Bravo. Mais en fait il est très facile de constater que tout cela vient à point se superposer à l’hyper sophistication humaine, qui existe depuis longtemps. Portons nous dans un village des années 1910 (juste avant la Grande guerre il y avait beaucoup d’hommes jeunes dans les villages, c’est pour cela que je me situe en 1910). Pour dire un mot d’amour à ma promise (alors que les familles sont au courant, la dot a été calculée, le curé a été interrogé, les querelles de jalousie vidées, ou toujours latentes, il faudra en tenir compte dans la vie) je dois m’assurer que son chaperon est disponible, et de bonne humeur pour qu’elle veuille bien détourner la tête et que l’on puisse, ma promise et moi, s’embrasser et se caresser les parties interdites… Dans ce cas un téléphone portable aurait été aussi utile qu’à présent, et aussi encombrant technologiquement, mais n’aurait, comme maintenant, rien changé au fond. La sophistication qu’il représente ne présage en rien d’un changement de registre des préoccupations profondes. Mais peut-être  y a-t-il  des exceptions?

53. La clandestinité, nécessité de tous les temps.

La relation clandestine existe aussi : se reconnaître une affinité, se voir et se revoir sans que personne ne s’en doute ! Quel pied ! C’est mystérieux, passionnant, dangereux… Et très compliqué à insérer dans deux vies qui par ailleurs ont leurs obligations… Dans un groupe tribal paléolithique (très structuré, il n’y a pas de doute) d’une bonne centaine d’individus, des sympathies particulières pouvaient sans doute naître entre deux êtres, que l’organisation sociale séparait… ! A l’époque classique on aurait appelé cela de l’amour et on en aurait fait une pièce de théâtre  sur l’évolution de la société, suffisamment cryptée pour que l’Eglise ne la condamne pas, et que le roi aurait peut-être vue et applaudie. Mais au Paléolithique ?  Quels trésors d’ingéniosité ces amants privilégiés devaient-ils développer pour goûter de temps en temps, leur complicité, sans qu’un gros jaloux, chef ou copain du chef, ne vienne tout gâcher par pur dépit, par jouissive méchanceté ?

54. Fonctions primordiales, consciences courtes.

Ainsi il se trouve qu’avec des codes culturels, épanouir en société les 3 fonctions primordiales de l’être vivant, c’est d’un intérêt toujours renouvelé, et d’une jouissance physique et intellectuelle toujours neuve, totalement insatiable… Et qui n’ont aucune raison d’être satisfaite (on sait bien que dans le « bonheur », au bout de peu de temps il manque un petit plus qui devient vite nécessaire, et ainsi de suite). Cet épanouissement se fait  avec une conscience courte des « choses » (on ne peut pas tout réifier sous peine de contresens, mais c’est une façon simplificatrice de m’exprimer), qui induit une ingéniosité, une intelligence tactique, immédiate, se nourrissant d’une vive et utile curiosité, d’une faculté décuplée à comprendre et interpréter les situations et les phénomènes par la concentration de l’esprit sur le but à atteindre, bien circonscrits dans ces trois registres primordiaux. Au fil des civilisations qui font notre histoire, leur complexification, leur sophistication sont proportionnelles à l’accumulation des découvertes et des connaissances, surtout des connaissances scientifiques et leurs applications dans des machines et des appareils… On en arrive avec bonheur à cette  espèce de summum technicien, toujours dépassé, que nous vivons en ce début du 21ème siècle après JC.

55. Un autre gisement culturel.

Avec une conscience large, l’ouverture d’esprit  permet (et oblige aussi, ce qui est pénible pour la tranquillité mentale) de  regarder le cosmos et la planète de l’intérieur, avec des hommes et d’autres êtres vivants sans à-priori hiérarchique,  c'est-à-dire permet de chercher une compréhension de nos complexions physique et cérébrale et de leurs environnements, qui ne soit pas entachée d’auto-propagande (les hommes lâchés dans un terrain de jeu qui leur serait spécialement dédié pour le « mettre en valeur »). Mais du coup l’intérêt et le plaisir de la sophistication des 3 fonctions primordiales, s’ils prennent encore beaucoup de place, apparaissent vains… ce qui bizarrement ne les gâche pas du tout !…  Savoir voir  ne gâche rien, il faut l’expérimenter pour s’en rendre compte! Mais cela permet d’envisager de cultiver d’autres préoccupations… Oui mais lesquelles? Quelles  autres préoccupations sommes-nous capables d’inventer, qui ne seraient pas d’origine instinctive?  C’est cela qu’il faut trouver, il n’y a  aucun doute. Vous en avez sans doute une idée ?

56. Le privilège de la conscience courte.

Ai-je l’air de dévaloriser ce que j’appelle une « conscience courte » ? Je ne le voudrais pas, car après tout, il s’agit d’une caractéristique humaine, ni bonne ni mauvaise, participant de la réussite  fulgurante de l’homme sur sa planète, qu’il convient de prendre comme elle se présente. D’où peut-elle venir ? En tout cas, elle n’est pas qu’utile, car si elle apporte tant d’efficacité à la réflexion et à l’action humaine, elle induit  aussi la prescience d’un néant à ses confins : que vais-je devenir si les circonstances que j’essaie d’infléchir en ma faveur et en faveur de miens, ne me sont tout de même pas favorables ? Après ma mort, serai-je totalement mort ? J’ai du mal à m’y résoudre, et de toute façon mon Directeur de conscience me dit que j’ai une âme, et je l’accepte avec évidence car cela me soulage. Que m’importe si les autres n’en ont pas ? Je ne suis pas responsable. Qui se sentirait responsable ?

57. Les éternités.

Mon directeur de conscience me dit que si j’obéis à certains préceptes, je peux faire partie de ceux qui auront la vie éternelle.  Je rejoindrai alors le groupe des justes qui méritent la récompense suprême pour les siècles des siècles.   Si je compare à l’existence humaine (1800 siècles) et à l’existence de la vie sur la planète (38 millions de siècles), à celle du système solaire (160 millions de siècles) « les siècles des siècles », je ne comprends pas bien ce que cela veut dire. Mais c’est discutable aussi si on réfléchit aux consistances du temps (en quoi le temps consiste-t-il ?). Mais je n’y pense pas, ma conscience est courte, et je préfère croire, même vaguement. Et puis, « des siècles et des siècles », c’est sans doute beaucoup par rapport à ma vie biologique, et je n’arrive pas à m’imaginer au-delà. Je n’en ai pas besoin, je fais confiance aux prêtres de mes religions, comme les hommes l’ont fait depuis qu’ils portent ce fardeau cérébral qu’est « la conscience ».

58. La vie sensée, la  bonne vie.

A la fin de sa vie, quand on a été curieux et qu’on a utilisé tous les registres des  cultures qui nous sont disponibles au sein de la civilisation où nous avons vu le jour, quand on a utilisé au maximum les registres de sophistication et d’embellissement des 3 fonctions primordiales de l’être, et qu’ainsi on a pu dans une certaine mesure croitre soi même dans la société, mais aussi les siens, sa ville, sa région, son pays, ses idées, qu’on a participé à rendre excellent le système mental et physique d’organisation sociale auquel on a participé activement, alors, on a réussi sa vie. Les amusettes auront en plus « bien vécu », les sérieux auront marqué leur époque avec sérieux. A charge aux descendants de continuer comme cela : tant qu’il y aura des chantiers à mener, des domaines à conquérir (pour le bien principal du groupe social même le plus réduit), il y aura des vies réussies. Il est légitime que chacun cherche cette réussite. Même chez les poètes, l’individu qui au fond de lui ne s’accommoderait pas d’une reconnaissance sociale, serait une exception extrêmement remarquable. Je ne connais personne dans ce cas. Et vous ?

59. Prédation et fuite en avant.

Le prédateur humain dans son contexte, tout à l’épanouissement de son groupe culturel (quelle que soit sa culture) est indulgent au malheur de ses proies.  C’est dans l’ordre naturel des choses. Reste que même dans le cas de figure d’une réussite totale  sur plusieurs générations (une réussite de plus de 4 ou 5 générations, sans subir les assauts de sous-groupes culturels concurrents, c’est sans doute l’exception au cours de l’histoire) il se pose la question d’un manque. Les doutes, écartés dans la réflexion et dans l’action, renaissent spontanément. Est-ce parce que la partie de conscience utile à la victoire, serait trop courte finalement pour satisfaire un esprit comme le nôtre, et serait capable de générer  après l’émotion de la réussite, « la mauvaise conscience » ? Une façon bien connue de l’apaiser consiste à l’oublier dans de nouvelles conquêtes pour un pouvoir ou un bonheur plus fort, par exemple. Mais peut-être que … il y a des chances que le schéma se répète dans la même perspective d’insatisfaction ? 

60. Une exploitation réussie jusqu’à la fin.

Ce qui est arrivé à l’île de Pâques, avec ses grandes statues mystérieuses, est dramatique.  Deux tribus polynésiennes, arrivées par bateaux à l’époque du moyen-âge européen, s’y sont affrontées pendant quelques siècles, pas plus. L’une y a construit ses cathédrales (ces fameuses statues), l’autre s’est contentée de vivre.  Entre deux combats, elles ont défriché et exploité par l’agriculture et l’élevage tout le petit territoire. Mais les terres se sont appauvries et la production a chuté. Les deux populations ont fondu, et il ne restait plus que les descendants haves et faibles de ces deux tribus guerrières, pour accueillir les premiers voyageurs européens et américains, qui ont mis tout ce petit monde d’accord en l’exterminant par jeu (il y a beaucoup d’amusettes chez les voyageurs) ou par esclavage (il y a aussi pas mal d’hommes d’affaires). Quel rapport avec la multitude des peuples et la vastitude des territoires de la planète, et cette ile minuscule ? Et quel rapport avec  l’idée de la prééminence d’une conscience courte chez l’homme ? 

61. La stratégie, c’est le temps court.

Et s’il n’était resté qu’une seule tribu sur l’île de Pâques? En effet, L’anéantissement de l’autre aurait été hautement justifié par tous les stratèges politiques, religieux monothéistes, militaires et économiques, pour le bien (de la tribu vainqueur, et de la Vérité. Pour le bien du dieu de la tribu vainqueur). Peut-être que la conscience des stratèges est trop courte pour considérer que, le temps se déroulant, il y aura toujours deux tribus ? Et s’il n’y en a qu’une, elle se scindera en deux ou en trois le plus rapidement possible a cause de la capacité d’initiative de la cérébralité humaine : Connaissez-vous un territoire physique ou virtuel  où il n’y aurait qu’une seule tribu dominante pendant plus de trois générations ? Nous les compterons ensemble.

62. Une langue en bois.

Dans une île, une région, un continent, une planète exploitée par plusieurs groupes humains, intelligents, vecteurs de cultures fortes et sophistiquées, conquérantes, il ne suffit pas de désigner et d’expliquer un fait (quelle que soit son évidence) pour convaincre l’ensemble des groupes.  Pourtant le langage est là qui semble fait pour échanger… Mais quand plusieurs groupes humains sont en présence, le rapport de force,  l’identité-territoire mental, influent beaucoup sur le caractère opérant ou non du langage : quel que soit le sujet, quelle que soit l’importance en nombre ou en renom de ces deux groupes, on est dans le domaine de la négociation et de ses passionnantes sophistications mentales. Les exemples abondent, et ce sont les contrexemples qui sont des  exceptions. De ces exceptions qui permettent, si on choisi personnellement de le faire, de croire en l’homme !

63.  Le langage et la prédation.

Jai besoin de savoir qui t’envoie pour comprendre le sens des mots que tu assembles et que tu prononces, pour pouvoir comprendre ce qu’ils cachent d’amical ou d’inamical. J’ai besoin de confiance en même temps que de méfiance pour comprendre ce que tu dis. C’est fatiguant, mais cela confère énormément d’intérêt et de variété aux rapports humains, à partir de 2 personnes en présence… Depuis que notre histoire est racontée par l’écriture, depuis 5000 ans, n’y a-t-il pas de nombreux exemples ? Ou n’est-elle faite que de ces exemples ?

64.  L’éloge d’une conscience courte.

L’incompréhension, malgré le langage, est tellement répandue et naturelle qu’elle doit être une attitude instinctive : en effet si tu te mets à comprendre les sphères d’intérêt, et les intérêts tout court, d’un autre groupe humain, c'est-à-dire à les considérer «impartialement » (c’est impossible), mais sans référence à tes propres intérêts et à ceux de tes proches (c’est possible mais absurde en droit), tu perds ton appartenance sociale. Et tes amis te diront : de quoi parles-tu là ? Comment parles-tu là ? Tu roules pour eux ou tu roules pour nous ..? C’est très dangereux d’essayer de comprendre l’Autre, car  tu es immédiatement suspect de traîtrise par tes alliés. Et tu es un mêle-tout, qui te charges l’esprit de problèmes qui ne sont pas les tiens (on a des penseurs appointés pour cela), alors que tu ne sais même pas conduire ta propre maison !

65. Théorie des ensembles.

On parle beaucoup de « groupes » dans ces lignes  et même de « tribus ». Mais on pourrait aussi bien dire « ensembles » et « sous ensembles » comme en maths. Dans notre civilisation qui couvre la planète (les îlots d’autres civilisations sont minuscules et contaminés), on voit plein de cultures différentes qui affectent des sous-ensembles de gens différents. Cultures urbaines, périurbaines, « rurbaines », rurales, balnéaires, nomades, etc. pour ce qui est de leurs localisations ; cultures littéraires, audio-visuelles, industrielles, techniques, numériques, économiques, sportives, sexuelles,  religieuses, politiques, militaires, musicales, philosophiques, oniriques, etc. pour ce qui est des « genres » de pensées partagées, au moins temporairement, par leurs adhérents…

66. Des tribus, regroupements physiques et virtuels.

Toutes ces catégories culturelles se chevauchent et se superposent pour former une partie importante de la cérébralité individuelle, l’apparence aussi, le mode de vie, l’onirisme. Les gens que l’on rencontre, nous même aussi,  nous reconnaissons de façon plus ou moins formulée une appartenance à un tas de groupes. Nous nous y reconnaissons pour quelques secondes (le temps d’une phrase entendue : « je suis d’accord ») ou pour dix, mille générations. Pour être mouvant dans le temps et dans l’espace, ce sont ces groupes auxquels sont attachés les individus  qu’il me plait d’appeler « tribus ».  C’est un mot ancien, coloré avec des cris et des chansons de ralliement, des pensées structurées autour de préoccupations communes, des règles, des sacrifices, des transgressions… Pourtant, la dernière appartenance de l’individu me semble être, sauf cas particuliers, la sienne propre, avec la conscience de sa propre entité. Un des « groupes » d’appartenances particulièrement important, c’est le « soi ».

67. Transgressions.

Alors finalement, combien faut-il d’individus pour faire un « ensemble » humain au sens mathématique et au sens social un « groupe » ? Un seul, car il contient évidemment de multiples appartenances. Ce « je » a la conscience très forte de sa propre entité.  Pour me faire plaisir ou par simple dérision, par faiblesse ou par un trait de caractère personnel,  je transgresse un peu… Je ne devrais pas boire, mais… Ah ! Quel plaisir. Je ne devrais pas dire en société… Mais je le dis, et ainsi j’existe, j’acquiers du relief à mes propres yeux et aux yeux des autres ! En bref, Je suis un être d’initiative. Transgresser les règles édictées par le groupe, cela fait partie du renouvellement de  l’intérêt pour la vie. Quelles sont vos transgressions-créations préférées ?

68. Tous singletons culturels.

Pour me faire plaisir, j’aime juger différemment des jugements dominants : certaines pratiques acceptées, promues, valorisées par la société qui me compte comme membre, la culture qui remplit les 99% de ma vie physique et cérébrale, peuvent me sembler épouvantables. Par exemple (les exemples sont provocants), manger un animal me plonge dans l’horreur, imaginant la panique qu’il a connue devant la mort et pendant l’agonie ; remplir mon réservoir d’essence me plonge dans l’horreur de l’agonie des peuplades qui ont été déplacées, « déshumanisées » (leurs cultures foulées au pied), pour laisser place nette à l’activité d’extraction du combustible brut.  Ce sont évidemment des réactions personnelles, cachées, que je ne peux chercher à partager hors de cercles très minoritaires. Dans mon milieu c’est impossible : je passerais pour un sensible, un con en fait, qu’il faudra songer à déboulonner avant qu’il ne pervertisse, par son audience éventuelle, notre culture conquérante,  et ne menace des filières entières de l’industrie et de la consommation.  Alors quand je le peux, seul, j’envisage un repas sans mort animale : je forme à ces instants un ensemble social d’une seule personne, un groupe d’un seul élément (drôle de groupe, moi-même et mes songes), un singleton en maths. Cela vous arrive-t-il parfois, quelques minutes, de former un singleton culturel, soit physique, soit mental, soit les deux ?

69. La plus grande appartenance.

Il faudrait donc au minimum un individu pour composer un « groupe unipersonnel», une entité sociale sous la forme d’un singleton, qui serait le point de chevauchement d’un grand nombre de caractères  culturels et sociaux assemblés chez lui, ne serait-ce que quelques secondes. Et le plus grand ensemble, combien contiendrait-il d’individus ? Qui n’a pas la sensation d’appartenir à l’Humanité, ancienne, contemporaine, ou à venir ? Qui ne se sent pas de la même essence que ces êtres qui ont dessiné sur les parois des grottes, il y a 30 000 ans (même si ceux qui étaient capables de le faire étaient sans doute très minoritaires à l’époque comme maintenant ?) Qui ne se sent pas solidaires de tous ceux qui n’ont rien laissé, même pas leurs os, et qui ont perdu leurs outils depuis 180 000 ans ? Et même de ceux d’avant encore, qui n’appartenaient pas à la même espèce, mais ont taillé, eux aussi, des outils de pierre et les ont semés depuis 2,5 millions d’années ? Et, de l’autre côté du temps, de ceux qui viendront, nos descendants, jusqu’à la fin de l’espèce ? Cela fait un ensemble regroupant tout ce qui ressemble à l’homme, passé, présent et à venir !

70. Le groupe, la tribu, le contrat inter tribal.

La « tribu » des amateurs inconditionnels de Jimmy Hendrix, ce n’est pas joli ? Ou du groupe Ange en France (seuls les initiés comprendront, c’est une question de couleur des sons et de voyage plané, quand ils ont encore le plaisir d’assister à un concert, ce qui est rare.  Et ils crient « merci ! » à la fin du rappel qui a duré une heure, en une sorte de communion). La « tribu » des amateurs de combats de chiens à Marseille, cela ne va pas. Disons que c’est un « groupe » de spectateurs et de parieurs qui n’est soudé que le temps de cette performance illicite. Pendant le combat, se dessine le groupe des  parieurs sur le chien A, et le groupe des parieurs sur le chien B. Et il y a le groupe des organisateurs, très structuré le temps de l’évènement, et le groupe des propriétaires de chiens. Mais dans de dernier, il y a le propriétaire de chien A, qui est en lice, et du chien B aussi, qui subissent un stress antagoniste, et ont de fortes chances d’être un peu ennemis le temps du combat. Il y a le groupe de la police aussi, qui n’intervient pas ce jour là parce que l’organisateur a des renseignements à fournir contre service.  Bien qu’il reste dans le groupe de truands, il arrive à négocier un accord avec le groupe voisin que forme la police, ennemi en général, car à ce moment les deux « croient » à la parole qu’ils échangent. Leur contrat est éphémère, assez fragile, mais c’en est un.

71. Une description.

La vie humaine, en sociétés, est un roman, et quand on l’aborde en songeant à une « théorie des groupes », avec un regard plongé dans le temps profond, la conscience s’élargit.

72. L’intuition, cet incontrôlable.

Une conscience trop vaste est nuisible à l’individu et risque de le paralyser. Comment considérer l’idée d’un cosmos milliardaire en temps  et en distances et vivre normalement ? (Et je ne parle pas du « tout petit », des constituants fondamentaux de la matière –à cette échelle là c’est tout autre chose de que la matière– dont les espaces confinent également à l’infini).  La fourmi et le lézard ne se posent pas tant de questions. Ils se reproduisent se nourrissent et défendent leurs petits territoires selon  les protocoles induits par leurs instincts d’espèce, et n’ont besoin de nulle idée de l’existence d’autres fourmis et d’autres lézards ailleurs que dans leur pays. Mon malheur humain est que je peux être affublé de la conscience  d’un  énorme écrin (variable dans le temps) qui me contient et contient tous les êtres vivants ou morts, dont je fais partie d’une façon certaine, mais dont je me sens si différent aussi. Est-ce récent ? Pour ne pas insulter la mémoire des anciens, bien qu’ils n’aient pas connu l’observation scientifique, je dois considérer que cette conscience de l’existence de territoires inaccessibles, physiques et cérébraux,  existait bien avant la philosophie écrite. Car elle est perceptible par intuition. Vous savez, cette petite alerte interne incontrôlable, qui induit autant vers le « vrai » que vers le « faux » ?

73. Gros cerveau, fine stratégie, succès tribal.

Cette conscience superflue et gênante est sans doute venue à l’homme, exacerbée, après transmission de ses ancêtres  (Homo habilis et erectus) en même temps que le cerveau faisait un bon de croissance, en une aptitude adventice à son utilisation principale qui consistait certainement à tirer son épingle du jeu dans les sociétés humaines, comme maintenant. Sinon, comment considérer que cette hypertrophie cérébrale ait pu se montrer simplement viable, passant de 1000   à 1300 cm3, alors que les outils pour la nourriture et l’artisanat, fleurons de nos espèces ancestrales, ont peu évolué jusqu’à la période très récente du néolithique et de l’avènement de la fameuse pierre polie Il y a 10 000 ans?  Notre propre espèce, avec nos potentielles capacités cérébrales (la conformation du cerveau qui caractérise notre espèce n’a pas évolué depuis son avènement) existait depuis 170 000 ans, soit plus de 6500 générations avant que ses outils témoignent d’une inventivité radicalement nouvelle! (tandis que l’expression artistique, attachée  à la conscience, s’était déjà développée). C’est que l’outillage ne reflète  pas cette croissance du cerveau.

74. Valeurs officielles ? Valeurs tribales.

Les membres de notre propre espèce n’avaient pas appris à compter en milliards d’années. Pendant 170 000 ans ils n’ont pas trouvé l’intérêt de faire beaucoup évoluer leurs techniques, qui somme toute étaient viables puisqu’ils ont eu des descendants. Mais, devinant les vastitudes inexplorables, les plus rêveurs considéraient la taille du ciel et s’exerçaient à considérer l’infini, et doutaient des explications que leurs hiérarchies religieuses et politiques leur assénaient pour qu’ils se tiennent tranquilles et que le groupe soit solide… Nous en sommes à peu près au même point, malgré le développement intellectuel et technique.

75. Je réfléchis, et soudain…

Le loup hurle à la lune. Mais s’occupe-t-il seulement de la lune ? N‘est-ce pas à lui-même qu’il crie son existence, ne la crie-t-il pas aux siens, à ses proies aussi, galvanisé, énervé, inquiété par cette pleine lune si étrange ? L’hominidé ancestral, contemplant l’inconnu, vivait en groupes de quelques dizaines d’individus, avec certainement comme aujourd’hui des hiérarchies et des revendications mouvantes, des « plans » pour tirer son épingle du jeu social, promus par  des membres du groupe, selon les personnalités et les opportunités. Ainsi s’aiguisait l’esprit  dans la nécessité vitale de comprendre des stratégies toujours modifiées par une conjoncture évoluant année après année, au jour le jour. Il fallait se tenir au courant des affaires du groupe, comprendre les non-dits, les sous-entendus ; analyser les situations ; se faire violence personnellement : j’ai peur, je suis intimidé, j’ai quelque chose à perdre et à gagner, c’est un dilemme. Soudain, je sens que je ne peux faire autrement : j’agis, je fais copain avec untel, je modifie mes alliances, j’exprime ou je me rallie opportunément à un avis. Toujours en réfléchissant ? Non, l’intuition, la passion et la faim de tout ce qu’il faut pour assurer ma parade sont omniprésentes.

76. L’opportunisme : n°1

Ces exercices cérébraux dans le groupe d’hominidés, malgré les discours de propagande,  sont le plus souvent triviaux, veules, « immédiatement intéressés ». Nous le vivons encore aujourd’hui il me semble, au sein d’une famille, d’une ville, d’un pays, d’une PME ou d’un groupe international, d’une « communauté » scientifique ou intellectuelle. L’opportunisme social est le premier produit de la merveille cérébrale qui nous caractérise, et  ne serait-t-il pas intéressant et fécond de prendre le recul nécessaire pour le constater, pour oser ne plus se réfugier derrière des exceptions éclatantes, trop exceptionnelles pour être significatives d’une nature presque aveuglément prédatrice, et  nous prendre (oser nous considérer) comme nous sommes ? Par simple curiosité inutile, ou dans le but éventuel de s’en sortir, peut-être.

77. La tentation du pouvoir.

Dans une petite société ancestrale, l’esprit s’exerce comme malgré lui à la réflexion dans ce contexte de village nomade, tribal, globalement heureux certainement car le gibier abonde en général ainsi que les plantes comestibles. La complication ne vient pas de la quête de nourriture, elle vient des hommes. Peut-on imaginer une famille forte, avec des mâles bien bâtis et des femelles fécondes, un ciment culturel solide et porteur de fierté, ne pas être tenté d’exercer une domination sur la famille voisine dont les adolescentes sont graciles et les hommes capables d’effectuer sous une contrainte excitante et distrayante pour celui qui l’exerce, de menus travaux ? Ne serait-ce que par jeu ou par intérêt ? Ou par principe ? Ou parce que ces voisins sont concurrents, haïssables, et que cela devient un devoir de leur expliquer le « bien » et de les forcer  pour l’avènement de ce  bien, et conforter encore le ciment culturel des vainqueurs ? C’est souvent une question de survie ; ou utilitaire ; ou de poursuite instinctive d’une « croissance » ?

78. Une mortelle énigme.

Le temps passe et les interrogations sans réponses sont devenues insupportables. La plus ancienne tombe comportant un élément destiné à accompagner le mort concerne notre espèce et date de 100 000 ans. Il s’agit d’un enfant avec une tête de cerf posée dans ses bras. La mort est une énigme pour l’être conscient, parce qu’il a la ressource cérébrale de se poser la question. Les créations artistiques, poétiques par essence, comblent l’incompréhension naturelle et permettent de supporter  cette conscience, qui autrement serait capable de nous empêcher de vivre.

79. Cela dit, bien avant l’hominisation, les grandes caractéristiques qui font la cérébralité étaient déjà installées chez les primates et aussi chez les mammifères, bien qu’étant réparties très inégalement selon les individus. Le courage ou la couardise ; la facilité à se mettre en colère ou la tendance à la pondération ; la volonté tenace ou volage ; l’enjoué, le sérieux ; le sournois, le direct. Ainsi deux chiens de même variété et de même taille, deux frères-chiens d’éducation comparable, pourront avoir des caractères très différents. Deux tigres également, tous les dompteurs vous le diront. Pour les chevaux n’en parlons pas. Et les oiseaux, qui  sont issus d’une variété de reptiles à l’ère secondaire ? Y-a-t-il des individus oiseaux, dans une même espèce, qui seraient par exemples plus belliqueux, plus gloutons, ou plus curieux que d’autres ? Qui a observé avec finesse des  oiseaux vivants, c'est-à-dire à l’échelle de l’individu et non pas à celle des particularités d’espèce ?

80. La cruauté pose problème.

Qui n’a pas fait cuire un crabe en le plongeant vivant dans une marmite d’eau froide, avec du thym et du laurier, que l’on chauffe lentement jusqu’à ébullition pour que la chair reste bien ferme et agréable sous la dent ? Combien de temps agite-t-il les pattes spasmodiquement jusqu’à ce que la chaleur le tue ? Mais le crabe, agitant les pattes, peut-il ressentir une douleur ?  Et l’ours, mammifère plantigrade souffre-t-il quand, enfermé dans une cage ayant exactement sa taille, les visiteurs goguenards de ces zoos de l’autre bout de la planète enfoncent chacun à leur tour, avec volupté, une aiguille dans son ventre ? Au bout du 2000ème visiteur, a-t-il ressenti une douleur physique ? Ou morale ? Dans la cruauté, dans la torture, il y a un raffinement, une jouissance ressentie instantanément ou escomptée.

81. Une chair savoureuse, un nounours, une chasse au loir.

Je ne fais pas moi-même la cuisine au restaurant. Mais en commandant une truite au bleu ou un crabe, mets raffinés, je sais bien comment ils sont préparés. Et je suis prêt à refuser l’addition si la chair n’est pas savoureuse. Quand j’achète un nounours à mon enfant, je sais bien (le sais-je ?) qu’il a sans doute été cousu par de jeunes esclaves dans des fabriques lointaines. Ce nounours est beau et pas cher, c’est ce qui m’a séduit. Et le chat qui joue avec passion avec le loir qu’il a attrapé ? Qu’en pense le loir, et qu’est-ce que je peux en penser ? Car moi  je pense, on me dit que je pense et j’en suis facilement persuadé,  je ne suis pas un bête chat ni un perdant de loir.

82. La transe du guerrier.

Sur ce sujet très gênant, la cruauté, je m’interroge encore un peu en songeant à la jouissance. N’a-t-on pas entendu parler, à toutes les époques historiques, de soldats conquérant une position, une ville, un village, un douar (village nomade en Afrique du nord), prendre plaisir au butin, certes, mais aussi au viol et au dépeçage d’individus encore geignants, et poser pour la photo entre camarades, brandissant des têtes de combattants vaincus? J’ai déjà vu de telles photos, mais je ne sais pas si elles étaient truquées. Est-il vrai aussi que le tortionnaire mâle bande en s’appropriant la douleur de sa victime, et que le tortionnaire femelle ressente des ondes souveraines dans les cuisses, le bas-ventre et les seins ?

83. Mon champ de conscience s’arrête à l’art ?

La cruauté est une sophistication comportementale qui semble venir de très loin et concerne, il me semble, les consommateurs de proies vivantes qu’ils attrapent et dont ils jouissent pendant l’agonie, et le plus souvent après l’agonie en se nourrissant. Je ne porte pas de jugement de valeur : je ne suis ni crabe, ni souris, et il ferait beau jeu que je me mette à la place d’un cochon à l’abattoir, qui, avant d’être proprement électrocuté, a senti la mort à l’instant même  où la bétaillère s’est arrêtée dans la cour de l’usine, et a hurlé en s’agitant avec ses congénères, pendant des heures, avant son transbordement dans la chaîne de production. Un porc, simple animal bête, sale et frustre, avec lequel je partage un ancêtre qui vivait il y a 85 millions d’années,  est-il capable de la moindre sensation ? Je n’en sais rien. Ce n’est pas une question qui entre dans mon champ de conscience. C’est que je m’intéresse aux hommes, moi, et les porcs n’y ont de place que pour leur viande sur laquelle j’érige un art : la gastronomie. Il n’empêche, j’ai rencontré des gens tout à fait normaux qui se posent la question, et dans un  but de transcendance que j’aimerais bien comprendre, évitent avec une touchante maladresse de se trouver dans une chaîne de cruauté. Y aurait-t-il vraiment un avantage quelconque (non pas gastronomique, mais cérébral, puis intellectuel) à ne pas participer à cette cruauté d’espèce?

84. Le conflit propre.

Fort de mon intérêt pour les hommes, je réprouve la torture dans les conflits. D’ailleurs, en pensant bien, j’estime avec facilité que ces actes sont le fait d’individus désaxés ou malappris, qui doivent être punis. Mais j’estime aussi qu’il est facile pour la partie adverse de criminaliser ces cas: ces adversaires sont capables de toutes les lâchetés.  Chez l’homme juste et courageux, appartenant à une société bien organisée, qui fait honneur à l’Homme par ses techniques et ses valeurs (c’est à dire pour tous les groupes humains considérés de l’intérieur) la négociation est privilégiée.  La guerre ne survient qu’entre deux palabres, deux négociations, quand l’adversaire est irréductible aux bonnes raisons. Les négociations concernent les émissaires de deux groupes (au moins) qui sont remplis de raisons valables dans leurs cultures.  On y a le trac devant l’éventualité d’un conflit armé (entre deux pays, entre deux entreprises, entre deux familles, entre deux gangs…) si les adversaires sont capables d’opposer une résistance.  Mais on en éprouve aussi un plaisir secret, à l’idée du pouvoir absolu sur les êtres que le conflit génère si les batailles sont victorieuses.  On peut même dire que la menace du conflit écrasant est  un argument non dépourvu de suavité dans la palabre. Car il n’y a pas de négociateur qui ne sache, au moins d’un savoir livresque bien détaillé, ce qu’il se passe dans un conflit armé.

85.  La norme de l’activité belliqueuse.

Il y a toujours eu des guerres, même alors que la palabre n’existait pas encore, faute de pouvoir parler. Mais chez certains animaux par exemple, on pouvait quand même crier ou hérisser ses poils pour prévenir qu’on ne supportera pas cette situation et qu’on allait attaquer. Puis c’est peut-être l’attaque, chaque espèce ayant son protocole instinctif pour la réaliser. C’est un évènement qui dépasse l’homme, puisque ces batailles existaient avant sa survenue sur la planète. Bien qu’elles aient été plus individuelles, moins sophistiquées, moins techniques et moins intelligentes. Et depuis qu’on sait les raconter avec l’écriture, depuis 5000 ans, y en a-t-il eu une, une seule, avec des hommes qui investissent un territoire, qui ne se soit pas régulièrement (non pas exceptionnellement, mais régulièrement) accompagnée d’exactions  tortionnaires ?  Il s’agirait donc bien là d’une norme de l’activité belliqueuse. ….  A moins que quelqu’un ait connaissance d’une guerre ayant fait exception?

86. La victoire, obligatoire.

La guerre est une  disposition instinctive que nous avons sans doute, en tant qu’être vivant,  héritée de notre premier ancêtre sur la planète, sur le registre de la défense et de l’élargissement  de son espace de vie.   En l’érigeant en art (militaire ou économique) comme l’a permis notre cérébralité, elle permet de  croitre en gloire, et le dépeçage qui l’accompagne est valorisé ou caché selon les cultures. Si vous supprimez la victoire, que reste-t-il de l’homme ?

87. Le bonheur, la guerre.

Quand un homme politique décide finalement de faire une guerre, ou un marchand de la préparer ou de  l’alimenter, ils savent très bien que nous ne sortirons pas des pratiques ancestrales de la guerre, et ce qu’il se passera. Nous aussi nous le savons, depuis le temps que nous les faisons, et que souvent nous en avons joui de par leurs retombées … Et que nous en jouissons. Mais au fait, y-a-t-il réellement des actions militaires (et paramilitaires) qui nous apportent actuellement du bien être, en 2008 ? Et quel est ce bien être ? Est-il physique. Est-il moral. Est-il philosophique ?

88. Intentions, sophistications.

C’est affreux de s’acharner, avec un simple regard naturel, à descendre l’homme et ses sociétés de leur  piédestal. Alors qu’il serait positif de souligner ses réussites, sa formidable aventure d’être vivant doué de conscience. Alors que son esprit s’est élevé continuellement depuis son apparition, aussi bien en philosophie qu’en sciences et techniques au service d’un bien être toujours plus fort. On peut même dire que la plupart de ses avancées se caractérisent par une sophistication. Une appréhension plus complexe des phénomènes, et une résolution plus technique et toujours plus efficace. Un assouvissement plus sophistiqué de ses fonctions vitales d’Homo Sapiens, seul ou en société.

Il serait intéressant de faire la part entre sophistication, et élévation de l’esprit. Et pour cela, à partir de faits et de descriptions concernant la magnificence de l’espèce, essayer de remonter aux intentions des décideurs, des acteurs et des spectateurs. Non pas forcément aux intentions affichées pour se justifier aux yeux de tiers ou à ses propres yeux, mais aux intentions plus vraisemblables,  celles qu’on peut détecter en s’observant et en observant avec pénétration…  C’est tout un programme, n’est-ce pas. Et d’abord, les intentions peuvent-elles être tellement significatives d’un état d’élévation d’esprit (c'est-à-dire non tourné mesquinement vers soi-même ou son groupe d’appartenance), ou bien leur traduction, les actes ?

89. S’évader d’un programme instinctif ?

Comment pourrait-on définir le concept d’élévation d’esprit ? Serait-elle la recherche d’une évasion du programme instinctif qui régit l’être vivant, d’une évasion des chaînes de décisions-déresponsabilisations qui sont engendrées par l’accrétion d’individus dans les organisations  de type humaines ? En termes d’intentions intimes? En termes de choix d’actions ?

90. Production et commerce.

En action militaire, la fin justifie les moyens, c’est normal, et si une minorité d’hommes de troupe ont pris un plaisir individuel et collectif avec les corps de quelques vaincus, c’est regrettable, mais la victoire apporte plus qu’une compensation à ces incidents collatéraux. Elle apporte tout à notre cause suprême.  D’ailleurs, malgré une enquête rigoureuse, on n’a pas retrouvé les auteurs présumés, et les faits sont sans aucun doute largement exagérés par de mauvais témoins indirects, dévoyés sexuellement et  à la solde de nos  ennemis actuels. Ils seront jugés selon la loi  par notre justice. Et puis certains sont morts valeureusement  dans les deux camps, et ils font honneur à l’humanité par leur héroïsme et leur désintéressement.

Par contre, la vente d’armes à des peuplades solvables organisées en groupes rivaux, serait-elle aussi en rapport avec une cause suprême ? Et quelle serait-elle ? En tous cas, ces ventes se font pour la prospérité des fabricants et des marchands d’armes, qui donnent tant de travail à leurs salariés américains, chinois, britanniques, français, israéliens, pour ne citer que les plus performants dans leurs techniques létales et dans leurs ventes. Et les dégâts occasionnés lors de leurs guerres régionales ou locales, sont-ils collatéraux ou principaux, c'est-à-dire dans ce cas font-ils partie intégrante ou non de l’acte de s’industrialiser et de vendre des produits manufacturés ?

91. L’hypertrophie d’une fonction instinctive : le commerce mondial.

L’industriel, soutenu diplomatiquement par le chef d’état qu’il instrumente (les responsables politiques sont à genoux et consentants devant la puissance des gros lobbies qui vendent de la « technologie ») va porter l’exaction et la décimation, avec pour échange :  de la croissance, de la prospérité et du bonheur pour son groupe industriel, pour ses actionnaires anonymes qui spéculent sur les ventes à venir et donc le remplacement des matériels, pour ses salariés et leurs familles qui espèrent de tout leur cœur que les commandes seront suffisantes et qu’ils ne soient pas jetés au chômage comme des inutiles, pour ses sous-traitants qui applaudissent au succès… Malgré toute cette sophistication technique, toute cette recherche universitaire, toutes ces usines de pointe, tout ce bonheur argenté répandu sur un côté de la planète, la cause suprême qui régit cette activité  n’est-elle pas assimilable à l’hypertrophie d’une  de nos trois fonctions primordiales d’être vivant : l’extension de son espace de vie (superficie, confort, influence, etc.)?

92.  Création humaine, création instinctive.

L’activité industrielle comme celle de l’armement par exemple (on appelle cela de la « technologie » dans les médias, et elle représente un des premiers postes d’exportation des pays les plus avancés) procède-t-elle d’une élévation de l’esprit des hommes qui y participent, qu’ils soient constructeurs, ingénieurs, commerciaux vendeurs ou acheteurs, actionnaires anonymes, général, soldats des confins du monde civilisé instruits à l’utilisation des matériels technologiques, paysans et bourgeois brûlant sous les gaz, les bombes et les contaminations, ou simples téléspectateurs ?  Il y en a qui disent qu’on n’y peut rien parce que cela fait partie de notre condition humaine. Mais alors en acceptant cette raison comme suprême, on ne s’écarterait de la cérébralité de tous les autres êtres vivants que par l’organisation de l’esprit en une sorte d’ingénierie,  certes fort complexe, mais strictement appliquée à  réaliser un programme instinctif? 

93. Un îlot de calme : quelle ambigüité !

Ce ne serait pas constructif de faire le catalogue des exactions des riches qui confortent leurs dominations. Cela a déjà été fait  à toutes les époques sans exceptions (les premiers écrits de l’Egypte ancienne il y a 4000 ans, en faisaient déjà état) et cela n’a jamais rien donné. Il semblerait que cela soit inhérent à l’organisation humaine, quelles que soient les règles qui fondent ces sociétés. Les dominants, une fois installés, ont tout le loisir de déployer leurs actions qui leur rapporteront encore de la richesse, du pouvoir, et une certaine considération, même si celle ci est parfois un peu haineuse. Ils s’en foutent. Leur recette est toujours la même : vendre à qui peut acheter. Peu importe quoi, du moment que la façade est blanchie (si leur culture les y obligent) pour ne pas gêner la parade sociale. Peu importe à qui, du moment qu’il y a une bonne chance d’être payé. Cette condition d’installations humaines semblant générale, cela voudrait-il dire que « l’élévation d’esprit » ne pourrait survenir que dans des ilots de calme, tolérés ou  protégés par les exacteurs de profession ? Quelle ambigüité en perspective ! Mais accepter de vivre avec une conscience large, cela nécessite bien de faire des concessions à l’être vivant, d’accepter certaines prédations, sinon la mort survient à très brève échéance par défaut de nourriture, à l’échelle d’une génération par défaut de reproduction, fortuitement, à chaque instant, par défaut de défense… Dans chacun de ces postes, quelles concessions accepter au minimum ? Se regrouper en abbayes pour protéger ceux qui travaillent avec calme ?  Cela a été fait de par le monde, et ces sanctuaires étaient des prisons pour le corps, et sont devenus des prisons pour l’esprit. Je rêve d’un lieu de calme qui ne soit pas une prison. Comment serait-ce possible ?

94. Elastiques.

Voici un sujet rebattu : on n’écoute même plus. Il y aurait le droit, et il y aurait la morale. L’un et l’autre sont très élastiques et dépendent de beaucoup de circonstances : l’époque et  le lieu où l’on se trouve ; Les gens avec qui l’on se trouve ; Les forces en présence, physiques et morales ;  et puis l’individu lui-même, celui qui se pose la question. Par exemple droits et morales seront différents si l’on se trouve dans un village perdu dans les Aurès en 1958 ; dans un café parisien de la rive droite en 1999 ; dans une usine textile à Roubaix en 1960, ou à Taïwan en 1985, ou en Malaisie en 2005; dans une tribu amérindienne, visitée par Levy Strauss dans les années 30 ; dans une plantation de coca au même endroit en 2008 ; dans une église en Vendée, une mosquée en Turquie, une mosquée au Pakistan, un temple en Amérique du nord au cours d’une cérémonie au 19ème siècle; dans une mosquée aux mêmes endroits en 2008; dans un séminaire dominicain au 13ème siècle…

95. L’autorité et son absence.

Ce ne sont pas les circonstances qui manquent depuis que l’homme existe, pour que s’érigent droits et morales. Mais la circonstance principale pour leur application, quel que soit en substance leurs contenus, c’est qu’il y ait une autorité pour les faire appliquer : qu’elle soit mentale (inscrite dans la cérébralité de l’individu) ou matérielle : avec des gros bras à proximité, qui soient prêts à intervenir au premier mot du dépositaire de cette autorité ;  ou alors c’est une foule prête à juger et à porter l’anathème, ce qui revient au même. Ce serait donc, en première approche la structuration du groupe qui donnerait la force à ces deux règles de droit et de morale. La raison du groupe social. Sinon, c’est toujours la morale la plus « abjecte » qui ressort avec un naturel confondant : on le constate à toutes les périodes de vacance des pouvoirs, où les mini-féodalités les plus basses éclosent sans contrainte supérieure.

96. La morale subsidiaire.

Je constate que droits et morales sont deux registres différents (le droit est le minimum à respecter pour ne pas se faire coffrer, la morale serait plutôt une espèce d’idéal de hauteur de pensée et de comportement à atteindre, très variables selon les genres de morales, mais à laquelle l’individu, s’il le choisit, aspire profondément et avec initiative…) Dans la vie réelle du groupe social, la confrontation inévitable avec les hommes (de morales différentes, ou même absente, bien que le droit soit affirmé) fait que ce sera forcément  le plus habile socialement  qui l’emportera, avec le droit qu’il saura interpréter et faire interpréter à son avantage, en le mâtinant à grands traits de morale passe-partout (j’ai confiance en dieu et en la Justice, qui sont  équitables, et ce n’est pas de ma faute si j’ai pu me payer un meilleur avocat), pour que sa victoire ait l’air présentable et ne nuise pas à sa parade sociale…. Y-a-t-il élévation de l’esprit dans ces procès gagnés et perdus ? Au cours de ces batailles grandioses ou lamentables, les morales restent tapies au fond des individus, qu’ils s’en sortent à leur avantage ou qu’ils perdent les batailles des procès : elle est donc subsidiaire et plutôt individuelle en dernier ressort. Ce sont des caractéristiques qu’elle peut partager avec une  conscience élargie dont j’ai parlé auparavant. Troublant.

97. Recherche individuelle, chicane collective.

Ce serait là, chez l’individu qui se libère l’esprit de la chicane, hors des arbitrages sociaux donc, que peut-être se situe le gisement d’une élévation d’esprit ? En assemblant  l’acceptation d’une conscience pas trop courte et la construction d’une morale particulière? L’élévation de l’esprit passerait par une recherche individuelle, transcendante, en marge des sociétés ? C’est inconfortable car se profile la description d’une marginalité… Et aussi d’une inutilité sociale, au moins immédiate… Et cela ne  dit pas ce que je peux mettre dans ces morales qui pourraient élever l’esprit, loin des clichés que l’on nous sert pour nous écœurer de l’idée de sortir de la pensée dominante. Que pensez-vous qu’on pourrait y mettre ?

98. Règles tribales et terrains de jeux.

Nos sociétés civilisées passent très largement aux yeux de l’opinion mondiale (celle qui nous est rapportée par les médias), pour des havres, des vastes enclaves d’élévation de l’homme. Le reste du monde est occupé par des sociétés moins avancées, plus sauvages, où plus d’exactions sont permises, puisque les règles éthiques y sont plus lâches, moins contraignantes, où l’homme aurait moins de possibilités de s’accomplir. Pourtant, ces zones « en développement » ressemblent à des sortes de terrains de jeux où s’ébrouent nos émissaires, terres de conquêtes, de commerces et d’esclavages  dont certains seraient franchement illégaux en société civilisée, d’exploitation « minière » des ressources minérales, industrielles et biologiques, c'est-à-dire qu’une fois l’exploitation terminée il ne reste que le chaos et … Débrouillez vous, vous êtes libres d’agir à votre guise, et prenez modèle sur nous, nous sommes venus pour vous apprendre ! Pourtant toutes ces activités sont tolérées par les morales des sociétés civilisées, car ce serait  pour le bien finalement, le « bonheur matériel  de notre  esprit ».

99. Progrès et taille.

Il apparait franchement que le « bien » est relatif, et contradictoire, selon le groupe social (ici, le pays ou le continent) auquel on appartient, mais obéit, avec toute la sophistication des relations diplomatiques et commerciales, à la raison du vainqueur. A sa morale.  Comme aux temps paléolithiques de l’organisation tribale des petits groupes humains, mais en plus grand. Ainsi, le progrès « humain » serait dans la taille et la puissance des sociétés?  Et en parallèle, le progrès de n’importe quelle espèce vivante serait dans la taille de ses colonies, jusqu’à occuper tout l’espace terrestre ? L’individu, s’il en a la cérébralité, trouve là matière à s’interroger. L’intellectuel appointé par un des groupes en lice, trouve là à officiellement s’émerveiller. C’est curieux vous ne trouvez pas ?

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