Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

partage cérébral

2 septembre 2008

La conscience lumineuse

1. La conscience lumineuse.

Ce qui fait l’homme, c’est la conscience, tout le monde le sait. Cette conscience nous différencie du règne animal. Donc, nous sommes différents des animaux : il y a une part de lumière en nous qui ne se trouve pas chez les autres êtres vivants. Quelle est-elle, en dehors bien sûr de quelques auto-proclamations qui dont on peut tout de même soupçonner l’existence?

2. Bonheur et satiété.

La recherche du bonheur est tout à fait légitime, et elle guide l’homme, quelle que soit sa position sociale. Elle s’accompagne de la crainte de ne pas bien jouir de la vie, d’inquiétude donc, de stress, de manque, et de malheur intime. Voilà pour le bonheur matériel, celui du corps et celui de l’esprit.  (Le bonheur matériel de l’esprit, c’est une quête de tous les instants je l’ai remarqué, et il est facile  à définir : Il suffit pour le connaître, d’oublier et de trouver à bien se divertir).  Peut-être y a-t-il un autre bonheur, construit de satisfactions différentes, mais lequel ? C’est une énigme.

3. Les fonctions d’une bactérie.

Tous les êtres vivants ont pour ancêtres les premières colonies de bactéries qui ont commencé à se développer  sur terre il y a presque 4 milliards d’années… Cela me concerne puisque je suis un être vivant. Mais pas trop, puisque c’est très ancien, et en tant qu’homme, je suis devenu très différent d’une colonie de bactéries, qui n’occupe sa simple vie qu’à se nourrir, à se reproduire, et à recourir à son système de défense (chimique) quand elle subit une agression ou une concurrence. J’ai quand même d’autres préoccupations, plus élevées.

4. Le vol, c’est naturel.

Le mode d’appropriation de tout être vivant, c’est le vol, sans la moindre considération pour la victime, la proie : ni pour sa vie, ni pour sa douleur, ni pour ses préoccupations peut-être… C’est la prédation, et elle existe depuis que la vie existe. Elle concerne tous les êtres vivants, bactéries, végétaux (c’est discutable pour beaucoup d’entre eux, qui ne se nourrissent  pas d’êtres vivants), animaux. Elle n’a pas besoin d’être consciente pour être efficace. Chez l’homme, cette prédation est rarement consciente, puisqu’elle est vécue comme légitime et naturelle : on n’y pense pas, voilà tout, et on jouit de ce qu’on s’est approprié.

Certaines règles apparaissent concernant les modalités de ce vol, chaque espèce ayant ses protocoles.  Chez certains animaux sociaux, il existe une sorte de hiérarchie entre les individus, face à la proie vivante ou morte. Le summum de la complexification de ces règles se trouve bien sûr chez nous, chez l’homme, êtres vivants d’une autre essence, puisque nous avons su dire, au cours des époques qui nous concernent, puis écrire la Loi et ses Décrets d’application. D’ailleurs, nous continuons studieusement à le faire avec des critères qui varient constamment selon la société et l’époque.

5. Prédation et légalité.

Le fait de voler un autre homme au cours d’une transaction commerciale légale, est un sport enivrant et lucratif, qui participe du bien être instinctif du dirigeant. Celui-ci y voit une sorte de butin de conquête, il a été le plus intelligent. La prédation est donc plus intéressante à vivre, et plus efficace si on considère avec chaleur les avantages qu’on en retire, sans humeurs introspectives qui pourraient gâcher le bien être du corps et de l’esprit. La plus grosse difficulté est alors de s’allier à de bons juristes, et d’être l’ami de bons procureurs pour s’assurer de rester dans la légalité. Dans ce cas, la légalité, c'est bien la règle de prédation que je m’efforce de respecter, en tant qu’être vivant complexe.

6. Manger dans la lumière.

Il faut le reconnaître, tuer un cousin d’espèce pour le plaisir et le manger, c’est uniquement du bonheur, même si ce bonheur incisif et cette satiété sont  sur le même registre que celui qui est ressenti par le prédateur animal, ce carnivore. Ce sont des comportements normaux issus de la nuit des temps des êtres vivants, et ils nous vont si bien qu’ils tombent sous le sens : qui songerait à empêcher les hommes à  tuer du bétail, à le faire dépecer par des spécialistes, et à le manger ? Pourtant, notre différence existe, car nous avons une part de lumière chez nous, qui ne se trouve pas chez les animaux. Je me demande simplement si elle se situe dans les plaisirs associés à l’alimentation. Qu’en pensez-vous ?

7. L’individu et la horde.

L’ordre biologique  est merveilleux. En général, nous sommes au sommet de la chaîne de prédation sur lequel il est construit, et cela nous émerveille. Mais cette position nous interdit d’accorder la moindre valeur à l’individu. Car alors, cet ordre biologique serait monstrueux. Mais rassurons nous, on n’aurait pas l’idée d’accorder la moindre valeur à un individu-bactérie particulier dans une colonie de bactéries ; à une antilope particulière dans un troupeau ; à un loup particulier dans une horde ; à une poule ou à un cochon en particulier  dans un élevage… Cela n’a pas de sens. Car si cela en avait un, nous serions des monstres. Nous tuerions des individus pour nous en repaître… Nous autres humains, nous ne sommes pas tous des sauvages et dans nos sociétés nous savons donner l’importance qu’il convient à l’individu humain et à ses amis proches. Il n’y a qu’à regarder autour de nous pour nous en convaincre, en ville et à la campagne, dans les rues, dans les entreprises, là où les hommes se réunissent pour vivre.

8. Responsabilité animale ? Grâce à la conscience, et en fonction beaucoup de leurs cultures, les hommes peuvent choisir, c’est connu. On appelle cela le « libre arbitre » (interdit par certaines religions, sinon leurs systèmes s’écroulent immédiatement, leurs dirigeants ne dirigent plus rien et on y perd en administration des sociétés). Un animal dans sa vie sauvage n’a sans doute pas la possibilité intellectuelle de sortir de sa chaine alimentaire, de sa position biologique : il sait à peu près ce qu’il peut tuer et manger (même s’il ne le formule pas) et qui peut le tuer. Il n’a pas la ressource d’y songer et il n’est donc aucunement responsable de ses actes. Peut-on en vouloir à un chat de réaliser son programme ?

9. Le choix, c’est facultatif et possible.

S’il le veut, même s’il ne peut pas le dire en société, l’homme a la possibilité intellectuelle d’accorder une valeur aux individus de son espèce et des autres espèces. C’est un choix qu’il peut faire. Il  est sans doute le seul être vivant de cette planète à pouvoir le faire. C’est sa part de lumière.  Je n’ai pas entendu qu’il le fasse beaucoup, si ce n’est pour ses proches. Mais aussi pourquoi le ferait-il ? Cela lui compliquerait la vie: comment pourrait-on exploiter ou tuer et manger un individu, si différent soit-il,  alors qu’on le considère et qu’on le respecte ? C’est impossible, non ?

10. Cultures.

Allons, je ne suis pas un monstre, ce gigot qui trône sur la table familiale est à moi puisque je l’ai acheté, c’est la norme. L’animal qu’il portait n’a pas de nom, et je ne sais rien de ce qu’il a pu voir et ressentir dans sa vie qui ne m’intéresse que par la saveur de sa viande. Et c’est heureux ainsi : ce n’est pas dans ma culture humaine de m’interroger sur la personnalité individuelle de l’animal dont je mange une partie. Et ma culture humaine est respectable, on me l’a assez dit.

11. Elévation d’esprit.

Je suis content de changer de sujet. A l’en-tête de ce blog, il était question d’idées rafraichissantes et positives, donc  de tentative d’élévation de l’esprit il me semble. Cette élévation de l’esprit à laquelle j’aspire en tant qu’homme, ne serait-elle pas liée à une capacité à se quitter, soi, et à quitter ses préoccupations immédiates liées à son intérêt propre ou à celui de qui on est allié ? L’élévation d’esprit passerait alors par l’expérience suivante : porter son attention sur la préoccupation de l’autre, alors même qu’on n’imagine pas en retirer un intérêt, quel qu’il soit. C’est possible ça ?

12.  Utile, inutile.

Si tu acceptes la définition de l’article précédent, faire preuve d’ouverture d’esprit pour toi qui es sculpteur de bronze, ce serait par exemple, s’il se trouve quelqu’un pour t’en parler, de t’intéresser à la vie des bactéries thermophiles qui se développent dans les fissures volcaniques de la ride médio-atlantique.  Je parie que tu n’en vois pas d’intérêt immédiat, ni lointain, et que tu n’as pas trop le temps… Donc tu as compris. L’ouverture d’esprit, cela ne sert à rien d’utile. Simple attention polie pour celui qui est autre, sans arrière pensée de t’en servir pour réaliser une belle sculpture qui te valoriserait toi.

Mais vous n’êtes pas sculpteurs. Auriez-vous un autre exemple ?

13. La domination et l’illusion.

L’ouverture d’esprit, c’est une invention humaine. Nous sommes l’être vivant le plus complexe pour ce qui est du cerveau. De plus, on peut dire sans se tromper que nous sommes tout au bout d’une chaine d’évolution des êtres vivants, depuis près de 4 milliards d’années, qui a abouti à nous, hommes. (C’est provisoire, cette chaine d’évolution aura « abouti » à tout autre-chose dans ne serait-ce qu’un million d’années, et dans 100 million d’années je n’en parle pas). Nous sommes là, Homo sapiens sapiens, depuis 180 000 ans. Et nous « dominons » réellement la planète depuis 500 ans (avec le grand commerce maritime).  Cependant, il y a beaucoup d’autres espèces sur la terre, très nombreuses, très vigoureuses, très complexes aussi sauf pour le cerveau. Pensez vous que tous ces êtres vivants, si différents, soient gênés par leurs petits cerveaux, et  ne pourraient vivre sans l’homme ? Leur vie, si l’homme disparaissait ou  n’était pas advenu avec « son extraordinaire réussite conquérante », perdrait-elle sens ? Notre « domination » pourrait-elle être illusoire ?

14. L’ouverture d’esprit, facteur de fragilité.

L’ouverture d’esprit ne concerne pas tout le monde, vous l’aurez remarqué autour de vous, notamment dans les organisations humaines où les postes clefs, dans ces hiérarchies, peuvent être assez facilement tenus par des individus qui se retranchent derrière la règle, le règlement, l’usage, la loi, et sont peu soucieux de prendre en compte un cas particulier, ou un cas général qui n’entrerait pas dans ce moule qui les a déposés là. Ils auraient peur d’être déstabilisés vis-à-vis de leurs hiérarchies, ou de leurs bases. Cela voudrait-il dire que l’ouverture d’esprit soit vectrice de fragilité par rapport à un ordre établi ?

15. La curiosité et l’utilitaire.

La curiosité en tout cas est vectrice de force. Le même individu à un poste clef dans une hiérarchie, s’il est curieux, voudra savoir exactement ce que vous lui proposez d’anormal : il pourra mieux se préparer à vous contrer, pour sauvegarder son poste, son groupe, et les idées qui font son horizon habituel.  La curiosité, c’est utile tous les jours, quand elle est axée dans des directions autorisées. Les directions les mieux autorisées à l’heure actuelle, sont conformes aux programmes des concours des grandes écoles et de la fonction publique : si vous exprimez dans une composition de concours la moindre idée, même étayée, il vous est impossible d’être reçu. Mais si vous êtes intelligent et ingénieux vous avez compris le programme, et si vous êtes curieux en plus, vous connaissez des exemples pertinents sur le bout des ongles, alors vous êtes un crack. Dans ce cas là l’intelligence, c’est beaucoup de mémoire, savoir ce qu’il faut dire dans toutes situations, et pas beaucoup d’ouverture d’esprit.

16. Plusieurs intelligences différentes.

L’intelligence, c’est le propre de l’homme. Pour passer un concours, l’intelligence consiste surtout à s’appliquer à ne pas transgresser la norme. Là entre une grande part de stratégie. D’ailleurs les jeux de stratégie entrent pour une grande part dans l’entrainement de l’intelligence des élites : Il paraît même que le jeu de go en chine (quelques pions sur un plateau quadrillé très simple) était interdit au menu peuple dans cette civilisation millénaire, car il développe des capacités stratégiques. 

Aujourd’hui, ce type d’intelligence stratégique est contrée par le calcul des ordinateurs, au « raisonnement » très puissant quand les règles sont bien définies. Mais qu’en est-il de cette intelligence sans règles prédéfinies, qui du chaos fait s’assembler des concepts et des mots en constructions nouvelles ? En idées structurées ? En poésie ? En créations plastiques ? Ho ! Il y aurait plusieurs intelligences différentes ? Dont certaines seraient inutiles dans la vie, et même nuisibles à une quelconque réussite parmi ses pairs, les hommes ?

17. Le philosophe et le technocrate.

Un poète n’a pas l’esprit critique, et un philosophe non plus qui développe des idées qu’il pense avoir structurées. Et alors s’amènent les suiveurs sans autre esprit que l’instinct de diriger, qui annoncent appliquer ces idées simplifiées en dogmes, avec de grandes catastrophes en perspective. Marx par exemple, ce type qui s’est exprimé en idées et en réunions publiques au 19ème siècle est encore nommé au 21ème pour des actions pratiques inqualifiables de cruauté et d’injustice. Cela voudrait dire que nous ne sommes pas nous même dotés d’esprit critique, pour  accuser les vieux même s’ils sont morts de vieillesse ?  C’est facile alors, on dit que c’est la faute d’un philosophe  imbécile et malhonnête, qui s’est trompé en son temps (peut-être volontairement, c’est sans doute un salaud), et qui nous  trompe encore, et en bref, qui nous a influencé. Mais alors, pour se laisser influencer comme cela, nous sommes nous même des imbéciles dépourvus de jugement ? Nous n’avons pas d’autre ressource devant nos échecs d’organisation sociale que d’ériger en bouc émissaire un  vieux philosophe mort depuis longtemps?

Quels sont au cours de l’Histoire humaine, les autres  penseurs ou prêcheurs dont les idées théoriques étaient conçues comme porteuses d’une société bien meilleure, et qui se sont vues appliquées dans des dictatures implacables, réduisant les individus à néant, ou à l’état de simple élément dans une série statistique  à l’usage de technocrates de l’organisation ? Cherchons, cherchons. En auriez vous une idée ?

18. Des principes automatiques d’organisation ?

Tout se passe comme si, quelles que soient les idées utilisées comme référence, des principes automatiques d’organisation sociale revenaient  à la surface au bout d’à peine une génération ou deux, qui feraient émerger une hiérarchie, certes, complexe, mais implacable. Au bout de cette génération humaine, quand les enfants sont grands et remplacent les pionniers, les idéaux d’origine (idéaux de justice, de bonheur, de partage, de développement humain  etc.) sont encore scandés, mais dévoyés pour justifier la prééminence et le maintien des élites qui se sont constituées. C’est peut-être triste, car alors, cela voudrait dire que notre part de lumière ne trouverait pas  à s’appliquer longtemps dans nos organisations sociales ?

19. La conscience et la propagande.

Peut-être que l’homme, être conscient s’il en est parmi les êtres vivants, a du mal à mettre en relation sa pensée (qui peut-être élevée ou décrite comme telle)  et le cours naturel de ses actes, qui lui serait instinctif, et n’aurait pas besoin d’être formulé pour trouver à se mettre en œuvre ? Bien plus encore, la conscience humaine (notre part de lumière), voyant le contenu de ces actes, aurait besoin d’être endormie par une pensée-écran et un discours lénifiant, et suffisamment habile pour être présentable en puisant ses racines dans l’imagination humaine ? Il y a sans doute des romans et des films qui mettent en scène des situations d’organisation sociale spontanées, sans  référence à un idéal élevé, et qui donnent… ce qu’ils   donnent. En connaissez-vous ? Il y a aussi des organisations sociales qui émettent des discours et des images lénifiants, qui cachent des actes gênants…  Vous n’en connaissez pas ?

20. La prédation et le regard.

Ainsi, les actes de prédation entre hommes (qu’ils soient mortels ou de simple exploitation), s’ils sont mal jugés quand ils sont vus de l’extérieur par des biens pensants qui n’ont rien à y gagner, ne sont en général pas jugés du tout par ceux qui en profitent : on détourne le regard, on prend l’argent, le bonheur matériel du corps et de l’esprit qui en résulte, le pouvoir aussi, et on parle d’autre chose. Pourrais-t-on trouver des exemples où il y aurait du gain personnel sur la mort d’autres, dans la vie courante ? A des échelles différentes ? A l’échelle d’un pays, à celle d’un continent, à celle d’une simple famille de 4 personnes ?

21. Une disproportion statistique des états d’esprit ?

Peut-être que celui qui exprime des idées théoriques n’est pas le même que celui qui agit ? Car enfin, depuis l’existence de l’écriture, combien y-a-t-il eu de penseurs « reconnus », c'est-à-dire acceptés comme tels  même à titre posthume, comme ayant apporté une contribution à la pensée  de l’homme? Quelques milliers. Combien de dirigeants d’une certaine envergure, c'est-à-dire ayant assimilé ou hérité les qualités nécessaires à gouverner un nombre d’individus important ? Quelques millions. Combien ont cumulé les deux ? Quelques dizaines… Il paraîtrait donc que statistiquement, l’homme trouve plus facilement en lui les caractéristiques du dirigeant-organisateur que du penseur…

21. Une disproportion statistique des états d’esprit ?

Peut-être que celui qui exprime des idées théoriques n’est pas le même que celui qui agit ? Car enfin, depuis l’existence de l’écriture, combien y-a-t-il eu de penseurs « reconnus », c'est-à-dire acceptés comme tels  même à titre posthume, comme ayant apporté une contribution à la pensée  de l’homme? Quelques milliers. Combien de dirigeants d’une certaine envergure, c'est-à-dire ayant assimilé ou hérité les qualités nécessaires à gouverner un nombre d’individus important ? Quelques millions. Combien ont cumulé les deux ? Quelques dizaines… Il paraîtrait donc que statistiquement, l’homme trouve plus facilement en lui les caractéristiques du dirigeant-organisateur que du penseur…

22. Comment justifier une hiérarchie ?

Avant l’écriture, c'est-à-dire pendant les 175000 ans (environ) que l’homme a existé sans utiliser l’écriture, c’est une grande période difficile à imaginer. L’intelligence était la même qu’aujourd’hui, mais utilisée avec des moyens de perception moins sophistiqués, c'est-à-dire sans beaucoup d’aide de machines techniques. Nous vivions, dit-on,  en groupes tribaux d’une centaine de personnes, relativement nomades, en cueillant, en chassant, et en se battant entre groupes tribaux. Mais pas souvent parce que nous étions peu nombreux, quelques centaines de mille en tout, et pour se battre il fallait que des groupes antagonistes se rencontrent. La vie était plus courte. Les langages, bien sûr, existaient. Les connaissances et les mythes se passaient oralement. Combien de penseurs en ce temps là ? Sans doute un penseur dominant par groupe tribal, un peu comme à l’heure actuelle il y en a toujours un sous la main par groupe formel ou informel (religieux, économique, social) à qui l’on donne profession de conforter, avec esprit, l’existence du groupe.

Nous avons tout oublié de ce qui se disait à ces époques préhistoriques. Pourtant, ne pourrait-on pas penser que cette pratique de justification intellectuelle ou mythique des tribus contemporaines  reste intacte, dans le foisonnement de notre énorme civilisation ?

23.  Cacher l’idée pour survivre.

Quelques uns de ces penseurs anonymes des temps d’avant l’écriture, certainement avaient des intuitions originales concernant la nature et les hommes. Ayant des idées différentes de celles du groupe, comment pouvait-il les exprimer  et les faire passer d’une génération à l’autre ? Par le récit onirique, par la chanson, en cachant le sens : car pour exprimer des idées différentes de celles dominant le groupe où l’on se trouve, le cryptage est obligatoire pour éviter la mise au ban. (Si je n’utilisais  pas moi-même une forme de cryptage absolu par l’utilisation d’un pseudonyme en chair et en os, j’aurais déjà été rejeté par ma « communauté », c'est-à-dire dans mon cas l’accrétion de personnes et de familles développant des intérêts  à la fois communs et concurrents, chacun à l’affut de la faille qui fera tomber l’autre et permettra de récupérer ses intérêts et ses positions sociales, mais « solidaires » quand il s’agit de préserver, et de développer un contexte juridico-économique permettant notre épanouissement).

Par ailleurs, je ne crains pas la mise au ban de mon pseudo, un artiste : à notre époque, un tel être a le droit de s’exprimer sans rien craindre, et c’est exceptionnel dans l’histoire. Vous ne trouvez pas ?

24. Quelles sont les idées interdites ?

Que pouvait-on bien crypter dans ces chansons d’avant l’écriture ? Que voulait-on dire et qui était interdit ? Pas la gloire du chef, ni la force des hommes d’armes. Pas les prouesses d’ingéniosité des fabricants de pointes de flèches, pas l’excellence ou la malignité de certains esprits à vénérer ou à craindre, pas les prouesses sexuelles des mâles dominants, ni la fécondité des femmes, ni le désir. Inutile de crypter la beauté, ni l’amour, ni la haine : tout cela fait partie de la vie réussie d’une communauté. Tout cela est  inclus  avec avantage dans le discours, ses chansons, le fonds de pensée autorisée. Mais ce qu’on n’avait pas le droit de faire certainement, et rien n’a changé, c’était de prendre l’homme par la main pour l’aider avec gentillesse à descendre du piédestal qu’il s’est construit, et fouiller en lui pour y trouver des ressources inexplorées.

25. N’oubliez pas le temps !

Pour fouiller en l’homme aux époques d’avant l’écriture, pour comprendre, il fallait oser  comme à présent, cesser de l’isoler de son origine, de son milieu, et du temps enfin, pas ce temps qu’il crée à son image et qu’il mesure en jours, en lunes, en années, mais le temps qui l’englobe, et qui le dépasse. C’est un temps dont on peut avoir l’intuition, à toutes les époques et quel que soit l’état des connaissances, mais il dérange trop pour qu’il puisse être acceptable collectivement. Car y penser, en tenir compte dans la vie de groupe, cela reviendrait à se mettre en position de faiblesse par rapport aux autres groupes, aux autres peuples, et se condamner à  disparaître par invasion et mise en esclavage.  Pourquoi cela, et comment exprimer cette compréhension, quand on n’en a pas le droit ?

26. Artiste créateurs, artistes suiveurs.

Le cryptage a du charme aussi, et permet de s’exprimer en litotes, en antiphrases, allégories, paraboles. C’est le charme de toute production artistique, doux, insigne, terrible… Mais l’écrivain et l’artiste produit en art ce qu’il a en lui. Il ne peut pas produire avec la personnalité ou le ressenti d’un autre, ou alors c’est bancal ou resucé : tous les artistes ne cryptent pas quelque chose d’interdit dans leurs œuvres, il s’en faut de beaucoup.

27. La fixation officielle des mythes aux sens cachés.

Que nous est-il parvenu de ces cultures  et de ces découvertes de la nuit des temps ? De ces ressentis profonds sur notre condition humaine et de sa potentialité ? Auraient-ils été fixés en partie par l’écriture, et seraient-ils à l’origine de grands textes « bibliques » issus des écritures ayant soudain fleuri au Moyen Orient et en Asie de 5000 à 1500 ans avant le présent ? Que pourrait-on en penser ? Ces premiers textes contenaient-ils des concepts dont le sens originel aurait été détourné au moment de la mise en place (récente pour l’homme, 2500 ans au maximum) de grandes religions monothéistes, qui se seraient emparées de ces premiers écrits en les officialisant, c'est-à-dire en les caviardant à leur profit?

28. Aveuglement et anthropocentrisme.

Pour ce qui est de la simple appréhension de la taille de l’esprit humain, de la taille de sa conscience, hors piédestal et hors cet auto-émerveillement bien compréhensible quand on y pense, il y aurait peut-être une exploration assez intéressante  à faire qui nous remettrait dans le cosmos, vu de l’intérieur. Plus intéressante que celle de ce cosmos, inventé expressément pour l’homme, et qui fait l’objet d’une curiosité amusée, intéressée : à quoi pourrait-il bien encore servir à l’homme, pour son agrément ? Par où pourrait-on l’exploiter encore ? Comment fonctionne-t-il (pour le plaisir de conquérir la connaissance, pour la gloire de l’homme, vue par l’homme ?). Il y a là un léger tropisme anthropocentriste, pour être simple, dont il faut se rendre compte si on ne veut pas mourir en tant qu’individu, et disparaître en tant qu’espèce, aveugles.

29. La modestie en hypothèse d’école.

Ce qui gène et qui est insupportable, c’est bien de regarder le cosmos de l’intérieur. Cela nous place dans la condition des êtres vivants  de par nos origines, notre conformation, et certaines de nos préoccupations. Mon égo ne l’accepterait  pas, je veux être différent même si je perçois bien toute l’instrumentalisation du piédestal qui s’est construit au-dessous de l’homme. Avec un sérieux… Un sérieux omniprésent, si proche de l’absurde. Les hommes croient-ils vraiment  ce qu’ils disent ? Et  croient-ils ce qu’ils entendent d’eux-mêmes?

Il faut trancher : acceptons transitoirement cette simple condition d’être vivant, par pure hypothèse d’école, temporaire, avec l’espoir avoué d’en ressortir, et d’en ressortir grandi, sans mensonges dorés ! Après tout, notre conscience nous permet l’imagination intime, l’imagination secrète ! Osons, même si les sociétés la réprouvent !

30. Une expérience gratuite.

Pour autant dois-je aboyer ? Ramper ? Me battre immédiatement avec mon voisin ? Arrêter de penser et me livrer sans frein à tous mes instincts ? Pas du tout. Mes instincts sont là, je le sais et je les sens car je suis capable de temps en temps de les reconnaitre, et je ne change rien à mes délicatesses d’éducation, à mes croyances, à la conscience du beau. Mais quelle différence alors ? La différence, c’est que j’observe… D’égal à égal. En pensant au fait que j’ai le même ancêtre que tous les autres êtres vivants, je m’observe et je les observe pendant quelques jours de vacances intellectuelles. Pour l’expérience gratuite. Quel intérêt ? Personne ne peut le dire d’avance, c’est un exercice rare. Sans doute aucun intérêt. C’est pour l’ouverture d’esprit, vous savez, ce truc qui n’a aucune utilité,  dont curieusement, accidentellement peut-être,  l’homme est capable ? Mais pensez vous que ce soit simplement possible, ou que l’effort intellectuel est trop dérangeant ?

31. Le combat animal.

Animal, j’ai le droit de faire tout ce qui me passe par la tête?  Non, je garde mon instinct de survie par exemple. Je ne vais pas attaquer l’être qui est mon voisin si je crains la punition sociale, ou la vengeance de ses frères. Par contre, si je suis assez fort pour ne pas les craindre, c’est différent. Je ne ferais qu’une bouchée de ce voisin qui respire mon air. (Un loup affamé n’attaquerait jamais un ours, sauf s’il est en nombre et que l’ours se soit cassé la patte et ne puisse se défendre).

32. Réfléchir ? Il faut  survivre !

En tant qu’être vivant, je veux bien réfléchir, puisque mon cerveau me le permet. Mais avant tout, pour cela, je dois survivre. Pour réfléchir quelques jours avant de mourir, je dois boire de l’eau. Pour réfléchir quelques semaines avant de mourir, je dois manger aussi. Je suis vivant pour quelques mois, quelques années, puisque j’accepte de boire et de manger. Ce n’est pas suffisant. Il faut réfléchir plus longtemps pour trouver quelque chose d’intéressant : je dois m’allier avec une compagne ou un compagnon pour  avoir un enfant et l’éduquer, lui passer ma culture autant que possible. Il pourra l’utiliser à sa guise pour approfondir la réflexion que j’ai entamée, ou à ce qu’il voudra. Il continuera mon œuvre, ou une œuvre.  Cependant, je ne suis pas angélique : je sais bien que si je me montre sans défense, quelqu’un va m’attaquer et me faire esclave, ou me tuer. Alors je m’organise pour être défendu, et comme je veux réfléchir et ne pas passer mon temps à manier des masses d’armes, je me place dans une niche sociale où je suis assez en sécurité, et où on me respecte assez pour avoir la paix. Et je passe le plus clair de mon temps et j’utilise la plus grande partie de mes fonctions cérébrales pour garder cet avantage, pour ma famille et pour moi. Que feront les enfants ?

33. La rage de vivre.

En résumé, qu’est-ce que j’ai fait dans ma vie ? Je me suis nourri, je me suis reproduit, j’ai défendu mon espace de vie, mon territoire, et je l’ai même agrandi par sécurité. Que fait une bactérie, un lion, un merle, un lézard, dans sa vie ? Il se nourrit, il se reproduit, il défend son espace, avec sa minuscule cérébralité s’il en a une. Moi, j’ai dit que c’était pour réfléchir, mais je me demande  à quoi j’ai réfléchi finalement. Sur mon lit de mort, Je ne peux rien en dire à mes enfants que des généralités ou des affirmations dogmatiques qui les avanceront autant que moi... Ils se débrouilleront, ils ont la rage instinctive de vivre, je suis tranquille… Pourtant, je voudrais tellement qu’il y ait une différence fondamentale de sens entre la vie des autres êtres vivants, et la mienne ! Qu’en pensez-vous ?

34. Temps biologique, temps culturel.

Il y a des gens qui disent que chez l’homme, et c’est ce qui le différencie des animaux, l’évolution culturelle prend le relai de l’évolution biologique. Résumons : l’évolution biologique a duré sur terre 3,8 milliards d’années jusqu’à présent. Pour les mammifères, elle dure depuis 144 millions d’années. Pour les Primates, dont notre espèce fait partie comme chacun sait, cette évolution dure depuis 65 millions d’années. Pour les Hominidés, dont nous sommes la seule espèce survivante, l’évolution biologique a duré 5 millions d’années jusqu’à  présent. Notre espèce existe depuis 180 000 ans. Les premières sédentarisations en petites villes se sont réalisées il y a 12 000 ans. Des cultures  sont racontées par l’écriture depuis 5000 ans. La civilisation industrielle occidentale existe depuis 150 ans. L’unification d’une civilisation consumériste mondiale a commencé il y a… quelques années.

Il y a une question d’échelle de temps qui n’est pas résolue quand on tente de mettre face à face les concepts d’évolution biologique et d’évolution culturelle. Au point que je  me demande s’il ne s’agit pas de deux registres totalement différents et inassemblables, qui se seraient rencontrés  pour un temps très court : En effet, pensez-vous qu’un tel enchainement culturel puisse résister à l’échelle des temps  biologiques ?

35. Dogmes.

A propos, ce ne sont pas les dogmes qui manquent pour raconter au cours de cérémonies sociales et  en termes acceptables pour notre intellect,  cet événement : la naissance d’une culture qui se serait détachée un jour, c’est une sorte de miracle, de la glèbe biologique (et donc animale). Toutes les sociétés ont  les leurs, comme une obligation mentale ! Que vous a-t-on dit à vous?

36. Des civilisations, terreaux de cultures.

Ce concept  « d’évolution culturelle », avec une idée sous-jacente de progression vers une sorte d’excellence qui serait atteinte un jour, s’expérimente au sein des civilisations, qui adviennent et disparaissent à un rythme de quelques siècles. Se renouvellent-elles en gardant pour acquis ce qui a été appris ? Peut-être  dans certains domaines (par exemple la recherche scientifique fondamentale) qui ne touchent pas les comportements instinctifs d’organisation humaine. Mais au train où vont les choses, la probabilité est forte que cette évolution culturelle humaine, quelle qu’elle soit, soit rattrapée par les lois générales de l’évolution biologique, ce n’est qu’une question de temps. Et que restera-t-il des « cultures » quand leur support biologique sera l’objet d’un remplacement d’espèce ou se sera éteint ? C’est, il me semble, une question  qui devrait être prise en compte dans l’élaboration quotidienne de l’excellence de nos cultures, nous sommes capables d’assez de conscience pour cela. Mais comment nous y prendre?

37. Extinction d’espèce.

C’est une drôle d’idée de songer à l’extinction de l’espèce humaine. Cela ne se fait pas dans des sociétés où les gagneurs font la loi, qui croient en leur vie sans fin. C’est gênant, morbide, pas divertissant.  Quand on aime les hommes on ne pense pas  à leur disparition, c’est tabou. D’abord c’est impossible.  Evidemment, si l’on se place à l’échelle de temps de l’avènement et de la disparition des espèces … Mais alors on a tout le temps, on y pensera plus tard… Retournons plutôt à «l’excellence » comportementale et technique, comme on dit dans les milieux gestionnaires des ressources humaines.

38 .Le temps culturel, c’est l’immédiat.

Cette évolution culturelle de notre espèce est donc très rapide, un « saut » culturel pouvant se faire en quelques années, ce qui est très peu à l’échelle du temps de l’histoire (5 000 ans) et de la préhistoire (175 000 ans pour notre espèce stricto-sensu, mais 5 millions d’années pour les hominidés qui forment le buisson de nos ancêtres directs ou collatéraux). Sans perdre de vue cet écrin de temps qui nous englobe en tant qu’êtres vivants, concentrons nous sur le présent : L’évolution culturelle, c’est le presque présent, et c’est cela qui la rend si intéressante. L’immédiateté, la mode comportementale ! La mode intellectuelle aussi ?

39. Matérialité et culture.

L’évolution culturelle est aléatoire, et reste tributaire de la conjoncture et de la position des groupes humains concernés au sein des civilisations : groupes dominants, groupes dominés, riches, pauvres, intellectuels, artistes, entrepreneurs etc. Dans ce contexte, on voit bien que la matérialité a une influence complexe sur le devenir des cultures. 

En parlant de ce contexte, de quelles civilisations s’agit-il aujourd’hui? Il y a quelques siècles, plusieurs cohabitaient sur la planète : chinoise, asiatiques, moyen-orientales, méditerranéennes, africaines, américaines etc. Et aujourd’hui, alors que jamais les hommes n’ont été si nombreux sur la planète, combien y-en-a-t-il et quelles sont-elles ? Vous pensez aussi qu’il n’y en a plus qu’une ?

40. Le temps biologique, l’instant humain.

Dans un aussi court laps de  temps que 150 000 ans (le « temps humain »), l’évolution biologique ne se remarque pas plus chez les animaux complexes que chez les hommes. (Mais pour les êtres unicellulaires, c’est différent). Pour les êtres pluricellulaires, dont nous sommes, il faut beaucoup plus de temps que cela, et des circonstances incitatrices majeures, comme un redéploiement après une extinction de masse, ou toute circonstance permettant une population isolée de prospérer différemment.

Sauf qu’effectivement, chez les animaux, il n’y a pas, ou très très peu « d’évolution culturelle », très peu d’évolution de comportement individuel et collectif au fils du temps. Ils sont prisonniers de leur mode de vivre et de leurs modes de faire ancestraux, qui caractérisent leur espèce autant que leur forme physique.  Tandis que chez l’homme, bien sûr, cette évolution existe et prend toute la place. Prendra-t-elle toute la place sur la planète ?

41. Nous, anciens conquérants…

En tout cas l’on constate que la seule évolution biologique notable chez les animaux, depuis l’avènement de l’homme sur la planète, c’est la disparition, l’extinction de masse justement, qui s’accélère ces dernières années. L’homme biologique et culturel est en train, plus ou moins consciemment, de prendre toute disposition pour s’accaparer toute la place, y compris bien sûr la place des autres espèces. (Les êtres unicellulaires, la plupart des insectes, et les petits mammifères proliférant ne sont pas concernés : ils s’accommodent parfaitement des espaces transformés et occupés par l’homme).

Voilà l’homme conquérant, c’était beau. Enfin, c’est ce qu’on dira sans doute quant la conquête sera terminée, grâce à notre puissance industrielle, notre puissance agricole, et notre propension à écrire l’histoire. Alors, nous seront des anciens conquérants.

42. La planète-jardin.

Nous aurons bientôt fini le défrichage de la planète. Alors, elle sera devenue le grand jardin de l’homme, qui, en bon jardinier, en fera un éden de technicité, et les plantes qu’il cultivera seront faites pour lui, utiles  à 100 %. L’homme, n’ayant plus d’espace à défricher, ni d’animaux encombrants à exterminer, se contemplera avec bonheur en mangeant la chair des animaux utiles qu’il aura élevés et dépecés avec science et industrie. Sur cette terre enfin pacifiée, au sein de cette nouvelle civilisation mondiale qui est en train de se construire sous nos yeux, les cultures pourront enfin se développer sans entraves, vers l’excellence intellectuelle et cérébrale, humaine.

43. Prisonniers de la conquête.

C’est difficile de se projeter dans l’avenir. On se trompe facilement. Peut-être finalement que les hommes, quand ils auront fini de défricher la planète, vont se regarder en chiens de faïence en se demandant quoi « conquérir » encore, et s’empoigner ? Alors on pourrait dire que toutes ces cultures accumulées au milieu de toutes ces civilisations n’auraient rien changé au comportement de l’homme, depuis son apparition il y a 180 000 ans ?  En tout cas, je garde à l’esprit que ces cultures humaines, là où elles se développent avec esprit, sont fragiles. Fleurissant au cœur de civilisations de puissance et de conquête, comme l’écriture en témoigne depuis qu’elle existe, elles disparaissent quand ces puissances vacillent, et ne laissent au mieux que quelques témoins attachants...

Quelques textes ont été sauvés et recopiés datant de la civilisation grecque antique par exemple, qui a fait naufrage devant le bellicisme plus technique des Romains. Voilà ce qu’il en reste : quelques concepts bien structurés, dont on peut encore, si l’on veut, se remplir l’esprit et discuter sans ennui tellement ils étaient bien envoyés. De l’immatériel, quoi. Peut-être que c’est cela qui compte, l’immatériel ?

Pour autant, peut-on songer à un naufrage possible de LA civilisation mondiale du 21ème siècle ? C’est une question gênante pour ses orchestrateurs que nous sommes tous en partie. Irresponsables ?

44. Solitude.

Il est temps de parler d’organisation sociale, car l’individu, seul et  sans contacts, hors le malheur qu’il ressent, n’a aucune possibilité d’utiliser son intellect, qui reste en friche, et il perd alors la plupart de ses qualités mentales. Vous souvenez-vous de cet enfant sauvage recueilli et nourri par une louve dans la forêt, et retrouvé sans langage articulé à l’âge adolescent ?

45. L’ailleurs et le pouvoir.

A quoi le groupe nous incite-t-il à penser ? Par exemple, je suis dans un banquet officiel. Des musiciens exceptionnels se produisent. Des chanteurs, de la musique ancienne, grandiose. Tous le banquet est sous le charme entre les plats. A la table d’honneur, imperturbablement, le président continue d’évoquer avec  quelques notables, les affaires qui se préparent. La chute d’un notable peut-être, le financement d’un ensemble immobilier, des routes, des banques  et des chemins de fer.  Dans ce banquet, qui rassemble ceux qui sont au moins d’accord pour se montrer ensemble à une occasion donnée, il a ceux qui veulent bien considérer l’existence d’un ailleurs inconnu (cette musique par exemple). Ils s’en étonnent et ils s’y plongent, même s’ils n’y comprennent rien, quelques instants. Il y a ceux aussi qui sont entièrement pris par l’orchestration de la vie en société, selon les critères utilitaires du temps (aujourd’hui, à part la production et la vente d’armement, les « infrastructures » liées à la prospérité de modes dévastateurs de production d’énergie et  de modes de transports, prennent beaucoup de place, et sont très bien cachées au public occidental derrière  des slogans de « développement durable », mais c’est un secret). Les uns interrogent un instant leurs consciences, qui leur grisent les sens mais ne leur apportent aucune compréhension utile.  Les autres, gestionnaires, interrogent aussi leurs consciences, mais des consciences courtes, dans le domaine de l’utilitaire. Pour eux, la musique est un divertissement, ou mieux, une concession à accorder à la « poésie humaine », au bénéfice de leur image de marque,  pourvu qu’elle ne soit pas une gêne dans leurs affaires.

46.  Trois termes initiaux de l’existence.

En tant qu’individu, je n’ai pas besoin de beaucoup de culture pour me nourrir, me reproduire, et défendre mon espace de vie. N’importe quel être vivant, du plus simple au plus complexe, sait faire cela, sinon il disparaît. Ce sont les trois termes initiaux de l’existence.

Ni conscience, ni organisation sociale, ni culture, ne sont nécessaires pour réaliser, certes grossièrement, ce programme de base. L’instinct est suffisant. Mais c’est triste de n’être pas éduqué du tout, sans exemple à suivre et à dépasser peut-être, sans affection particulière, sans langage à partager. Je ne vois pas qui cela pourrait intéresser.

47. Un programme de base.

En société, avec culture, ce programme de base peut devenir passionnant, et remplir la vie dans tous ses interstices. L’instinct de reproduction par exemple, qui fait découvrir le désir, l’appétit sexuel et ses options de délicatesses : l’amour. L’amour avec  ses phantasmes, ses rivalités, ses douceurs, ses contrariétés, ses doutes, ses égoïsmes, ses jouissances sismiques, et ses intérêts sous-jacents qui vont par la procréation, jusqu’à l’immortalité !  Sans compter l’infini de création que représente son expression artistique, le gisement poétique où chaque génération de poète puise, depuis que les poèmes existent,  sans rien enlever à la fraîcheur de cette source. Qui d’entre vous a connu une histoire d’amour, brève, infinie, éreintante, fragile, rassurante, subite, tranquille, affectueuse, commune, vache, dramatique, terne, intéressée, désabusée, non partagée, constructive, physique, cérébrale, fondatrice, destructrice, profonde, inoubliable… ?

48. La nourriture, avec cultures.

En société, avec culture, me nourrir est source de tous les contentements et de toutes les jouissances. La gastronomie se trouve à la pointe de toutes les civilisations raffinées que la planète a pu connaître. La littérature culinaire est la première de toute en éclectisme et en nombre d’auteurs et de lecteurs. La pêche sportive et la chasse, dont la relation initiale avec l’acte de se nourrir est évidente,  élevés au rang artistique, comblent les sens de ceux qui s’y adonnent, leur apportent plus qu’un bien-être : un réel plaisir physique, sensuel, jusqu’à l’éjaculation parfois  au moment  de la mise à mort,  et sont la substance d’un lien social extrêmement fort, qui n’a pas besoin d’explication, et qui fait sens en surgissant de la nuit des temps entre les humains qui pratiquent ces arts.

Les chasseurs se reconnaîtront il me semble.  Et les autres, qu’ils songent au destin et au ressenti de  l’être qui a été vivant, apprivoisé et confiant,  dont un morceau savoureux se trouve dans leur assiette. Qu’en pensez-vous ?

49. La sécurité et la conquête, avec cultures.

  En société, avec culture, défendre mon espace de vie revêt plusieurs facettes aussi passionnantes lunes unes que les autres. D’ailleurs, il ne s’agit pas, à ma guise, d’uniquement défendre un espace, mais aussi d’attaquer pour l’agrandir. Toute la gloire et la fascination que véhicule l’ordre militaire ou économique y sont attachées. C’est aussi, en société, conforter mon pouvoir, le pouvoir des miens, celui de mes proches : toute l’ambition stratégique de conquête des rouages décisionnels, économiques et politiques, y sont attachés. Qui n’y est pas, à son niveau social, impliqué à plein temps ?

Publicité
Publicité
2 septembre 2008

La croissance, avec culture.

50. La croissance avec cultures.

En rapprochant la nourriture, la reproduction et la défense-extension d’un espace vital, on obtient une croissance : l’être vivant, solitaire ou en colonies, hardes et troupeaux, obtiennent cette croissance avec des techniques et des savoir-faire édictés par l’instinct, qui sont contrés par le milieu où il vit. L’homme en sociétés  y déploie toute son ingéniosité en civilisations et en cultures, tout son art, toute sa capacité créative et onirique (qui le sert accessoirement à se justifier moralement)… et se trouve contré par le milieu où il vit.   (On sait bien que la vie n’est pas simple). Vous auriez des contre-exemples ?

51. L’hyper-sophistication des actes primordiaux.

Assurer ses fonctions primordiales d’être vivant, avec culture c'est-à-dire en société, c’est bon. C’est passionnant. Dans une civilisation technique comme la nôtre, cela devient hypersophistiqué. A l’heure actuelle, il n’y a aucune contrainte sociale pour que je dise un mot d’amour à mon amie, et c’est une bénédiction de notre modernité. Pour ce simple mot d’amour à celle qui, je crois, pourrait devenir ma compagne si tout un ensemble de conditions sont remplies, dont par exemple celle de respirer son parfum avec plaisir, et d’apprécier sa conversation après l’amour, j’ai besoin d’une centrale nucléaire et d’une prise de courant pour recharger la batterie de mon portable (oui, ma copine et en stage à l’autre bout de la planète, comme cela arrive à notre époque). J’ai besoin aussi de la fusée orbitale qui a lancé et installé le satellite de télécommunications que j’utilise automatiquement ; d’un puits de pétrole en activité, d’usines de chimie fine et de nanotechnologies pour la construction du téléphone que j’ai en main, et aussi d’un avion long courrier, d’un train de voyageurs et d’une voiture car il n’est pas exclu, si nous sommes d’accord, que j’aille la rejoindre pour les vacances. Objectivement, tout cela est nécessaire à notre époque exceptionnelle. Pourtant, cela me semble assez sophistiqué, alors que nos aspirations, à mon amie et à moi, ne semblent rien comporter de différent de ce à quoi ont aspiré mes ascendants depuis que le langage est appliqué à l’amour.

52. Sophistication humaine.

Dans la civilisation où j’exerce ma vie en même temps que vous exercez la vôtre, début 21ème siècle, les cultures humaines baignent dans l’hyper sophistication technique. C’est récent, quelques dizaines d’années. Toutes ces techniques sont chères et sont donc facteur de développement économique. Bravo. Mais en fait il est très facile de constater que tout cela vient à point se superposer à l’hyper sophistication humaine, qui existe depuis longtemps. Portons nous dans un village des années 1910 (juste avant la Grande guerre il y avait beaucoup d’hommes jeunes dans les villages, c’est pour cela que je me situe en 1910). Pour dire un mot d’amour à ma promise (alors que les familles sont au courant, la dot a été calculée, le curé a été interrogé, les querelles de jalousie vidées, ou toujours latentes, il faudra en tenir compte dans la vie) je dois m’assurer que son chaperon est disponible, et de bonne humeur pour qu’elle veuille bien détourner la tête et que l’on puisse, ma promise et moi, s’embrasser et se caresser les parties interdites… Dans ce cas un téléphone portable aurait été aussi utile qu’à présent, et aussi encombrant technologiquement, mais n’aurait, comme maintenant, rien changé au fond. La sophistication qu’il représente ne présage en rien d’un changement de registre des préoccupations profondes. Mais peut-être  y a-t-il  des exceptions?

53. La clandestinité, nécessité de tous les temps.

La relation clandestine existe aussi : se reconnaître une affinité, se voir et se revoir sans que personne ne s’en doute ! Quel pied ! C’est mystérieux, passionnant, dangereux… Et très compliqué à insérer dans deux vies qui par ailleurs ont leurs obligations… Dans un groupe tribal paléolithique (très structuré, il n’y a pas de doute) d’une bonne centaine d’individus, des sympathies particulières pouvaient sans doute naître entre deux êtres, que l’organisation sociale séparait… ! A l’époque classique on aurait appelé cela de l’amour et on en aurait fait une pièce de théâtre  sur l’évolution de la société, suffisamment cryptée pour que l’Eglise ne la condamne pas, et que le roi aurait peut-être vue et applaudie. Mais au Paléolithique ?  Quels trésors d’ingéniosité ces amants privilégiés devaient-ils développer pour goûter de temps en temps, leur complicité, sans qu’un gros jaloux, chef ou copain du chef, ne vienne tout gâcher par pur dépit, par jouissive méchanceté ?

54. Fonctions primordiales, consciences courtes.

Ainsi il se trouve qu’avec des codes culturels, épanouir en société les 3 fonctions primordiales de l’être vivant, c’est d’un intérêt toujours renouvelé, et d’une jouissance physique et intellectuelle toujours neuve, totalement insatiable… Et qui n’ont aucune raison d’être satisfaite (on sait bien que dans le « bonheur », au bout de peu de temps il manque un petit plus qui devient vite nécessaire, et ainsi de suite). Cet épanouissement se fait  avec une conscience courte des « choses » (on ne peut pas tout réifier sous peine de contresens, mais c’est une façon simplificatrice de m’exprimer), qui induit une ingéniosité, une intelligence tactique, immédiate, se nourrissant d’une vive et utile curiosité, d’une faculté décuplée à comprendre et interpréter les situations et les phénomènes par la concentration de l’esprit sur le but à atteindre, bien circonscrits dans ces trois registres primordiaux. Au fil des civilisations qui font notre histoire, leur complexification, leur sophistication sont proportionnelles à l’accumulation des découvertes et des connaissances, surtout des connaissances scientifiques et leurs applications dans des machines et des appareils… On en arrive avec bonheur à cette  espèce de summum technicien, toujours dépassé, que nous vivons en ce début du 21ème siècle après JC.

55. Un autre gisement culturel.

Avec une conscience large, l’ouverture d’esprit  permet (et oblige aussi, ce qui est pénible pour la tranquillité mentale) de  regarder le cosmos et la planète de l’intérieur, avec des hommes et d’autres êtres vivants sans à-priori hiérarchique,  c'est-à-dire permet de chercher une compréhension de nos complexions physique et cérébrale et de leurs environnements, qui ne soit pas entachée d’auto-propagande (les hommes lâchés dans un terrain de jeu qui leur serait spécialement dédié pour le « mettre en valeur »). Mais du coup l’intérêt et le plaisir de la sophistication des 3 fonctions primordiales, s’ils prennent encore beaucoup de place, apparaissent vains… ce qui bizarrement ne les gâche pas du tout !…  Savoir voir  ne gâche rien, il faut l’expérimenter pour s’en rendre compte! Mais cela permet d’envisager de cultiver d’autres préoccupations… Oui mais lesquelles? Quelles  autres préoccupations sommes-nous capables d’inventer, qui ne seraient pas d’origine instinctive?  C’est cela qu’il faut trouver, il n’y a  aucun doute. Vous en avez sans doute une idée ?

56. Le privilège de la conscience courte.

Ai-je l’air de dévaloriser ce que j’appelle une « conscience courte » ? Je ne le voudrais pas, car après tout, il s’agit d’une caractéristique humaine, ni bonne ni mauvaise, participant de la réussite  fulgurante de l’homme sur sa planète, qu’il convient de prendre comme elle se présente. D’où peut-elle venir ? En tout cas, elle n’est pas qu’utile, car si elle apporte tant d’efficacité à la réflexion et à l’action humaine, elle induit  aussi la prescience d’un néant à ses confins : que vais-je devenir si les circonstances que j’essaie d’infléchir en ma faveur et en faveur de miens, ne me sont tout de même pas favorables ? Après ma mort, serai-je totalement mort ? J’ai du mal à m’y résoudre, et de toute façon mon Directeur de conscience me dit que j’ai une âme, et je l’accepte avec évidence car cela me soulage. Que m’importe si les autres n’en ont pas ? Je ne suis pas responsable. Qui se sentirait responsable ?

57. Les éternités.

Mon directeur de conscience me dit que si j’obéis à certains préceptes, je peux faire partie de ceux qui auront la vie éternelle.  Je rejoindrai alors le groupe des justes qui méritent la récompense suprême pour les siècles des siècles.   Si je compare à l’existence humaine (1800 siècles) et à l’existence de la vie sur la planète (38 millions de siècles), à celle du système solaire (160 millions de siècles) « les siècles des siècles », je ne comprends pas bien ce que cela veut dire. Mais c’est discutable aussi si on réfléchit aux consistances du temps (en quoi le temps consiste-t-il ?). Mais je n’y pense pas, ma conscience est courte, et je préfère croire, même vaguement. Et puis, « des siècles et des siècles », c’est sans doute beaucoup par rapport à ma vie biologique, et je n’arrive pas à m’imaginer au-delà. Je n’en ai pas besoin, je fais confiance aux prêtres de mes religions, comme les hommes l’ont fait depuis qu’ils portent ce fardeau cérébral qu’est « la conscience ».

58. La vie sensée, la  bonne vie.

A la fin de sa vie, quand on a été curieux et qu’on a utilisé tous les registres des  cultures qui nous sont disponibles au sein de la civilisation où nous avons vu le jour, quand on a utilisé au maximum les registres de sophistication et d’embellissement des 3 fonctions primordiales de l’être, et qu’ainsi on a pu dans une certaine mesure croitre soi même dans la société, mais aussi les siens, sa ville, sa région, son pays, ses idées, qu’on a participé à rendre excellent le système mental et physique d’organisation sociale auquel on a participé activement, alors, on a réussi sa vie. Les amusettes auront en plus « bien vécu », les sérieux auront marqué leur époque avec sérieux. A charge aux descendants de continuer comme cela : tant qu’il y aura des chantiers à mener, des domaines à conquérir (pour le bien principal du groupe social même le plus réduit), il y aura des vies réussies. Il est légitime que chacun cherche cette réussite. Même chez les poètes, l’individu qui au fond de lui ne s’accommoderait pas d’une reconnaissance sociale, serait une exception extrêmement remarquable. Je ne connais personne dans ce cas. Et vous ?

59. Prédation et fuite en avant.

Le prédateur humain dans son contexte, tout à l’épanouissement de son groupe culturel (quelle que soit sa culture) est indulgent au malheur de ses proies.  C’est dans l’ordre naturel des choses. Reste que même dans le cas de figure d’une réussite totale  sur plusieurs générations (une réussite de plus de 4 ou 5 générations, sans subir les assauts de sous-groupes culturels concurrents, c’est sans doute l’exception au cours de l’histoire) il se pose la question d’un manque. Les doutes, écartés dans la réflexion et dans l’action, renaissent spontanément. Est-ce parce que la partie de conscience utile à la victoire, serait trop courte finalement pour satisfaire un esprit comme le nôtre, et serait capable de générer  après l’émotion de la réussite, « la mauvaise conscience » ? Une façon bien connue de l’apaiser consiste à l’oublier dans de nouvelles conquêtes pour un pouvoir ou un bonheur plus fort, par exemple. Mais peut-être que … il y a des chances que le schéma se répète dans la même perspective d’insatisfaction ? 

60. Une exploitation réussie jusqu’à la fin.

Ce qui est arrivé à l’île de Pâques, avec ses grandes statues mystérieuses, est dramatique.  Deux tribus polynésiennes, arrivées par bateaux à l’époque du moyen-âge européen, s’y sont affrontées pendant quelques siècles, pas plus. L’une y a construit ses cathédrales (ces fameuses statues), l’autre s’est contentée de vivre.  Entre deux combats, elles ont défriché et exploité par l’agriculture et l’élevage tout le petit territoire. Mais les terres se sont appauvries et la production a chuté. Les deux populations ont fondu, et il ne restait plus que les descendants haves et faibles de ces deux tribus guerrières, pour accueillir les premiers voyageurs européens et américains, qui ont mis tout ce petit monde d’accord en l’exterminant par jeu (il y a beaucoup d’amusettes chez les voyageurs) ou par esclavage (il y a aussi pas mal d’hommes d’affaires). Quel rapport avec la multitude des peuples et la vastitude des territoires de la planète, et cette ile minuscule ? Et quel rapport avec  l’idée de la prééminence d’une conscience courte chez l’homme ? 

61. La stratégie, c’est le temps court.

Et s’il n’était resté qu’une seule tribu sur l’île de Pâques? En effet, L’anéantissement de l’autre aurait été hautement justifié par tous les stratèges politiques, religieux monothéistes, militaires et économiques, pour le bien (de la tribu vainqueur, et de la Vérité. Pour le bien du dieu de la tribu vainqueur). Peut-être que la conscience des stratèges est trop courte pour considérer que, le temps se déroulant, il y aura toujours deux tribus ? Et s’il n’y en a qu’une, elle se scindera en deux ou en trois le plus rapidement possible a cause de la capacité d’initiative de la cérébralité humaine : Connaissez-vous un territoire physique ou virtuel  où il n’y aurait qu’une seule tribu dominante pendant plus de trois générations ? Nous les compterons ensemble.

62. Une langue en bois.

Dans une île, une région, un continent, une planète exploitée par plusieurs groupes humains, intelligents, vecteurs de cultures fortes et sophistiquées, conquérantes, il ne suffit pas de désigner et d’expliquer un fait (quelle que soit son évidence) pour convaincre l’ensemble des groupes.  Pourtant le langage est là qui semble fait pour échanger… Mais quand plusieurs groupes humains sont en présence, le rapport de force,  l’identité-territoire mental, influent beaucoup sur le caractère opérant ou non du langage : quel que soit le sujet, quelle que soit l’importance en nombre ou en renom de ces deux groupes, on est dans le domaine de la négociation et de ses passionnantes sophistications mentales. Les exemples abondent, et ce sont les contrexemples qui sont des  exceptions. De ces exceptions qui permettent, si on choisi personnellement de le faire, de croire en l’homme !

63.  Le langage et la prédation.

Jai besoin de savoir qui t’envoie pour comprendre le sens des mots que tu assembles et que tu prononces, pour pouvoir comprendre ce qu’ils cachent d’amical ou d’inamical. J’ai besoin de confiance en même temps que de méfiance pour comprendre ce que tu dis. C’est fatiguant, mais cela confère énormément d’intérêt et de variété aux rapports humains, à partir de 2 personnes en présence… Depuis que notre histoire est racontée par l’écriture, depuis 5000 ans, n’y a-t-il pas de nombreux exemples ? Ou n’est-elle faite que de ces exemples ?

64.  L’éloge d’une conscience courte.

L’incompréhension, malgré le langage, est tellement répandue et naturelle qu’elle doit être une attitude instinctive : en effet si tu te mets à comprendre les sphères d’intérêt, et les intérêts tout court, d’un autre groupe humain, c'est-à-dire à les considérer «impartialement » (c’est impossible), mais sans référence à tes propres intérêts et à ceux de tes proches (c’est possible mais absurde en droit), tu perds ton appartenance sociale. Et tes amis te diront : de quoi parles-tu là ? Comment parles-tu là ? Tu roules pour eux ou tu roules pour nous ..? C’est très dangereux d’essayer de comprendre l’Autre, car  tu es immédiatement suspect de traîtrise par tes alliés. Et tu es un mêle-tout, qui te charges l’esprit de problèmes qui ne sont pas les tiens (on a des penseurs appointés pour cela), alors que tu ne sais même pas conduire ta propre maison !

65. Théorie des ensembles.

On parle beaucoup de « groupes » dans ces lignes  et même de « tribus ». Mais on pourrait aussi bien dire « ensembles » et « sous ensembles » comme en maths. Dans notre civilisation qui couvre la planète (les îlots d’autres civilisations sont minuscules et contaminés), on voit plein de cultures différentes qui affectent des sous-ensembles de gens différents. Cultures urbaines, périurbaines, « rurbaines », rurales, balnéaires, nomades, etc. pour ce qui est de leurs localisations ; cultures littéraires, audio-visuelles, industrielles, techniques, numériques, économiques, sportives, sexuelles,  religieuses, politiques, militaires, musicales, philosophiques, oniriques, etc. pour ce qui est des « genres » de pensées partagées, au moins temporairement, par leurs adhérents…

66. Des tribus, regroupements physiques et virtuels.

Toutes ces catégories culturelles se chevauchent et se superposent pour former une partie importante de la cérébralité individuelle, l’apparence aussi, le mode de vie, l’onirisme. Les gens que l’on rencontre, nous même aussi,  nous reconnaissons de façon plus ou moins formulée une appartenance à un tas de groupes. Nous nous y reconnaissons pour quelques secondes (le temps d’une phrase entendue : « je suis d’accord ») ou pour dix, mille générations. Pour être mouvant dans le temps et dans l’espace, ce sont ces groupes auxquels sont attachés les individus  qu’il me plait d’appeler « tribus ».  C’est un mot ancien, coloré avec des cris et des chansons de ralliement, des pensées structurées autour de préoccupations communes, des règles, des sacrifices, des transgressions… Pourtant, la dernière appartenance de l’individu me semble être, sauf cas particuliers, la sienne propre, avec la conscience de sa propre entité. Un des « groupes » d’appartenances particulièrement important, c’est le « soi ».

67. Transgressions.

Alors finalement, combien faut-il d’individus pour faire un « ensemble » humain au sens mathématique et au sens social un « groupe » ? Un seul, car il contient évidemment de multiples appartenances. Ce « je » a la conscience très forte de sa propre entité.  Pour me faire plaisir ou par simple dérision, par faiblesse ou par un trait de caractère personnel,  je transgresse un peu… Je ne devrais pas boire, mais… Ah ! Quel plaisir. Je ne devrais pas dire en société… Mais je le dis, et ainsi j’existe, j’acquiers du relief à mes propres yeux et aux yeux des autres ! En bref, Je suis un être d’initiative. Transgresser les règles édictées par le groupe, cela fait partie du renouvellement de  l’intérêt pour la vie. Quelles sont vos transgressions-créations préférées ?

68. Tous singletons culturels.

Pour me faire plaisir, j’aime juger différemment des jugements dominants : certaines pratiques acceptées, promues, valorisées par la société qui me compte comme membre, la culture qui remplit les 99% de ma vie physique et cérébrale, peuvent me sembler épouvantables. Par exemple (les exemples sont provocants), manger un animal me plonge dans l’horreur, imaginant la panique qu’il a connue devant la mort et pendant l’agonie ; remplir mon réservoir d’essence me plonge dans l’horreur de l’agonie des peuplades qui ont été déplacées, « déshumanisées » (leurs cultures foulées au pied), pour laisser place nette à l’activité d’extraction du combustible brut.  Ce sont évidemment des réactions personnelles, cachées, que je ne peux chercher à partager hors de cercles très minoritaires. Dans mon milieu c’est impossible : je passerais pour un sensible, un con en fait, qu’il faudra songer à déboulonner avant qu’il ne pervertisse, par son audience éventuelle, notre culture conquérante,  et ne menace des filières entières de l’industrie et de la consommation.  Alors quand je le peux, seul, j’envisage un repas sans mort animale : je forme à ces instants un ensemble social d’une seule personne, un groupe d’un seul élément (drôle de groupe, moi-même et mes songes), un singleton en maths. Cela vous arrive-t-il parfois, quelques minutes, de former un singleton culturel, soit physique, soit mental, soit les deux ?

69. La plus grande appartenance.

Il faudrait donc au minimum un individu pour composer un « groupe unipersonnel», une entité sociale sous la forme d’un singleton, qui serait le point de chevauchement d’un grand nombre de caractères  culturels et sociaux assemblés chez lui, ne serait-ce que quelques secondes. Et le plus grand ensemble, combien contiendrait-il d’individus ? Qui n’a pas la sensation d’appartenir à l’Humanité, ancienne, contemporaine, ou à venir ? Qui ne se sent pas de la même essence que ces êtres qui ont dessiné sur les parois des grottes, il y a 30 000 ans (même si ceux qui étaient capables de le faire étaient sans doute très minoritaires à l’époque comme maintenant ?) Qui ne se sent pas solidaires de tous ceux qui n’ont rien laissé, même pas leurs os, et qui ont perdu leurs outils depuis 180 000 ans ? Et même de ceux d’avant encore, qui n’appartenaient pas à la même espèce, mais ont taillé, eux aussi, des outils de pierre et les ont semés depuis 2,5 millions d’années ? Et, de l’autre côté du temps, de ceux qui viendront, nos descendants, jusqu’à la fin de l’espèce ? Cela fait un ensemble regroupant tout ce qui ressemble à l’homme, passé, présent et à venir !

70. Le groupe, la tribu, le contrat inter tribal.

La « tribu » des amateurs inconditionnels de Jimmy Hendrix, ce n’est pas joli ? Ou du groupe Ange en France (seuls les initiés comprendront, c’est une question de couleur des sons et de voyage plané, quand ils ont encore le plaisir d’assister à un concert, ce qui est rare.  Et ils crient « merci ! » à la fin du rappel qui a duré une heure, en une sorte de communion). La « tribu » des amateurs de combats de chiens à Marseille, cela ne va pas. Disons que c’est un « groupe » de spectateurs et de parieurs qui n’est soudé que le temps de cette performance illicite. Pendant le combat, se dessine le groupe des  parieurs sur le chien A, et le groupe des parieurs sur le chien B. Et il y a le groupe des organisateurs, très structuré le temps de l’évènement, et le groupe des propriétaires de chiens. Mais dans de dernier, il y a le propriétaire de chien A, qui est en lice, et du chien B aussi, qui subissent un stress antagoniste, et ont de fortes chances d’être un peu ennemis le temps du combat. Il y a le groupe de la police aussi, qui n’intervient pas ce jour là parce que l’organisateur a des renseignements à fournir contre service.  Bien qu’il reste dans le groupe de truands, il arrive à négocier un accord avec le groupe voisin que forme la police, ennemi en général, car à ce moment les deux « croient » à la parole qu’ils échangent. Leur contrat est éphémère, assez fragile, mais c’en est un.

71. Une description.

La vie humaine, en sociétés, est un roman, et quand on l’aborde en songeant à une « théorie des groupes », avec un regard plongé dans le temps profond, la conscience s’élargit.

72. L’intuition, cet incontrôlable.

Une conscience trop vaste est nuisible à l’individu et risque de le paralyser. Comment considérer l’idée d’un cosmos milliardaire en temps  et en distances et vivre normalement ? (Et je ne parle pas du « tout petit », des constituants fondamentaux de la matière –à cette échelle là c’est tout autre chose de que la matière– dont les espaces confinent également à l’infini).  La fourmi et le lézard ne se posent pas tant de questions. Ils se reproduisent se nourrissent et défendent leurs petits territoires selon  les protocoles induits par leurs instincts d’espèce, et n’ont besoin de nulle idée de l’existence d’autres fourmis et d’autres lézards ailleurs que dans leur pays. Mon malheur humain est que je peux être affublé de la conscience  d’un  énorme écrin (variable dans le temps) qui me contient et contient tous les êtres vivants ou morts, dont je fais partie d’une façon certaine, mais dont je me sens si différent aussi. Est-ce récent ? Pour ne pas insulter la mémoire des anciens, bien qu’ils n’aient pas connu l’observation scientifique, je dois considérer que cette conscience de l’existence de territoires inaccessibles, physiques et cérébraux,  existait bien avant la philosophie écrite. Car elle est perceptible par intuition. Vous savez, cette petite alerte interne incontrôlable, qui induit autant vers le « vrai » que vers le « faux » ?

73. Gros cerveau, fine stratégie, succès tribal.

Cette conscience superflue et gênante est sans doute venue à l’homme, exacerbée, après transmission de ses ancêtres  (Homo habilis et erectus) en même temps que le cerveau faisait un bon de croissance, en une aptitude adventice à son utilisation principale qui consistait certainement à tirer son épingle du jeu dans les sociétés humaines, comme maintenant. Sinon, comment considérer que cette hypertrophie cérébrale ait pu se montrer simplement viable, passant de 1000   à 1300 cm3, alors que les outils pour la nourriture et l’artisanat, fleurons de nos espèces ancestrales, ont peu évolué jusqu’à la période très récente du néolithique et de l’avènement de la fameuse pierre polie Il y a 10 000 ans?  Notre propre espèce, avec nos potentielles capacités cérébrales (la conformation du cerveau qui caractérise notre espèce n’a pas évolué depuis son avènement) existait depuis 170 000 ans, soit plus de 6500 générations avant que ses outils témoignent d’une inventivité radicalement nouvelle! (tandis que l’expression artistique, attachée  à la conscience, s’était déjà développée). C’est que l’outillage ne reflète  pas cette croissance du cerveau.

74. Valeurs officielles ? Valeurs tribales.

Les membres de notre propre espèce n’avaient pas appris à compter en milliards d’années. Pendant 170 000 ans ils n’ont pas trouvé l’intérêt de faire beaucoup évoluer leurs techniques, qui somme toute étaient viables puisqu’ils ont eu des descendants. Mais, devinant les vastitudes inexplorables, les plus rêveurs considéraient la taille du ciel et s’exerçaient à considérer l’infini, et doutaient des explications que leurs hiérarchies religieuses et politiques leur assénaient pour qu’ils se tiennent tranquilles et que le groupe soit solide… Nous en sommes à peu près au même point, malgré le développement intellectuel et technique.

75. Je réfléchis, et soudain…

Le loup hurle à la lune. Mais s’occupe-t-il seulement de la lune ? N‘est-ce pas à lui-même qu’il crie son existence, ne la crie-t-il pas aux siens, à ses proies aussi, galvanisé, énervé, inquiété par cette pleine lune si étrange ? L’hominidé ancestral, contemplant l’inconnu, vivait en groupes de quelques dizaines d’individus, avec certainement comme aujourd’hui des hiérarchies et des revendications mouvantes, des « plans » pour tirer son épingle du jeu social, promus par  des membres du groupe, selon les personnalités et les opportunités. Ainsi s’aiguisait l’esprit  dans la nécessité vitale de comprendre des stratégies toujours modifiées par une conjoncture évoluant année après année, au jour le jour. Il fallait se tenir au courant des affaires du groupe, comprendre les non-dits, les sous-entendus ; analyser les situations ; se faire violence personnellement : j’ai peur, je suis intimidé, j’ai quelque chose à perdre et à gagner, c’est un dilemme. Soudain, je sens que je ne peux faire autrement : j’agis, je fais copain avec untel, je modifie mes alliances, j’exprime ou je me rallie opportunément à un avis. Toujours en réfléchissant ? Non, l’intuition, la passion et la faim de tout ce qu’il faut pour assurer ma parade sont omniprésentes.

76. L’opportunisme : n°1

Ces exercices cérébraux dans le groupe d’hominidés, malgré les discours de propagande,  sont le plus souvent triviaux, veules, « immédiatement intéressés ». Nous le vivons encore aujourd’hui il me semble, au sein d’une famille, d’une ville, d’un pays, d’une PME ou d’un groupe international, d’une « communauté » scientifique ou intellectuelle. L’opportunisme social est le premier produit de la merveille cérébrale qui nous caractérise, et  ne serait-t-il pas intéressant et fécond de prendre le recul nécessaire pour le constater, pour oser ne plus se réfugier derrière des exceptions éclatantes, trop exceptionnelles pour être significatives d’une nature presque aveuglément prédatrice, et  nous prendre (oser nous considérer) comme nous sommes ? Par simple curiosité inutile, ou dans le but éventuel de s’en sortir, peut-être.

77. La tentation du pouvoir.

Dans une petite société ancestrale, l’esprit s’exerce comme malgré lui à la réflexion dans ce contexte de village nomade, tribal, globalement heureux certainement car le gibier abonde en général ainsi que les plantes comestibles. La complication ne vient pas de la quête de nourriture, elle vient des hommes. Peut-on imaginer une famille forte, avec des mâles bien bâtis et des femelles fécondes, un ciment culturel solide et porteur de fierté, ne pas être tenté d’exercer une domination sur la famille voisine dont les adolescentes sont graciles et les hommes capables d’effectuer sous une contrainte excitante et distrayante pour celui qui l’exerce, de menus travaux ? Ne serait-ce que par jeu ou par intérêt ? Ou par principe ? Ou parce que ces voisins sont concurrents, haïssables, et que cela devient un devoir de leur expliquer le « bien » et de les forcer  pour l’avènement de ce  bien, et conforter encore le ciment culturel des vainqueurs ? C’est souvent une question de survie ; ou utilitaire ; ou de poursuite instinctive d’une « croissance » ?

78. Une mortelle énigme.

Le temps passe et les interrogations sans réponses sont devenues insupportables. La plus ancienne tombe comportant un élément destiné à accompagner le mort concerne notre espèce et date de 100 000 ans. Il s’agit d’un enfant avec une tête de cerf posée dans ses bras. La mort est une énigme pour l’être conscient, parce qu’il a la ressource cérébrale de se poser la question. Les créations artistiques, poétiques par essence, comblent l’incompréhension naturelle et permettent de supporter  cette conscience, qui autrement serait capable de nous empêcher de vivre.

79. Cela dit, bien avant l’hominisation, les grandes caractéristiques qui font la cérébralité étaient déjà installées chez les primates et aussi chez les mammifères, bien qu’étant réparties très inégalement selon les individus. Le courage ou la couardise ; la facilité à se mettre en colère ou la tendance à la pondération ; la volonté tenace ou volage ; l’enjoué, le sérieux ; le sournois, le direct. Ainsi deux chiens de même variété et de même taille, deux frères-chiens d’éducation comparable, pourront avoir des caractères très différents. Deux tigres également, tous les dompteurs vous le diront. Pour les chevaux n’en parlons pas. Et les oiseaux, qui  sont issus d’une variété de reptiles à l’ère secondaire ? Y-a-t-il des individus oiseaux, dans une même espèce, qui seraient par exemples plus belliqueux, plus gloutons, ou plus curieux que d’autres ? Qui a observé avec finesse des  oiseaux vivants, c'est-à-dire à l’échelle de l’individu et non pas à celle des particularités d’espèce ?

80. La cruauté pose problème.

Qui n’a pas fait cuire un crabe en le plongeant vivant dans une marmite d’eau froide, avec du thym et du laurier, que l’on chauffe lentement jusqu’à ébullition pour que la chair reste bien ferme et agréable sous la dent ? Combien de temps agite-t-il les pattes spasmodiquement jusqu’à ce que la chaleur le tue ? Mais le crabe, agitant les pattes, peut-il ressentir une douleur ?  Et l’ours, mammifère plantigrade souffre-t-il quand, enfermé dans une cage ayant exactement sa taille, les visiteurs goguenards de ces zoos de l’autre bout de la planète enfoncent chacun à leur tour, avec volupté, une aiguille dans son ventre ? Au bout du 2000ème visiteur, a-t-il ressenti une douleur physique ? Ou morale ? Dans la cruauté, dans la torture, il y a un raffinement, une jouissance ressentie instantanément ou escomptée.

81. Une chair savoureuse, un nounours, une chasse au loir.

Je ne fais pas moi-même la cuisine au restaurant. Mais en commandant une truite au bleu ou un crabe, mets raffinés, je sais bien comment ils sont préparés. Et je suis prêt à refuser l’addition si la chair n’est pas savoureuse. Quand j’achète un nounours à mon enfant, je sais bien (le sais-je ?) qu’il a sans doute été cousu par de jeunes esclaves dans des fabriques lointaines. Ce nounours est beau et pas cher, c’est ce qui m’a séduit. Et le chat qui joue avec passion avec le loir qu’il a attrapé ? Qu’en pense le loir, et qu’est-ce que je peux en penser ? Car moi  je pense, on me dit que je pense et j’en suis facilement persuadé,  je ne suis pas un bête chat ni un perdant de loir.

82. La transe du guerrier.

Sur ce sujet très gênant, la cruauté, je m’interroge encore un peu en songeant à la jouissance. N’a-t-on pas entendu parler, à toutes les époques historiques, de soldats conquérant une position, une ville, un village, un douar (village nomade en Afrique du nord), prendre plaisir au butin, certes, mais aussi au viol et au dépeçage d’individus encore geignants, et poser pour la photo entre camarades, brandissant des têtes de combattants vaincus? J’ai déjà vu de telles photos, mais je ne sais pas si elles étaient truquées. Est-il vrai aussi que le tortionnaire mâle bande en s’appropriant la douleur de sa victime, et que le tortionnaire femelle ressente des ondes souveraines dans les cuisses, le bas-ventre et les seins ?

83. Mon champ de conscience s’arrête à l’art ?

La cruauté est une sophistication comportementale qui semble venir de très loin et concerne, il me semble, les consommateurs de proies vivantes qu’ils attrapent et dont ils jouissent pendant l’agonie, et le plus souvent après l’agonie en se nourrissant. Je ne porte pas de jugement de valeur : je ne suis ni crabe, ni souris, et il ferait beau jeu que je me mette à la place d’un cochon à l’abattoir, qui, avant d’être proprement électrocuté, a senti la mort à l’instant même  où la bétaillère s’est arrêtée dans la cour de l’usine, et a hurlé en s’agitant avec ses congénères, pendant des heures, avant son transbordement dans la chaîne de production. Un porc, simple animal bête, sale et frustre, avec lequel je partage un ancêtre qui vivait il y a 85 millions d’années,  est-il capable de la moindre sensation ? Je n’en sais rien. Ce n’est pas une question qui entre dans mon champ de conscience. C’est que je m’intéresse aux hommes, moi, et les porcs n’y ont de place que pour leur viande sur laquelle j’érige un art : la gastronomie. Il n’empêche, j’ai rencontré des gens tout à fait normaux qui se posent la question, et dans un  but de transcendance que j’aimerais bien comprendre, évitent avec une touchante maladresse de se trouver dans une chaîne de cruauté. Y aurait-t-il vraiment un avantage quelconque (non pas gastronomique, mais cérébral, puis intellectuel) à ne pas participer à cette cruauté d’espèce?

84. Le conflit propre.

Fort de mon intérêt pour les hommes, je réprouve la torture dans les conflits. D’ailleurs, en pensant bien, j’estime avec facilité que ces actes sont le fait d’individus désaxés ou malappris, qui doivent être punis. Mais j’estime aussi qu’il est facile pour la partie adverse de criminaliser ces cas: ces adversaires sont capables de toutes les lâchetés.  Chez l’homme juste et courageux, appartenant à une société bien organisée, qui fait honneur à l’Homme par ses techniques et ses valeurs (c’est à dire pour tous les groupes humains considérés de l’intérieur) la négociation est privilégiée.  La guerre ne survient qu’entre deux palabres, deux négociations, quand l’adversaire est irréductible aux bonnes raisons. Les négociations concernent les émissaires de deux groupes (au moins) qui sont remplis de raisons valables dans leurs cultures.  On y a le trac devant l’éventualité d’un conflit armé (entre deux pays, entre deux entreprises, entre deux familles, entre deux gangs…) si les adversaires sont capables d’opposer une résistance.  Mais on en éprouve aussi un plaisir secret, à l’idée du pouvoir absolu sur les êtres que le conflit génère si les batailles sont victorieuses.  On peut même dire que la menace du conflit écrasant est  un argument non dépourvu de suavité dans la palabre. Car il n’y a pas de négociateur qui ne sache, au moins d’un savoir livresque bien détaillé, ce qu’il se passe dans un conflit armé.

85.  La norme de l’activité belliqueuse.

Il y a toujours eu des guerres, même alors que la palabre n’existait pas encore, faute de pouvoir parler. Mais chez certains animaux par exemple, on pouvait quand même crier ou hérisser ses poils pour prévenir qu’on ne supportera pas cette situation et qu’on allait attaquer. Puis c’est peut-être l’attaque, chaque espèce ayant son protocole instinctif pour la réaliser. C’est un évènement qui dépasse l’homme, puisque ces batailles existaient avant sa survenue sur la planète. Bien qu’elles aient été plus individuelles, moins sophistiquées, moins techniques et moins intelligentes. Et depuis qu’on sait les raconter avec l’écriture, depuis 5000 ans, y en a-t-il eu une, une seule, avec des hommes qui investissent un territoire, qui ne se soit pas régulièrement (non pas exceptionnellement, mais régulièrement) accompagnée d’exactions  tortionnaires ?  Il s’agirait donc bien là d’une norme de l’activité belliqueuse. ….  A moins que quelqu’un ait connaissance d’une guerre ayant fait exception?

86. La victoire, obligatoire.

La guerre est une  disposition instinctive que nous avons sans doute, en tant qu’être vivant,  héritée de notre premier ancêtre sur la planète, sur le registre de la défense et de l’élargissement  de son espace de vie.   En l’érigeant en art (militaire ou économique) comme l’a permis notre cérébralité, elle permet de  croitre en gloire, et le dépeçage qui l’accompagne est valorisé ou caché selon les cultures. Si vous supprimez la victoire, que reste-t-il de l’homme ?

87. Le bonheur, la guerre.

Quand un homme politique décide finalement de faire une guerre, ou un marchand de la préparer ou de  l’alimenter, ils savent très bien que nous ne sortirons pas des pratiques ancestrales de la guerre, et ce qu’il se passera. Nous aussi nous le savons, depuis le temps que nous les faisons, et que souvent nous en avons joui de par leurs retombées … Et que nous en jouissons. Mais au fait, y-a-t-il réellement des actions militaires (et paramilitaires) qui nous apportent actuellement du bien être, en 2008 ? Et quel est ce bien être ? Est-il physique. Est-il moral. Est-il philosophique ?

88. Intentions, sophistications.

C’est affreux de s’acharner, avec un simple regard naturel, à descendre l’homme et ses sociétés de leur  piédestal. Alors qu’il serait positif de souligner ses réussites, sa formidable aventure d’être vivant doué de conscience. Alors que son esprit s’est élevé continuellement depuis son apparition, aussi bien en philosophie qu’en sciences et techniques au service d’un bien être toujours plus fort. On peut même dire que la plupart de ses avancées se caractérisent par une sophistication. Une appréhension plus complexe des phénomènes, et une résolution plus technique et toujours plus efficace. Un assouvissement plus sophistiqué de ses fonctions vitales d’Homo Sapiens, seul ou en société.

Il serait intéressant de faire la part entre sophistication, et élévation de l’esprit. Et pour cela, à partir de faits et de descriptions concernant la magnificence de l’espèce, essayer de remonter aux intentions des décideurs, des acteurs et des spectateurs. Non pas forcément aux intentions affichées pour se justifier aux yeux de tiers ou à ses propres yeux, mais aux intentions plus vraisemblables,  celles qu’on peut détecter en s’observant et en observant avec pénétration…  C’est tout un programme, n’est-ce pas. Et d’abord, les intentions peuvent-elles être tellement significatives d’un état d’élévation d’esprit (c'est-à-dire non tourné mesquinement vers soi-même ou son groupe d’appartenance), ou bien leur traduction, les actes ?

89. S’évader d’un programme instinctif ?

Comment pourrait-on définir le concept d’élévation d’esprit ? Serait-elle la recherche d’une évasion du programme instinctif qui régit l’être vivant, d’une évasion des chaînes de décisions-déresponsabilisations qui sont engendrées par l’accrétion d’individus dans les organisations  de type humaines ? En termes d’intentions intimes? En termes de choix d’actions ?

90. Production et commerce.

En action militaire, la fin justifie les moyens, c’est normal, et si une minorité d’hommes de troupe ont pris un plaisir individuel et collectif avec les corps de quelques vaincus, c’est regrettable, mais la victoire apporte plus qu’une compensation à ces incidents collatéraux. Elle apporte tout à notre cause suprême.  D’ailleurs, malgré une enquête rigoureuse, on n’a pas retrouvé les auteurs présumés, et les faits sont sans aucun doute largement exagérés par de mauvais témoins indirects, dévoyés sexuellement et  à la solde de nos  ennemis actuels. Ils seront jugés selon la loi  par notre justice. Et puis certains sont morts valeureusement  dans les deux camps, et ils font honneur à l’humanité par leur héroïsme et leur désintéressement.

Par contre, la vente d’armes à des peuplades solvables organisées en groupes rivaux, serait-elle aussi en rapport avec une cause suprême ? Et quelle serait-elle ? En tous cas, ces ventes se font pour la prospérité des fabricants et des marchands d’armes, qui donnent tant de travail à leurs salariés américains, chinois, britanniques, français, israéliens, pour ne citer que les plus performants dans leurs techniques létales et dans leurs ventes. Et les dégâts occasionnés lors de leurs guerres régionales ou locales, sont-ils collatéraux ou principaux, c'est-à-dire dans ce cas font-ils partie intégrante ou non de l’acte de s’industrialiser et de vendre des produits manufacturés ?

91. L’hypertrophie d’une fonction instinctive : le commerce mondial.

L’industriel, soutenu diplomatiquement par le chef d’état qu’il instrumente (les responsables politiques sont à genoux et consentants devant la puissance des gros lobbies qui vendent de la « technologie ») va porter l’exaction et la décimation, avec pour échange :  de la croissance, de la prospérité et du bonheur pour son groupe industriel, pour ses actionnaires anonymes qui spéculent sur les ventes à venir et donc le remplacement des matériels, pour ses salariés et leurs familles qui espèrent de tout leur cœur que les commandes seront suffisantes et qu’ils ne soient pas jetés au chômage comme des inutiles, pour ses sous-traitants qui applaudissent au succès… Malgré toute cette sophistication technique, toute cette recherche universitaire, toutes ces usines de pointe, tout ce bonheur argenté répandu sur un côté de la planète, la cause suprême qui régit cette activité  n’est-elle pas assimilable à l’hypertrophie d’une  de nos trois fonctions primordiales d’être vivant : l’extension de son espace de vie (superficie, confort, influence, etc.)?

92.  Création humaine, création instinctive.

L’activité industrielle comme celle de l’armement par exemple (on appelle cela de la « technologie » dans les médias, et elle représente un des premiers postes d’exportation des pays les plus avancés) procède-t-elle d’une élévation de l’esprit des hommes qui y participent, qu’ils soient constructeurs, ingénieurs, commerciaux vendeurs ou acheteurs, actionnaires anonymes, général, soldats des confins du monde civilisé instruits à l’utilisation des matériels technologiques, paysans et bourgeois brûlant sous les gaz, les bombes et les contaminations, ou simples téléspectateurs ?  Il y en a qui disent qu’on n’y peut rien parce que cela fait partie de notre condition humaine. Mais alors en acceptant cette raison comme suprême, on ne s’écarterait de la cérébralité de tous les autres êtres vivants que par l’organisation de l’esprit en une sorte d’ingénierie,  certes fort complexe, mais strictement appliquée à  réaliser un programme instinctif? 

93. Un îlot de calme : quelle ambigüité !

Ce ne serait pas constructif de faire le catalogue des exactions des riches qui confortent leurs dominations. Cela a déjà été fait  à toutes les époques sans exceptions (les premiers écrits de l’Egypte ancienne il y a 4000 ans, en faisaient déjà état) et cela n’a jamais rien donné. Il semblerait que cela soit inhérent à l’organisation humaine, quelles que soient les règles qui fondent ces sociétés. Les dominants, une fois installés, ont tout le loisir de déployer leurs actions qui leur rapporteront encore de la richesse, du pouvoir, et une certaine considération, même si celle ci est parfois un peu haineuse. Ils s’en foutent. Leur recette est toujours la même : vendre à qui peut acheter. Peu importe quoi, du moment que la façade est blanchie (si leur culture les y obligent) pour ne pas gêner la parade sociale. Peu importe à qui, du moment qu’il y a une bonne chance d’être payé. Cette condition d’installations humaines semblant générale, cela voudrait-il dire que « l’élévation d’esprit » ne pourrait survenir que dans des ilots de calme, tolérés ou  protégés par les exacteurs de profession ? Quelle ambigüité en perspective ! Mais accepter de vivre avec une conscience large, cela nécessite bien de faire des concessions à l’être vivant, d’accepter certaines prédations, sinon la mort survient à très brève échéance par défaut de nourriture, à l’échelle d’une génération par défaut de reproduction, fortuitement, à chaque instant, par défaut de défense… Dans chacun de ces postes, quelles concessions accepter au minimum ? Se regrouper en abbayes pour protéger ceux qui travaillent avec calme ?  Cela a été fait de par le monde, et ces sanctuaires étaient des prisons pour le corps, et sont devenus des prisons pour l’esprit. Je rêve d’un lieu de calme qui ne soit pas une prison. Comment serait-ce possible ?

94. Elastiques.

Voici un sujet rebattu : on n’écoute même plus. Il y aurait le droit, et il y aurait la morale. L’un et l’autre sont très élastiques et dépendent de beaucoup de circonstances : l’époque et  le lieu où l’on se trouve ; Les gens avec qui l’on se trouve ; Les forces en présence, physiques et morales ;  et puis l’individu lui-même, celui qui se pose la question. Par exemple droits et morales seront différents si l’on se trouve dans un village perdu dans les Aurès en 1958 ; dans un café parisien de la rive droite en 1999 ; dans une usine textile à Roubaix en 1960, ou à Taïwan en 1985, ou en Malaisie en 2005; dans une tribu amérindienne, visitée par Levy Strauss dans les années 30 ; dans une plantation de coca au même endroit en 2008 ; dans une église en Vendée, une mosquée en Turquie, une mosquée au Pakistan, un temple en Amérique du nord au cours d’une cérémonie au 19ème siècle; dans une mosquée aux mêmes endroits en 2008; dans un séminaire dominicain au 13ème siècle…

95. L’autorité et son absence.

Ce ne sont pas les circonstances qui manquent depuis que l’homme existe, pour que s’érigent droits et morales. Mais la circonstance principale pour leur application, quel que soit en substance leurs contenus, c’est qu’il y ait une autorité pour les faire appliquer : qu’elle soit mentale (inscrite dans la cérébralité de l’individu) ou matérielle : avec des gros bras à proximité, qui soient prêts à intervenir au premier mot du dépositaire de cette autorité ;  ou alors c’est une foule prête à juger et à porter l’anathème, ce qui revient au même. Ce serait donc, en première approche la structuration du groupe qui donnerait la force à ces deux règles de droit et de morale. La raison du groupe social. Sinon, c’est toujours la morale la plus « abjecte » qui ressort avec un naturel confondant : on le constate à toutes les périodes de vacance des pouvoirs, où les mini-féodalités les plus basses éclosent sans contrainte supérieure.

96. La morale subsidiaire.

Je constate que droits et morales sont deux registres différents (le droit est le minimum à respecter pour ne pas se faire coffrer, la morale serait plutôt une espèce d’idéal de hauteur de pensée et de comportement à atteindre, très variables selon les genres de morales, mais à laquelle l’individu, s’il le choisit, aspire profondément et avec initiative…) Dans la vie réelle du groupe social, la confrontation inévitable avec les hommes (de morales différentes, ou même absente, bien que le droit soit affirmé) fait que ce sera forcément  le plus habile socialement  qui l’emportera, avec le droit qu’il saura interpréter et faire interpréter à son avantage, en le mâtinant à grands traits de morale passe-partout (j’ai confiance en dieu et en la Justice, qui sont  équitables, et ce n’est pas de ma faute si j’ai pu me payer un meilleur avocat), pour que sa victoire ait l’air présentable et ne nuise pas à sa parade sociale…. Y-a-t-il élévation de l’esprit dans ces procès gagnés et perdus ? Au cours de ces batailles grandioses ou lamentables, les morales restent tapies au fond des individus, qu’ils s’en sortent à leur avantage ou qu’ils perdent les batailles des procès : elle est donc subsidiaire et plutôt individuelle en dernier ressort. Ce sont des caractéristiques qu’elle peut partager avec une  conscience élargie dont j’ai parlé auparavant. Troublant.

97. Recherche individuelle, chicane collective.

Ce serait là, chez l’individu qui se libère l’esprit de la chicane, hors des arbitrages sociaux donc, que peut-être se situe le gisement d’une élévation d’esprit ? En assemblant  l’acceptation d’une conscience pas trop courte et la construction d’une morale particulière? L’élévation de l’esprit passerait par une recherche individuelle, transcendante, en marge des sociétés ? C’est inconfortable car se profile la description d’une marginalité… Et aussi d’une inutilité sociale, au moins immédiate… Et cela ne  dit pas ce que je peux mettre dans ces morales qui pourraient élever l’esprit, loin des clichés que l’on nous sert pour nous écœurer de l’idée de sortir de la pensée dominante. Que pensez-vous qu’on pourrait y mettre ?

98. Règles tribales et terrains de jeux.

Nos sociétés civilisées passent très largement aux yeux de l’opinion mondiale (celle qui nous est rapportée par les médias), pour des havres, des vastes enclaves d’élévation de l’homme. Le reste du monde est occupé par des sociétés moins avancées, plus sauvages, où plus d’exactions sont permises, puisque les règles éthiques y sont plus lâches, moins contraignantes, où l’homme aurait moins de possibilités de s’accomplir. Pourtant, ces zones « en développement » ressemblent à des sortes de terrains de jeux où s’ébrouent nos émissaires, terres de conquêtes, de commerces et d’esclavages  dont certains seraient franchement illégaux en société civilisée, d’exploitation « minière » des ressources minérales, industrielles et biologiques, c'est-à-dire qu’une fois l’exploitation terminée il ne reste que le chaos et … Débrouillez vous, vous êtes libres d’agir à votre guise, et prenez modèle sur nous, nous sommes venus pour vous apprendre ! Pourtant toutes ces activités sont tolérées par les morales des sociétés civilisées, car ce serait  pour le bien finalement, le « bonheur matériel  de notre  esprit ».

99. Progrès et taille.

Il apparait franchement que le « bien » est relatif, et contradictoire, selon le groupe social (ici, le pays ou le continent) auquel on appartient, mais obéit, avec toute la sophistication des relations diplomatiques et commerciales, à la raison du vainqueur. A sa morale.  Comme aux temps paléolithiques de l’organisation tribale des petits groupes humains, mais en plus grand. Ainsi, le progrès « humain » serait dans la taille et la puissance des sociétés?  Et en parallèle, le progrès de n’importe quelle espèce vivante serait dans la taille de ses colonies, jusqu’à occuper tout l’espace terrestre ? L’individu, s’il en a la cérébralité, trouve là matière à s’interroger. L’intellectuel appointé par un des groupes en lice, trouve là à officiellement s’émerveiller. C’est curieux vous ne trouvez pas ?

2 septembre 2008

La conquête, la grande affaire

100. La conquête, la grande affaire.

Pourquoi l’homme, organisé en sociétés, cherche-t-il, avec des règles et une morale élastique, différente de celles qui régissent les pacifications internes à sa propre société, à conquérir les territoires physiques et  moraux d’autres sociétés ? Pour la gloire, c’est sûr, et l’édification d’arcs de triomphes dans ses capitales et ses sièges sociaux ; pour la fortune, les peuplades « ne mettant pas suffisamment en valeur » les richesses potentielles de leurs territoires, ce qui est une atteinte à sa morale; pour accroitre sa domination sur un petit bout de planète, puis sur un continent, puis sur la planète toute entière, puis… Et puis quoi ?

101. Prisonnier de la conquête.

En fait l’homme organisé tend à accroître son domaine, sur lequel il colonise les esprits et assoit sa domination physique et culturelle… Y-a-t-il quelque chose de transcendant, ou pas, dans cette propension toujours vérifiée au cours de l’histoire humaine, à vouloir créer des empires ?  Où l’homme est-il obligé de le faire de par sa constitution propre ? Ce faisant, sort-il de la condition ordinaire d’être vivant, certes affublé d’une grande capacité de réalisations,  ou fait-il simplement une erreur conceptuelle en le croyant?

102. Nombre des empires. Taille des empires.

Les empires ont changé à notre époque contemporaine. La civilisation occidentale et son fer de lance idéologique, ont conquis tout l’espace planétaire, même si c’est forcément transitoire à l’échelle historique. A écouter les portes paroles officiels, c’est un bien puisqu’il s’agit du triomphe de la liberté, donc le mot est contenu dans celui de « libéralisme ». En gros, chacun peut se déplacer sans contrainte avec les valeurs qu’il a produites légalement (on a déjà parlé de la relativité, de la plasticité des droits). Les empires qui se sont constitués, héritiers en général des grandes entreprises qui se sont sorties à leur avantage de la première et de la seconde guerre mondiale du 20ème siècle, ont envahi la planète et y édictent leurs règles au sein de leurs unités de recherche, de production et de vente, et au sein de la vie sociale des pays, par les propagandes et les produits qu’ils y vendent. S’il existe 1000 sociétés vraiment mondiales et hyperpuissantes, mille empires, on pourrait dire qu’il y a en 2008 beaucoup plus d’empereurs que dans toute l’histoire humaine, et que chacun de ces empires est beaucoup plus puissant et riche que les anciens empires politiques ! Tiens, cela voudrait-il dire que les empires commerciaux ne sont pas des empires politiques ? Mais si, puisque ce sont eux, avec leurs lobbies, qui font les politiques des « nations ».

103. Barons locaux.

A l’échelle en dessous des empires, les hommes politiques qui « gouvernent » les provinces et les pays, qu’ils appartiennent à la civilisation occidentale ou aux anciennes colonies et protectorats qui lui courent après, ne sont que des barons locaux  qui tergiversent avec les empereurs, en courbant l’échine ou en s’alliant avec eux pour un profit immédiat. C’est logique, ils en dépendent. Et c’est cette logique qu’il est intéressant de décrypter pour une compréhension de l’homme social… Mais non, ce serait faire de la politique, et ce n’est plus à la mode ces derniers temps. Plus à la mode ? Qui peut dire que l’organisation des sociétés humaines, au jour le jour, et sa projection dans un avenir raisonnable (1 à 10 ans maximum) serait une mode ? Elle existe depuis que l’homme existe !

104. L’inégalité de l’Ancien Régime.

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, au 18ème siècle, la politique coulait de source, étant fondée sur l’inégalité. Elle était le fait du prince entouré de ses barons, conseillé par des technocrates qu’il appelait et renvoyait à sa guise. Puis, jusqu’à la fin du 20ème siècle, il a été lourdement question de convoquer, dans les pays civilisés, les peuples à cette activité d’organisation humaine : la politique. Et pour que chacun ait la possibilité d’accéder à l’intelligence commune, on a envoyé tout ce monde à l’école primaire.  Le résultat a été, bon an, mal an, ce que nos sociétés ont montré jusqu’à la fin du 20ème. On pourrait beaucoup en dire. Beaucoup en a été dit, et seuls les vieux et les  retraités sont nostalgiques, car ils ont été trop jeunes pour avoir connu la rudesse des mouvements sociaux pionniers, qui ont réussi à arracher un certain partage des richesses produites, dont ils ont profité (congés, retraites, logement, droit des enfants, sécurité sociale, horaires de travail et de repos, salaire…) (Je ne parle pas évidemment de la morale utilisée pour justifier cette production de richesses, qui s’est beaucoup appuyée sur l’exploitation de territoires et de populations vaincues,  dans des pays moins prêts à l’époque, à la guerre occidentale. Ce n’est pas le sujet).

105. La lutte sociale est éprouvante.

Les mouvements sociaux au 20ème siècle ont été éprouvants : ils passaient par la grève (plus rien à manger), la rébellion (coups de fusils de la garde nationale), la manifestation (batailles sans fairplay avec les milices patronales et la police), le black-out patronal (plus rien à manger), l’interrogatoire policier (je ne fais pas un dessin), la prison (la mise au ban) …

Cette période était aussi celle du dilettantisme de la bourgeoisie, le fleurissement des arts d’élite, et des arts populaires. Et puis la guerre omniprésente, proche ou lointaine, qui remplissait les esprits. L’apprentissage d’une participation des gens à la politique, sous le slogan (l’idéal ?) d’égalité en valeur humaine et de liberté d’agir, a été rude, et a donné ce qu’il a donné. Qui s’en souvient à présent ? Serait-ce aussi loin dans les esprits, aussi abstrait que l’antiquité grecque? Doit-on reléguer le 20ème siècle à quelques jeux intellectuels pour prof d’histoire ?

106. L’espoir d’une vie « plus juste ».

Quand on n’était pas dans un environnement bourgeois au siècle passé, on vivait et on mourait rudement donc, mais avec l’espoir d’une organisation sociale plus « juste », et le summum en a été connu dans le dernier quart du 20ème siècle, alors que déjà un balancement se produisait à l’initiative  des dieux anonymes que vénéraient les nouveaux empereurs. Avec l’avènement des très grands empires mondiaux, les barons locaux que devenaient nos princes élus se sont entourés d’un rempart de technocrates qu’ils convoquent et révoquent à l’initiative de leurs commanditaires multinationaux, et ils affirment « la » politique, comme de jolies marionnettes habillées en costume et en robe, dont on voit bien les ficelles. Est-ce un dévoiement et un malheur ? Pas pour tout le monde sans aucun doute, on le sait  bien dans les milieux que j’ai le bonheur bien compris, de fréquenter.

107. Esclaves ou consommateurs.

Le principe général, le fil conducteur, la cohérence philosophique, l’idéal, pour les empereurs contemporains, leurs dieux anonymes (les actionnaires) et leurs puissants serviteurs (et actionnaires), confortés par leurs sbires armés de technicité, de finance, de force militaire et  paramilitaire, c’est de transformer les peuples, soit en esclaves (producteurs), soit en masse consommatrice (prisonnière de ses désirs), dans le même temps taillables et corvéables à merci. Ils ridiculisent en passant les dirigeants politiques, en leur laissant le petit travail local d’organisation sociale à régler, faire la police des masses consommatrices et de celles des esclaves… sans parler de celle concernant les « inadaptés », qui peut-être voient leurs ficelles et gênent un peu par leurs voix discordantes... Nous sommes actuellement en plein dans ce mouvement de merveille humaine (tout le monde le dit, nos sociétés sont « avancées »), et il convient de parler d’avenir. L’avenir, c’est 2 ans ? C’est 10 ans, 175 ans, 300 ans, 10 millions d’années ?..  Qui veut en parler ?

108. Esprit vidé, esprit docile.

A notre époque on a le droit de presque tout dire  et son contraire. On a le droit de s’insurger, même si certaines précautions sont nécessaires (Moi-même, je prends quelques précautions). Mais le public, de faible curiosité, n’entend pas car il est assourdi, abruti, hagard, sous les assauts audio visuels, ludiques, sérieux-ludiques, à tel point qu’il ne fait pas, en masse, la différence entre la blague et le « sérieux », le vrai et le bidouillé pour rire, ou par propagande, ou les deux. Il n’a pas la ressource de choisir… Ses sources. L’apprentissage tel qu’il a été conçu en application des préceptes d’égalité et de liberté, est obsolète. Dépassé. Il est hors de question, sauf pour une élite qui reste constante, d’apprendre à apprendre, et de se construire un jugement personnel.

109. Vendre, c’est hyper sophistiqué.

Les groupes sociaux-économiques auxquels nous sommes agrégés priment sur l’individu : celui-ci doit apprendre à obéir à des préceptes érigés en religions (dans les grandes écoles notamment, mais aussi dans tous les centres d’apprentissage de plus bas niveau social) : se mettre corps et âme au service intime des empereurs mondiaux, et participer à leurs œuvres de créations de bénéfices immédiats, à leurs formidables guerres féodales (car ils sont en concurrence), et dépenser les riches aumônes qui leurs sont faites. Par exemple, rien qu’en chine, il faudrait une bonne vingtaine de centrales nucléaires neuves, le plus tôt possible, si on veut continuer comme ça. Qui aura le marché ? Moi ! Moi ! Moi ! Allez-y, les gars: IMPOSSIBILITE FORMELLE, CULTURELLE ET PERSONNELLE, D’ESSAYER DE PENSER A AUTRE CHOSE AVANT D’AVOIR GAGNE CETTE BATAILLE. Chaque agent et partenaire de notre groupe est un vecteur de vente et de création de bénéfice. Et vous serez des hommes, vous aurez vos salaires et nous les dividendes à dépenser, c’est pour le bonheur.

Je trouve que ces perspectives humaines, dominantes, sont étroites, et qu’elles ne s’écartent pas du fond d’activité potentiel de tous les êtres vivants, même si elles sont chez nous hyper sophistiquées, hypertrophiées.

110. Temps, remplacement.

Peu importe s’il possède de multiples châteaux-succursales sur la planète, et huit-cent mille fantassins-producteurs et vendeurs, l’empereur doit accroitre son domaine et sa fortune, c’est sa religion qui l’impose : car chaque année, il doit offrir des dons en dividendes et en valeur d’action aux dieux innommables, car anonymes, qui le tiennent dans sa main. Tout le reste est secondaire. Les monothéismes issus de la fixation par l’écriture de mythes et de découvertes sur la nature de l’homme, sont enfin remplacés.

111. Une religion chasse l’autre.

Cet animisme triomphant à notre époque victorieuse, qui consiste à honorer des divinités anonymes par le travail d’une multitude d’individus et l’exploitation (minière) de territoires, montre bien qu’une religion humaine est remplaçable par une autre. Question de temps et de remplacement des générations, d’usure des fidèles et des dirigeants, de changements d’habitudes de croire et de penser, d’opportunités techniques, de peurs. Qui a peur de la mort et de son éternité imagée ? Personne aujourd’hui, on n’y pense pas, elles sont abstraites, prises en charge par des spécialistes cotés en bourse. Je ne miserais pas un centime sur le devenir à moyen terme (quelques siècles) de cette nouvelle religion, ni des autres d’ailleurs, même les plus remuantes. Par contre, je suis certain qu’elles seront remplacées.

112. Des dogmes et des sociétés.

Et justement, qu’est-ce qui peut bien faire que ces dogmes s’installent, puis s’étiolent et soient  remplacés au cours du temps ? Ce n’est pas à cause de la découverte d’une vérité, qui permettrait d’éliminer les erreurs du passé, puisqu’il s’agit de dogmes, c'est-à-dire de « révélations » proclamées par des crieurs publics. En effet : aucun dogme ayant fleuri depuis l’avènement de la cérébralité humaine, résultat collatéral de sa conscience, de son inventivité, ne supporte un examen extérieur. Ils ne supportent que l’adhésion ou le rejet. L’adhésion suscitant l’approbation de ses adhérents, le rejet suscitant la désapprobation. Nous sommes, consubstantiellement à notre conscience courte (celle qui s’arrête aux frontières d’une culture tribale), tributaires (c’est exactement le mot) de telles appartenances, qui ne se définissent que par ce seul autre mot: la croyance. D’ailleurs, pourrait-on supporter de vivre sans croire ?

113. Changement de programme, hérésie.

L’effet de groupe est important dans la vie humaine. L’union fait la force. Les dirigeants parlent d’être ensemble et de rassembler pour agir, sous entendu : avancer (conquérir) dans la direction qui nous conduira au bien, en tous cas au mieux. Le fait qu’on puisse éventuellement soupçonner quelques uns de ces dirigeants se songer d’abord à leur propre « bien », à leur propre croissance dans la société où ils se trouvent à l’aise comme un poisson dans l’eau, n’enlève rien de  la force du slogan. Aux temps de l’inégalité, il s’agissait de rallier, de gré ou de force, et d’obéir. Aux temps de l’égalité il s’agit de rallier et de se conformer aux préceptes dirigeants. C’est très différent et cela revient au même : plus fort que les voisins, dominer, plus puissants et plus riches ? C’est un programme deux cent fois millénaire. Et si nous changions de programme, ce serait une hérésie humaine ? Ou une hérésie pour tout être vivant qui serait, comme nous, vindicatifs de nature ?

114. Au début était le Verbe .

Dans l’histoire d’une genèse, reprise de la tradition orale de façon à ce qu’elle serve l’utilitaire d’une organisation sociale nouvelle, on trouve en substance : « Alors apparut le verbe, et le verbe était Dieu ». Le verbe, c’est la parole, le langage. Il est certain qu’il faut parler le même langage, au sens propre et au sens figuré, pour faire un groupe humain structuré. Et cette superbe réalisation, si difficile à maintenir avec tous ses singletons et ses sous ensembles qui la composent, avait si bonne presse dans les temps anciens que le concept est passé de bouche à oreille de génération en génération. Puis, il a été écrit dans les ouvrages de référence de religions monothéistes.  Mais ce Dieu, à l’origine, n’était-il pas plutôt le groupe constitué, fort, cimenté par un même langage, le dieu de la tribu, sans lequel elle n’existerait pas ?

115. La surrection des dieux.

Les dogmes changent, et les religions aussi, à l’insu de la vie quotidienne : il n’existe pas de monothéisme total. Dès que la pression sociale et pénale se desserre, d’autres dieux osent apparaître, comme spontanément irradiés de nos consciences aux limites mouvantes.

116. Educations.

Un individu qui aurait connu le milieu du 19ème siècle par exemple, ses interdits, ses aspirations dans différents milieux sociaux, aurait été ébahi en visitant la fin du 20ème, avec ses différences d’habitudes de pensées, de vies, de considération des personnes féminines et masculines, des concepts à la mode. Mais, constatons le, des habitudes de pensée et de vie, il y en a toujours chez les hommes. Ce n’est pas leur « qualité » qui compte, c’est leur existence. Par exemple, un musulman intégriste, conditionné socialement pour donner sa dépouille mortelle à la cause de la croissance de la vraie foi, en échange du paradis (c'est-à-dire en échange d’un statut social privilégié dans le groupe humain vivant après la mort, qu’il ne pourrait jamais atteindre autrement), il est inutile d’essayer de lui parler. Il a un langage différent et ne comprendra pas, et on ne le comprendra pas. De plus, sa conscience spécialisée ne peut pas lui permettre d’envisager un autre langage que le sien. Et cet homme là y voit une horreur à abattre en donnant sa vie. Pourtant, c’est un homme comme un autre : plongez-le en bas âge dans une famille moyen-bourgeoise du 19ème siècle en France, et il sera un catholique respectueux du dogme catholique, et des transgressions comportementales que la société autorise aux hommes à cette époque.

117. Des hommes interchangeables ?

Un homme moyen, satisfait de sa conscience courte,  réussira raisonnablement partout où il sera parachuté par la naissance et l’éducation, pourvu que la société, le groupe humain où il atterrit soit bien formé, et qu’il n’ait pas d’accident de chance. Est-ce à dire que les hommes sont interchangeables, alors que des sondages de 1000 personnes sont capables d’indiquer les intentions  et les avis d’une population entière? C’est discutable, vous ne trouvez pas ? Et peut-être que cette interchangeabilité n’existe que dans le foisonnement d’une population, et non pas  à titre individuel ?

118. l’individu et la ruche.

La réunion des êtres humains en groupes structurés font leur puissance. Y-a-t-il un équivalent chez les autres êtres vivants ? La fourmilière ? La ruche ? Ou chaque individu a sa place dans l’organisation commune ? La comparaison ne tient pas : La structure d’une fourmilière d’une espèce donnée est stable. L’individu est condamné à faire les gestes qu’il fait, certes merveilleusement, mais dont l’initiative est calibrée absolument par une règle qu’il ne peut enfreindre volontairement. Il n’en a pas la ressource cérébrale. Les groupes humains sont instables et tributaires de la volonté des individus à ne pas enfreindre la règle qui a été mise en place à la foi volontairement  et sous la contrainte, et qui  a absolument besoin d’être constamment justifiée et réaffirmée : c’est le rôle de tous, chacun à sa place dans la société, dans un contexte d’initiative individuelle toujours possible, quelle qu’elle soit.

119. L’initiative n’a pas de sens déterminé.

L’initiative individuelle, chez l’homme, va dans tous les sens, et souvent vers une transgression. Si les circonstances sont favorables elle trouvera un écho, souvent après bien des vicissitudes, auprès d’autres individus qui vont peut-être se fédérer, au moins mentalement, autour de cette initiative, qui pourra peut-être s’ériger en système de pensée et d’action. Et puis les décennies passent, les siècles, et d’autres initiatives fédérant à leur tour des groupes humains, prennent le dessus et … s’étiolent et disparaissent à leur tour dans l’armoire à rangement de la préhistoire et de l’histoire, sans que l’on perçoive d’usure dans la motivation humaine.  Pendant ce temps la fourmilière, tant que l’espèce donnée perdure, reproduira un même schéma, inamovible, de comportement individuel et collectif, sans que les fourmis s’en inquiètent, il n’y a qu’à voir le cœur qu’elles mettent à l’ouvrage. On ne perçoit pas d’usure dans leur motivation instinctive. C’est le seul point commun avec les sociétés humaines, il me semble.

120. Quel est ton futur ?

L’homme, être vivant, ne montre pas d’usure dans sa motivation instinctive : les vieux et les vielles idées finissent leur temps et disparaissent et sont remplacés par les générations nouvelles, qui se sentent très différentes des anciennes dont elles honorent certaines en faisant, avec cœur, table rase, et en oublient bien vite d’autres. Mais sur le fond, l’action humaine actuelle, si elle est beaucoup plus spectaculaire, est-elle si différente de celle des homo-sapiens du Paléolithique ? Que faisons-nous de nos fonctions primordiales d’êtres vivants ? La nourriture, la reproduction, la défense de l’espace de vie, bref, la croissance individuelle et collective ? Nous les avons sophistiquées, intellectualisées, technicisées, démultipliées, c’est certain. Ce faisant nous n’avons pourtant pas il me semble, trouvé à apaiser l’inquiétude métaphysique primordiale, à la limite de la conscience, formulée et reformulée à toutes les époques : quel est mon futur ?

121. Mon futur proche ? Il est présent.

Mon futur proche, pas de problème : j’ai de quoi m’occuper largement et les journées n’ont que 24 heures pour conquérir mon bonheur ou  celui des autres, et parfois en jouir.  Ma vérité en quelques sortes. Mais l’autre futur, celui « des siècles et des siècles » ? Cette éternité expliquée à ces grands turbulents qui ne pensent qu’à transgresser les règles d’une société que moi, chef tribal, je dois préserver au jour le jour pour assurer ma situation et celle des gens qui comptent pour moi, grands et petits, avec ce plaisir intestin que j’éprouve tous les jours à exercer mon pouvoir ?

122. Une motivation désintéressée, c’est possible ?

Avec conscience, il doit y avoir autre chose à trouver qui brise le cercle enfermant de l’application des fonctions instinctives. D’aucun diront que ce « quelque chose » se trouve dans la motivation plutôt que dans une action objective. Je peux tenter l’expérience de penser et d’agir de façon désintéressée.  Par exemple en soignant des malades pauvres qui même guéris ne serviront jamais à quoi que ce soit d’utile dans la société, et ne seront capable d’aucune reconnaissance, que de toute façon je ne recherche pas. Pourquoi pas ? Ce serait très original, et  très rare (quand ce n’est pas destiné à se faire bien voir d’une base électorale, ou à gagner son paradis, c'est-à-dire se donner bonne conscience courte, sans être nullement empêché,  par ailleurs, de mener les plus belles actions de prédation qui enrichissent et donnent honneur, bonheur et considération, comme dans les systèmes de contention des pauvres mis en place par les religions et les républiques laïques).

123. La pauvreté, un préalable ?

Le désintéressement… Mais où cette expérience peut-elle conduire l’individu qui la tente, à part d’y laisser sa chemise et devenir pauvre comme ceux qu’il aura soignés? Tenter de sortir du cercle instinctif de croissance de l’être vivant, cela conduirait à la pauvreté  et à tous ses inconvénients? Et à abandonner l’idée d’une quelconque « efficacité » ? C’est troublant et il faudrait tenter de trouver d’autres exemples de sortie de l’instinct. Ou alors cette pauvreté serait un nécessaire préalable?

124. Une échelle de valeurs.

On le sait bien, chaque espèce a des instincts différents qui les amènent à des centres d’intérêt et des comportements différents. La sensation de faim conduira la vache à manger de l’herbe. Le lion à chasser et tuer. Pour autant, y-t-il une échelle de valeur entre ces deux actions ? Chasser est-elle une action plus élevée qu’arracher des touffes d’herbe et tuer incidemment les quelques insectes qui s’y trouvent, en les digérant ? Bien sûr, on dit en général que la chasse est noble car elle requiert de la stratégie, même instinctive : en tous cas l’homme en a fait un art. Mais justement, étant lui-même chasseur et carnivore, l’homme  n’a-t-il pas transposé étourdiment la propre image qu’il a de lui-même dans cette échelle de valeur, étant juge et partie ? Demandera-t-on à l’hirondelle si le vol est une aptitude noble ?

125. Un regard extérieur, c’est très original.

Le jugement humain, pour les comportements, n’est-il pas très souvent réduit   au : «puisque je sais le faire, c’est ce qu’il y a de mieux» ?  Et si l’homme porte son regard à travers des images qu’il a de lui, est-il capable aussi d’envisager le monde et les autres vivants avec un regard extérieur, c'est-à-dire, avec sa conscience, de tenter de les comprendre autrement qu’en termes d’espace de jeux qui lui serait dévolus, avec posés dessus des jouets qui lui appartiennent s’ils l’intéressent ou le distraient ? Le lion ne sait pas le faire, avec sa toute petite cérébralité, sa toute petite stratégie, et son tout petit territoire. Et la vache non plus, avec son tout petit cerveau. Au fait, il y a combien d’espèces sur la planète, qui ont leur toute petite appréhension de leur territoire et de leurs minuscules centres d’intérêts ?

126. Le choix animal.

Cette faculté de dépasser la condition de regardeur et d’acteur animal, l’homme doit pouvoir la trouver en lui, et la cultiver. D’ailleurs certains l’on fait, vous avez des exemples en tête, connus ou inconnus. Là se trouve un gisement d’élévation de l’esprit, c'est-à-dire une possibilité de sortie des contingences comportementales d’espèce. Mais ce n’est pas du tout en érigeant en arts des comportements instinctifs ! C’est dérangeant, n’est-ce pas ?

127. Des classements de propagande.

Les hiérarchies des êtres vivants selon des échelles de valeurs que des hommes ont créées et remaniées en posant les dogmes de son essence divine, puis de sa simple excellence dominatrice, n’a pas de réalité. Elle n’est pas aléatoire, puisqu’elle a un sens, un but d’auto-propagande, pour que le moral soit bon. C’est une construction mentale, un conte, qui sert à fermer les yeux en se rassurant à peu de frais cérébraux. Cela dit, il reste un grand vide à combler : l’arrivée du dernier homme (nous-mêmes) sur la planète il y a 180 000 ans a-t-il un sens particulier en soi ? (Ou l’arrivée de « l’homme », si on considère que les espèces antérieures, Homo habilis et erectus par exemple, ou contemporaine d’Homo sapiens jusqu’à il y a 35 000 ans : Homo neanderthalensis, ne méritent pas l’appellation « d’homme », mais on peut en palabrer à perte de vue, surtout si l’on estime avoir quelque chose à y gagner). Il y a beaucoup de réponses officielles, convergentes au fond. Mais y a-t-il beaucoup de réponses intimes, c'est-à-dire sans contrainte sociale ?

128. Un programme de rêve.

Alors, l’avènement des hommes a-t-il un sens en soi, qui soit d’une autre essence que les constructions mentales opacifiant cette conscience qui nous gêne tant qu’elle serait capable de nous conduire au désintérêt pour la tribu, au désintéressement tout court, et à la pauvreté ? En tout cas il semblerait intéressant de le trouver, ne serait-ce que par simple curiosité. Et si ce n’est pas un sens, ce pourrait être une connaissance particulière, inexplorée ? Et peut-être que cette recherche serait apaisante au fond, même s’il n’y a rien à trouver ? (C’est incroyable, il faut toujours se trouver une « raison » pour agir, moi qui parle de désintéressement !) Mais l’apaisement, ce ne serait pas une bonne raison ?

En tout cas Il faudrait de la ténacité devant le vide ainsi déblayé et les quelques rares bribes de concepts avec quoi commencer ; de la modestie pour ne pas nous raconter de nouvelles histoires lénifiantes d’auto-propagande ; de la fierté car il ne s’agit pas d’avoir honte de ce qu’on peut trouver, même si cela risque d’être mal jugé par les groupes sociaux ; et de la compréhension vis-à-vis de ce qui est éloigné de notre savoir-être et de notre savoir-faire, et de notre savoir-penser. Curieux programme, n’est-ce pas ?

129. L’initiative individuelle et le groupe.

Les relations entre le groupe social, l’individu et l’initiative personnelles sont très ambigües. D’abord, il y a une hiérarchie dans le groupe, même dans ceux qui se déclarent « égalitaires ». Dans ce cas la hiérarchie est naturelle. Par exemple, celui qui a une voix qui porte, des gestes ronds et une intelligence tactique aura toute facilité naturelle à prendre un ascendant dans le groupe, par rapport à celui qui a la voix ténue, le geste maladroit, une compréhension et une intelligence des concepts, mais pas de tactique. Bien sûr, la tactique s’apprend, mais elle ne s’applique bien que quand elle est innée, vous le savez bien : si vous n’avez pas le goût des cartes ou des échecs, malgré tous les efforts de vos professeurs, malgré les vôtres, vous arriverez au mieux au stade de  joueur honorable. (Je le sais bien, moi qui ai été obligé d’apprendre les cartes pour ne pas passer pour un sauvage : ces jeux ne conviennent pas du tout à mon genre d’intelligence). Une aptitude à la tactique, un petit quelque chose d’indescriptible, mais très réel, que l’on appelle « charisme », fera d’un individu un redoutable porteur d’initiative. Ces deux caractéristiques, tactique et charisme, sont en très grande partie innées, vous ne croyez pas ?

130. Hiérarchies chevauchantes, opportunités.

Il est bien rare qu’il n’y ait qu’une hiérarchie dans un groupe humain. Il présente, sauf exceptions comme dans un régiment militaire ou une sous-direction administrative (et encore…), un foisonnement de hiérarchies chevauchantes, parallèles, plus ou moins concurrentes. Ces hiérarchies bougent dans le temps comme bougent les combinaisons des pièces d’échec à chaque jeu. Sauf que dans les jeux de stratégie, chacun joue à son tour, et que dans le vrai chacun tente de jouer dès qu’il le peut, à la faveur d’évènements plus ou moins prévus… C'est-à-dire en même temps que les autres joueurs, qui utilisent le même évènement. Par exemple, dans une société banale, un directeur de fort charisme et de forte tactique en est arrivé à cumuler plusieurs directions en fin de carrière. Quand il part à la retraite ou s’il a un accident, dès le déclenchement des effusions obligatoires dans un comportement social civilisé, les stratégies se déploient en même temps que les candidatures : le pouvoir qu’il avait rassemblé dans sa main, être insatiable et modèle de courage que nous n’oublierons jamais, va-t-il de nouveau être scindé ? Mais alors, j’ai enfin ma chance ? D’autres y ont pensé,  je les connais et je dois jouer finement.

131. Le sacrifice.

Même si les hiérarchies auxquelles on peut faire correspondre une classification des fonctions dans un groupe social sont toujours existantes, on peut dire aussi qu’elles ne sont jamais totalement acceptées par les individus. Sauf une exception extraordinaire qui est le sacrifice individuel. Le sacrifice n’a rien à voir avec la médiocrité d’un type qui stagne dans sa hiérarchie, et qui se contente de son sort : cette exception là est héroïque et exemplaire, car il s’agit de perdre la vie de façon désintéressée, et dans ce cas l’homme, quel qu’il soit, est vraiment admirable. C’est assez rare, mais vous connaissez certainement un exemple parmi vos anciennes connaissances.

132. Brasier.

Ce sont les circonstances qui font le sacrifice, et une décision intuitive, immédiate. Personne ne peut dire d’avance qu’il se sacrifiera, même s’il se prépare psychologiquement. (Le plus horrible, si l’on est témoin d’une agression dans le métro, c’est de se trouver en hypoglycémie  en fin de journée, les bras mous et le moral bas,  et de détourner le regard avec les autres témoins… on ne s’en vantera pas). Si je meurs asphyxié en tentant maladroitement de sauver une petite fille du brasier, c’est d’abord parce que les circonstances se présentent, et qu’intuitivement je sais que si je la laisse mourir dans les flammes je ne pourrais de toute façon plus jamais me regarder dans une glace. Ce ne sont pas les règles sociales qui parlent à ce moment, mais celles, instinctives, du « singleton » : je n’ai pas le temps de penser ni de rien formuler mais je « sais » que je dois y aller. Ce faisant, je me place en au quart de seconde dans le groupe des « justes », quelle que soit ma position sociale et l’avenir qui me sera réservé.

133. Médaille.

Mon désintéressement ne dure pas si longtemps en général, que je refuse la médaille. Même si éventuellement  je déteste le gouvernement et que je n’ignore pas que l’inventeur de cette médaille était une brute tactique et sanguinaire d’empereur, qui a répandu en masse la mort et la désolation, reléguant mon action héroïque à une minuscule anecdote… Le temps est passé (8 générations) et cela m’arrange bien de n’en conserver qu’une légende flatteuse qui contribue à souder le groupe social qu’est la Nation. J’ai donc quitté l’action irréfléchie du « singleton » culturel, pour rejoindre avec honneur mon groupe social et sa hiérarchie, partageant cette médaille avec tous ceux qui l’ont eue.

134. Loin des états major.

Je suis pompier. J’ai l’habitude de risquer ma vie pour secourir des gens en difficulté dans toutes sortes d’endroits incroyables et dangereux. Jamais personne ne me proposera une médaille pour ces actions de désintéressement qui sont normales. Mais je suis aguerri, je suis fier de ce que je fais, et je ne sais pas ce que je pourrais envisager d’autre maintenant à part faire l’instruction des élèves pompiers ? Je suis soldat. J’accepte le risque et j’accepte ma hiérarchie écrasante, tatillonne, prévisible dans son imprévisibilité. Dans ce cadre, je peux développer une camaraderie : une sorte de groupe informel entre quelques individus de même condition. S’il se présente une mission potentiellement mortelle, je sais que celui que les circonstances désigneront parmi mes camarades, donnera sa vie aux autres. Toutes les aventures guerrières, au milieu du carnage et de l’incurie, contiennent un de ces petits coins de ciel bleu qui rappellent ces épisodes héroïques. Ils se construisent hors des hiérarchies, loin des états-majors. Si vous avez connu un théâtre d’opérations, vous avez un tel souvenir ?

135. Contrainte hiérarchique, décision personnelle.

Le kamikaze, bien sûr, fait dont de sa vie pour l’avancée de sa cause. De même l’esclave d’une fabrique. De même le saint chrétien qui, dans l’empire romain décadent, accepte le risque d’être livré en pâture aux lions du cirque. Son sacrifice est total, pour l’exemple qu’il montre et la victoire de son dieu, près duquel il sera assis dans l’au-delà. (A côté du chef tribal, physique ou virtuel, c’est la place d’honneur. L’honneur, cela se goûte en société ou dans sa représentation mentale). Il est très difficile de faire la part de l’obligation hiérarchique et celle de la décision personnelle dans ces sacrifices.

Je suis ouvrière textile en Malaisie, ou bien ouvrier dans une papeterie en Indonésie. Je suis issu d’une famille de paysans, mais depuis que les marchés ont été envahis par les productions subventionnées des pays riches, ce n’est plus viable et j’ai du émigrer vers la ville. Je me crève la paillasse pour que les anonymes qui détiennent les actions de la société multinationale qui m’esclavage touchent des dividendes. Mon sacrifice n’est pas consenti, mais je n’ai aucun autre choix sauf la mort. Je ne peux m’y résoudre car mon instinct me dit de survivre quand même. On me dit, entre deux brimades, entre deux menaces de relégation à la mendicité, que c’est pour le bien de l’entreprise.

Je suis soldat. Je ne peux pas refuser d’attaquer la position ennemie, alors que je sais que je ne passerai pas le feu de leurs mitrailleuses. Mais il est hors de question que je désobéisse, car c’est le peloton qui m’attend, et surtout, l’opprobre post-mortem. Alors j’y vais.

Je suis en train de suivre une formation de kamikaze en 2008. J’étais venu par passion. Aujourd’hui je ne sais plus. Je ne pense plus car j’ai des gestes à faire, sans arrêt. Ce n’est pas une danse, c’est une sorte de prière gestuelle, et je ne suis jamais immobile. Et je dois toujours penser aux gestes que j’ai à faire, cette prière gestuelle qui me remplit complètement. Je vois le paradis, cette félicité immortelle. On me l’a appris par cœur et je me le récite. Bientôt, bientôt le paradis.

136. Industrie papetière ;

A propos, vous savez que l’industrie papetière est extrêmement polluante ? Et que pour avoir le droit de faire fonctionner une usine de papier en Europe il faut lui adjoindre une station d’épuration des eaux sales extrêmement coûteuse en investissement (autant que l’usine de production), mais surtout en fonctionnement ? Evidemment, en Indonésie, pas besoin de station d’épuration, et la main d’œuvre y est 40 fois moins chère, souple, indifférente aux accidents car les autorités y veillent sur place. Et le bois ? Cette matière première pousse à coté, en lieu et place des derniers lambeaux de forêt équatoriale que l’on termine de défricher. Et l’on fabrique aussi dans ces usines des très bons papiers « recyclés », qui sont tellement prisés à cause de l’éthique. Les groupes internationaux qui détiennent l’industrie papetière ont fait le bon choix en délocalisant leur production, surtout qu’ils y ont été invités par les potiches gouvernementales, serviteurs vaniteux et zélés du millier d’empereurs internationaux que compte la planète aujourd’hui. Pour la curiosité, vous pouvez vérifier l’origine des ramettes que vous utilisez pour écrire vos puissants rapports sur le « développement durable ».

137. Nucléaire.

Bien sûr, d’autres groupes internationaux vendent des centrales nucléaires, et cela compense largement le « déficit commercial » causé par les délocalisations des productions « banales ». L’industrie nucléaire, cela ne produit pas de CO², on nous le répète souvent et nous sommes maintenant pénétrés du caractère finalement écologique de cette production si utile pour la production industrielle et le confort de tous. Elle produit aussi tout de même ce qu’on appelle tranquillement des « déchets nucléaires », qui dépassent par leur nocivité l’entendement humain. Cette nocivité ne correspond à aucune décision humaine gestionnaire : C’est que  la capacité de ces produits à tuer en masse tout être vivant d’ordre animal (et humain) se situe hors de notre échelle de temps. Par simple approche (pas besoin de contact) l’action mortelle de certains d’entre eux (les fameux HA-VL, les plus radioactifs et décrits pudiquement comme ayant une activité de « plus de 30 ans », dépasse les 3 millions d’années d’activité létale). Que disent les technocrates ? Que l’on étudie actuellement la possibilité de les stocker dans des containers et des lieux qui seront « sûrs » (sauf mouvements de terrains  et circulation « accidentelle » des eaux naturelles) pendant quelques siècles. Charge aux héritiers de notre civilisation de trouver la stabilité politique ainsi que les moyens techniques et financiers pour  reconnaître ces silos et les reconstruire tous les quelques siècles. Sous peine de mort généralisée dans des régions entières de la planète au hasard des disséminations par les eaux courantes et les poussières dans le vent…  pendant 3 millions d’années. (N’oublions pas que le verre, car ces produits sont  vitrifiés en une pauvre tentative pour les  rendre inertes, est soluble dans l’eau en quelques millénaires). Que met-on en balance face à cette pollution radicale, face à ce sacrifice planifié des générations qui auront la malchance de passer par là où la terre sera mortelle? La suprématie industrielle et financière, et le confort de quelques générations présentes…

Que disent encore les technocrates ?  Qu’une future génération de réacteurs permettra d’utiliser ces déchets « à 98% ». Ils disent moins que la recherche fondamentale correspondant à cet espoir technologique n’est pas encore faite, qu’on est seulement en train de construire les machines pour la faire et qu’il y a une certaine probabilité de réussir, impossible à déterminer par avance (la recherche fondamentale n’obéit pas aux désirs des hommes, mais c’est plutôt elle qui les guide).

Et les 2% qui restent, en mettant tout au mieux? Ce n’est pas beaucoup 2%... Sauf que vu la nocivité du produit, la question qu’il pose reste intégralement la même.

L’homme, dans la décision collective, a une conscience courte. Mais il n’est pas tout sur la planète : les êtres vivants qui existeront dans trois millions d’années, la pollution s’étant épuisée, auront finalement de la place pour diverger en espèces nouvelles, qui occuperont les niches écologiques désertées grâce à l’action collective du plus conscient des primates. C’est une consolation ? Non, une règle cosmique qui nous échappe.

138. Les règles et les hiérarchies.

Cette conscience collective, « conscience courte », se construit dans le groupe, et elle construit le groupe, les deux termes évoluant en symbiose au fil des évènements. Elle obéit à tellement de règles constitutives qu’elle peut être, littéralement, n’importe quoi (l’histoire nous l’a assez enseigné), pourvu qu’à court terme, quelques heures, quelques jours, quelques années, elle permette le confortement des  hiérarchies humaines en place : en effet, quand la règle change, la hiérarchie change et c’est une révolution. Prenons un exemple amusant : admettons, hypothèse d’école, qu’une règle change  dans le grand groupe social où nous nous trouvons en 2008, et que soit  donnée soudain de l’importance  à l’individu-animal (c’est absurde), ou que soit donnée de l’importance à ce qu’il reste de la forêt équatoriale (c’est complètement absurde), ou qu’il soit décidé que l’homme n’a pas à produire, en contrepartie d’un confort consumériste, des produits qui tueront au hasard et en masse pendant 3 millions d’années (c’est encore absurde)… Mais si cela arrivait, toutes ces énormes sociétés humaines agrégées en sociétés multinationales et accessoirement  en états, perdraient leur cohérence de court terme, la raison de leur agrégation : d’autres se créeraient aussitôt, de tailles minuscules, et… La suite ne serait pas absurde, elle serait ce qu’elle serait, dans son imprévisibilité.  Qui voudrait tenter de la raconter?

139. L’argument vrai : excellence humaine ?

Comment un groupe social, par l’intermédiaire de sa hiérarchie, peut-il décider d’infléchir la règle qui le régit ? Parce qu’il y est obligé à cause de circonstances extérieures (un tremblement de terre, un changement de climat, une pollution, une épidémie) ; soit à cause d’un rapport de forces externe (invasion militaire ou économique par un autre groupe humain,  ou contrainte diplomatique  avec l’invasion ou l’étranglement économique comme menace) ; soit le rapport de forces interne a changé (manifestations, rébellions, grèves, barricades, revendications) . Dans tous ces contextes, les discours de toutes les parties (remarquablement différents) ont un point commun : ils sont empreints de stratégie. Ils reflètent une réalité « tribale » en ce sens qu’ils représentent (souvent avec sincérité) un groupe de pression. Dans cette situation nouvelle et difficile, l’argument vrai se confond avec l’argument utile. L’argument vrai, c’est celui qui fait gagner la partie à celui qui l’utilise. Toute autre considération est secondaire : dans la relation humaine, le « vrai » a un sens tribal. Tous les avocats vous le diront en privé, et aucun homme politique ni aucun chef de grande entreprise, car ceux-là sont toujours en représentation et l’idée d’une expression « sincère » ne leur convient que si elle contient des « bons » arguments, c'est-à-dire qui les confortent dans leur position économique et sociale. Au contraire, les « mauvais » arguments sont ceux qui contiennent une menace pour eux-mêmes. Evidemment, dans ces conditions, on travaille sur le court terme  avec une conscience courte. C’est gênant pour la grande réputation d’excellence de « La Démocratie », vous ne pensez pas ? Et de l’excellence humaine ?

140. L’indépendance économique individuelle.

Il apparaît bien qu’une conscience élargie, porteuse d’élévation d’esprit par exemple ou porteuse de la simple prise en compte du « temps long », ne peut surgir que chez l’individu qui en aurait le loisir, c'est-à-dire qui ne serait pas trop esclave économiquement.  Elle ne viendra jamais du groupe lui-même, ni de ses hiérarques, ni évidemment de leurs intellectuels appointés qui luttent tous les jours, comme les autres, pour être au top niveau de la reconnaissance sociale.

141. Profil d’un intellectuel.

Moi, je suis un intellectuel appointé. C'est-à-dire que je vends mon savoir et ma capacité de recherche au plus offrant en échange d’un salaire, de primes, et d’une  reconnaissance sociale les plus élevés possibles, c'est-à-dire qu’au bout du compte j’obtiendrai peut-être une chronique dans un grand média. Pour cela j’ai appris le discours tribal, qui me valorise par une judicieuse présentation de l’argument que j’expose avec autorité. C’est de la science, c’est du solide dans notre civilisation et dans beaucoup de nos cultures.  Par ma bouche elle devient vraie. Devant un interlocuteur puissant,  J’utilise « l’opposition constructive et critique » : ainsi il voit mes quenottes et a tout le loisir de considérer le grand intérêt pour lui de finalement m’embaucher, pour que je lui serve de faire-valoir. Que mon discours tribal-intellectuel évolue de 180 degrés la semaine prochaine, puisque j’ai changé d’employeur, cela n’a pas d’importance de fond. Je sais déjà quelles autres études scientifiques je pourrai faire-valoir : ma conscience est à l’abri, et mon très cher corps d’homo-sapiens est  habillé de soie. Mes confrères ? Qui s’inquièterait d’une dispute de spécialistes ? Mon plan est parfait.

Vous me connaissez tous, en sciences si vous êtes scientifiques, en procédés de fabrication si vous êtes dans une industrie, en religion si vous êtes acteurs de religions, en politique si vous êtes des scientifiques-politologues, en ministre et en conseiller si vous en connaissez, en philosophie si vous avez appris les programmes des  philosophies, en économie si vous êtes économiste, en …

142. Pensées hors norme : pas de garde fou.

La naissance d’une conscience élargie chez l’individu, cela n’a pas de sens : elle se construit sans sens, forcément, dans toutes les directions puisqu’elle dépasse la conscience collective et n’y trouve donc pas les garde-fous qui évitent l’égarement aux membres du groupe. Comment trouver des références quand on quitte le cocon de l’idéologie sociale ? Là se trouve la véritable invention, qui permette de se garantir de la construction d’une autre idéologie, différente de celle que l’on quitte certes, mais qui risque de se révéler aussi courte ! La différence n’est pas gage de meilleure vérité. Comment faire ? Dans l’article 127 je parlais de modestie, de compréhension, de fierté et de ténacité… Je ne vois pas d’autre fil conducteur. Si ce que je trouve n’est pas modeste, c’est que je cherche à me faire valoir socialement. Si ma pensée manque de compréhension, c’est que je ne tiens pas compte des autres individus vivants. Si je n’ose finalement pas penser (je manque de fierté), c’est que je ne suis pas capable de penser par moi-même : je m’arrête aux garde-fous que me montre ma société. Si j’oublie ce que j’ai commencé, c’est que je suis suffisamment bien dans une pensée dominante que je rejoins en définitive…

143. Le scientisme, l’éthique et le marché.

Le scientisme, plus personne n’y croit. Il s’agit d’une doctrine qui s’est implantée au 19ème siècle, quand l’idéologie dominante a assimilé la découverte scientifique à une application utile à l’homme (entendez, l’occidental masculin). On sait aujourd’hui que toute découverte scientifique génère des applications qui peuvent être « positives » au moins dans l’immédiateté d’un siècle, et d’autres « négatives ». Le choix d’une application selon l’un des deux termes, positif ou négatif, dépend d’un seul facteur : le marché (le marché est la seule culture mondiale). En effet « l’éthique », sorte d’ectoplasme de consistance aussi diverse qu’il y a de cultures différentes dans notre civilisation, est un produit idéologique à l’usage de nos penseurs appointés. Elle alimente la palabre mais ne compte pour rien dans les décisions économiques finales, qui sont fonction du seul marché. Le marché, évidemment, fonctionne sur le temps court, et une conscience étroitement spécialisée en une certaine finance et en une certaine analyse macroéconomique. La « réussite humaine » se confond avec la réussite commerciale de « produits ». Cela concerne à priori l’atome, la biologie humaine, animale et végétale, la chimie militaire et civile, l’électronique et ses applications dans la traçabilité individuelle et idéologique, l’aéronautique, l’armement classique, les transports etc. Vous auriez des idées à échanger sur la question ?

144. Collusion hiérarchique.

La technologie, science appliquée, est vantée chaque jour par les responsables de l’organisation des sociétés, c'est-à-dire les politiques et leurs commanditaires multinationaux. Les uns comme les autres ont la conscience de leurs intérêts immédiats : parlez-leur d’une échelle de temps qui dépasse leur mandat, ou qui dépasse le temps commercial d’un produit et sa corrélation avec le versement escompté de dividendes aux actionnaires, et ils se sentent menacés. Alors ils utiliseront toutes les armes de leur position dominante pour vous abattre, vous les millions d’individus qui voient leurs ficelles : silence médiatique ou pire, coups médiatiques tous azimut le temps d’orchestrer une bonne polémique (que l’on appelle pluralisme), et plus personne n’est capable de se structurer la moindre idée sur une question.  L’instabilité économique individuelle, (« la flexibilité ») c’est un excellent moyen aussi de castrer intellectuellement les populations : on n’a plus  cinq minutes dans la journée pour réfléchir à autre chose que sa spécialité, il faut agir, avec obligation biologique d’utiliser le temps libre pour « se distraire », sinon on ne tient pas le coup. Vous êtes bien au courant, vous le vivez tous les jours.  Quand à ceux qui n’ont pas envie, ou pas la capacité mentale (innée ou acquise) de voir les ficelles, s’ils ont un capital ils ont tout le loisir de se tailler une place dans les circuits commerciaux et d’assurer leur trois fonctions vitales agrémentées d’une parade sociale à laquelle ils ne renonceraient jamais : c’est le sens de la vie en conscience courte… Mais peut-être que c’est le bonheur ?

145. Quitter le corps ?

Il existe chez l’individu le germe d’une conscience ineffable, qui ne serait pas dû à un manque d’assouvissement d’une de ses fonctions primordiales d’être vivant.  Il doit être possible de le trouver et d’échanger parfois le cheminement de cette recherche. Pour cela, force est dans un premier temps de procéder par élimination, en descendant avec attention l’homme de son piédestal. Procéder par élimination, ce n’est pas condamner, car dans ce cas la démarche consisterait à créer un groupe de « bons penseurs », une nouvelle tribu, ce qui rejoint le mode de fonctionnement instinctif de l’homme agrégé en sociétés. La pensée individuelle désintéressée est donc nécessaire, et son partage ne peut se faire que par paliers en évitant la palabre, car celle-ci est un rapport de forces dont l’histoire est remplie. Quitter le rapport de forces, c’est quitter le corps, quitter les corps agrégés en sociétés et leurs ciments d’organisation: dématérialiser l’idée d’une application matérielle tournée vers l’utile. Cela ne « sert » donc à rien, c’est inutile. Voilà le premier palier. Quitter l’utile, quitter l’utilitaire. Cela existe déjà, c’est le sens d’une partie de la recherche scientifique fondamentale, d’une partie de la recherche artistique, d’une partie de la recherche philosophique. Séparer la connaissance, l’idée et la création d’une quelconque application… Ce n’est évidemment pas dans les mœurs et requiert pour l’individu beaucoup de vigilance, une faculté aussi de s’extraire des cultures qui correspondent à son groupe social. Peut-être la liberté de l’homme se trouve-t-elle là, chez l’individu ? Vous pensez que c’est possible ?

146. L’absurde est une sensation.

La vision de l’absurde est un déclencheur. Par exemple, un adolescent songe à la mort comme le font les adolescents. Il s’amuse incroyablement avec une moto. Les sensations les plus fortes naissent en accélérant à fond en virage, en doublant là où il y a juste assez d’espace entre deux voitures qui se croisent. C’est limite, c’est grandiose. Et s’il survit jusqu’à la vieillesse, il s’en rappellera encore avec nostalgie sur son lit de mort. Ayant connu cette sensation  il se demande à quoi bon chercher à remplir sa vie en attendant la mort. Mais quelqu’un l’a vu et lui parle : aussitôt il détecte l’intérêt par le jugement. Il s’entend dire qu’il est con d’être comme il est, il est fou. Sous entendu, l’autre se trouve bien mieux car plus raisonnable : il ne s’aperçoit  même pas que s’il abaisse l’adolescent en question, c’est pour s’élever, lui,  au moins dans sa propre estime.  Il fait partie des gens biens. Rentré chez lui, l’adolescent voit ses parents. Ils sont inquiets car leur enfant représente leur immortalité. Ils ne le formulent pas comme cela, l’adolescent non plus, mais ce qu’il  sait, c’est qu’il refuse d’être la continuation de son père qu’il connait trop bien, et de sa mère, dont il pense avoir fait le tour. Cette vie là ? Jamais. Elle n’a pas de sens. Il voudrait trouver autre chose, entre deux sensations… Sa cérébralité est un chaos, où peut-être il entrevoit l’absurde… Que peut-il arriver alors ?

147. Du chaos nait l’idée ?

La trouvaille ne vient pas d’une réflexion structurée : elle vient du chaos, par intuition. (Mais bon sang, et si c’était…)  Après, évidemment, il est nécessaire de la comparer à ce que l’on voit, ce que l’on entend, lit, et reçoit des autres êtres vivants et de la constitution de la matière. Alors, s’il en reste quelque chose, il est possible de poursuivre. En fait, la découverte de cette « conscience courte » chez soi et chez les autres vivants, conduit à une marginalité sociale. Mais elle supprime aussi  l’inquiétude qui se situe aux marges cette  conscience.  Un chemin cérébral se trace peu à peu en même temps que surgit comme malgré soi une sensation d’apaisement. Par intuition aussi,  c’est elle, si elle perdure, qui montre que cette recherche n’est pas un égarement.

Fin de ce carnet.

6 juillet 2008

Les règles et les hiérarchies

138. Cette conscience collective, « conscience courte », se construit dans le groupe, et elle construit le groupe, les deux termes évoluant en symbiose au fil des évènements. Elle obéit à tellement de règles constitutives qu’elle peut être, littéralement, n’importe quoi (l’histoire nous l’a assez enseigné), pourvu qu’à court terme, quelques heures, quelques jours, quelques années, elle permette le confortement des  hiérarchies humaines en place : en effet, quand la règle change, la hiérarchie change et c’est une révolution. Prenons un exemple amusant : admettons, hypothèse d’école, qu’une règle change  dans le grand groupe social où nous nous trouvons en 2008, et que soit  donnée soudain de l’importance  à l’individu-animal (c’est absurde), ou que soit donnée de l’importance à ce qu’il reste de la forêt équatoriale (c’est complètement absurde), ou qu’il soit décidé que l’homme n’a pas à produire, en contrepartie d’un confort consumériste, des produits qui tueront au hasard et en masse pendant 3 millions d’années (c’est encore absurde)… Mais si cela arrivait, toutes ces énormes sociétés humaines agrégées en sociétés multinationales et accessoirement  en états, perdraient leur cohérence de court terme, la raison de leur agrégation : d’autres se créeraient aussitôt, de tailles minuscules, et… La suite ne serait pas absurde, elle serait ce qu’elle serait, dans son imprévisibilité.  Qui voudrait tenter de la raconter?

139. L’argument vrai : excellence humaine ?

Comment un groupe social, par l’intermédiaire de sa hiérarchie, peut-il décider d’infléchir la règle qui le régit ? Parce qu’il y est obligé à cause de circonstances extérieures (un tremblement de terre, un changement de climat, une pollution, une épidémie) ;  soit à cause d’un rapport de forces externe (invasion militaire ou économique par un autre groupe humain,  ou contrainte diplomatique  avec l’invasion ou l’étranglement économique comme menace) ;  soit le rapport de forces interne  a changé (manifestations, rébellions, grèves, barricades, revendications) . Dans tous ces contextes, les discours de toutes les parties (remarquablement différents) ont un point commun : ils sont empreints de stratégie. Ils reflètent une réalité « tribale » en ce sens qu’ils représentent (souvent avec sincérité) un groupe de pression. Dans cette situation nouvelle et difficile, l’argument vrai se confond avec l’argument utile. L’argument vrai, c’est celui qui fait gagner la partie à celui qui l’utilise. Toute autre considération est secondaire : dans la relation humaine, le « vrai » a un sens tribal. Tous les avocats vous le diront en privé, et aucun homme politique ni aucun chef de grande entreprise, car ceux-là sont toujours en représentation et l’idée d’une expression « sincère » ne leur convient que si elle contient des « bons » arguments, c'est-à-dire qui les confortent dans leur position économique et sociale. Au contraire, les « mauvais » arguments sont ceux qui contiennent une menace pour eux-mêmes. Evidemment, dans ces conditions, on travaille sur le court terme  avec une conscience courte. C’est gênant pour la grande réputation d’excellence de « La Démocratie », vous ne pensez pas ? Et de l’excellence humaine ?

140. L’indépendance économique individuelle.

Il apparaît bien qu’une conscience élargie, porteuse d’élévation d’esprit par exemple ou porteuse de la simple prise en compte du « temps long », ne peut surgir que chez l’individu qui en aurait le loisir, c'est-à-dire qui ne serait pas trop esclave économiquement.  Elle ne viendra jamais du groupe lui-même, ni de ses hiérarques, ni évidemment de leurs intellectuels appointés qui luttent tous les jours, comme les autres, pour être au top niveau de la reconnaissance sociale.

141. Profil d’un intellectuel.

Moi, je suis un intellectuel appointé. C'est-à-dire que je vends mon savoir et ma capacité de recherche au plus offrant en échange d’un salaire, de primes, et d’une  reconnaissance sociale les plus élevés possibles, c'est-à-dire qu’au bout du compte j’obtiendrai peut-être une chronique dans un grand média. Pour cela j’ai appris le discours tribal, qui me valorise par une judicieuse présentation de l’argument  que j’expose avec autorité. C’est de la science, c’est du solide dans notre civilisation et dans beaucoup de nos cultures.  Par ma bouche elle devient vraie. Devant un interlocuteur puissant,  J’utilise « l’opposition constructive et critique » : ainsi il voit mes quenottes et a tout le loisir de considérer le grand intérêt pour lui de finalement m’embaucher, pour que je lui serve de faire-valoir. Que mon discours tribal-intellectuel évolue de 180 degrés la semaine prochaine, puisque j’ai changé d’employeur, cela n’a pas d’importance de fond. Je sais déjà quelles autres études scientifiques je pourrai faire-valoir : ma conscience est à l’abri, et mon très cher corps d’homo-sapiens est  habillé de soie. Mes confrères ? Qui s’inquièterait d’une dispute de spécialistes ? Mon plan est parfait.

Vous me connaissez tous, en sciences si vous êtes scientifiques, en procédés de fabrication si vous êtes dans une industrie, en religion si vous êtes acteurs de religions, en politique si vous êtes des scientifiques-politologues, en ministre et en conseiller si vous en  connaissez, en philosophie si vous avez appris les programmes des  philosophies, en économie si vous êtes économiste, en …

142. Pensées hors norme : pas de garde fou.

La naissance d’une conscience élargie chez l’individu, cela n’a pas de sens : elle se construit sans sens, forcément, dans toutes les directions puisqu’elle dépasse la conscience collective et n’y trouve donc pas les garde-fous qui évitent l’égarement aux membres du groupe. Comment trouver des références quand on quitte le cocon de l’idéologie sociale ? Là se trouve la véritable invention, qui permette de se garantir de la construction d’une autre idéologie, différente de celle que l’on quitte certes, mais qui risque de se révéler aussi courte ! La différence n’est pas gage de meilleure vérité. Comment faire ? Dans l’article 127 je parlais de modestie, de compréhension, de fierté et de ténacité… Je ne vois pas d’autre fil conducteur. Si ce que je trouve n’est pas modeste, c’est que je cherche à me faire valoir socialement. Si ma pensée manque de compréhension, c’est que je ne tiens pas compte des autres individus vivants. Si je n’ose finalement pas penser (je manque de fierté), c’est que je ne suis pas capable de penser par moi-même : je m’arrête aux garde-fous que me montre ma société. Si j’oublie ce que j’ai commencé, c’est que je suis suffisamment bien dans une pensée dominante que je rejoins en définitive…

143. Le scientisme, l’éthique et le marché.

Le scientisme, plus personne n’y croit. Il s’agit d’une doctrine qui s’est implantée au 19ème siècle, quand l’idéologie dominante a assimilé la découverte scientifique à une application utile à l’homme (entendez, l’occidental masculin). On sait aujourd’hui que toute découverte scientifique génère des applications qui peuvent être « positives » au moins dans l’immédiateté d’un siècle, et d’autres « négatives ». Le choix d’une application selon l’un des deux termes, positif ou négatif, dépend d’un seul facteur : le marché (le marché est la seule culture mondiale). En effet « l’éthique », sorte d’ectoplasme de consistance aussi diverse qu’il y a de cultures différentes dans notre civilisation, est un produit idéologique à l’usage de nos penseurs appointés. Elle alimente la palabre mais ne compte pour rien dans les décisions économiques finales, qui sont fonction du seul marché. Le marché, évidemment, fonctionne sur le temps court, et une conscience étroitement spécialisée en une certaine finance et en une certaine analyse macroéconomique. La « réussite humaine » se confond avec la réussite commerciale de « produits ». Cela concerne à priori l’atome, la biologie humaine, animale et végétale, la chimie militaire et civile, l’électronique et ses applications dans la traçabilité individuelle et idéologique, l’aéronautique, l’armement classique, les transports etc. Vous auriez des idées à échanger sur la question ?

144. Collusion hiérarchique.

La technologie, science appliquée, est vantée chaque jour par les responsables de l’organisation des sociétés, c'est-à-dire les politiques et leurs commanditaires multinationaux. Les uns comme les autres ont la conscience de leurs intérêts immédiats : parlez-leur d’une échelle de temps qui dépasse leur mandat, ou qui dépasse le temps commercial d’un produit et sa corrélation avec le versement escompté de dividendes aux actionnaires, et ils se sentent menacés. Alors ils utiliseront toutes les armes de leur position dominante pour vous abattre, vous les millions d’individus qui voient leurs ficelles : silence médiatique ou pire, coups médiatiques tous azimut le temps d’orchestrer une bonne polémique (que l’on appelle pluralisme), et plus personne n’est capable de se structurer la moindre idée sur une question.  L’instabilité économique individuelle, (« la flexibilité ») c’est un excellent moyen aussi de castrer intellectuellement les populations : on n’a plus  cinq minutes dans la journée pour réfléchir à autre chose que sa spécialité, il faut agir, avec obligation biologique d’utiliser le temps libre pour « se distraire », sinon on ne tient pas le coup. Vous êtes bien au courant, vous le vivez tous les jours.  Quand à ceux qui n’ont pas envie, ou pas la capacité mentale (innée ou acquise) de voir les ficelles, s’ils ont un capital ils ont tout le loisir de se tailler une place dans les circuits commerciaux et d’assurer leur trois fonctions vitales agrémentées d’une parade sociale à laquelle ils ne renonceraient jamais : c’est le sens de la vie en conscience courte… Mais peut-être que c’est le bonheur ?

145. Quitter le corps ?

Il existe chez l’individu le germe d’une conscience ineffable, qui ne serait pas dû à un manque d’assouvissement d’une de ses fonctions primordiales d’être vivant.  Il doit être possible de le trouver et d’échanger parfois le cheminement de cette recherche. Pour cela, force est dans un premier temps de procéder par élimination, en descendant avec attention l’homme de son piédestal. Procéder par élimination, ce n’est pas condamner, car dans ce cas la démarche consisterait à créer un groupe de « bons penseurs », une nouvelle tribu, ce qui rejoint le mode de fonctionnement instinctif de l’homme agrégé en sociétés. La pensée individuelle désintéressée est donc nécessaire, et son  partage ne peut se faire que par paliers en évitant la palabre, car celle-ci est un rapport de forces dont l’histoire est remplie. Quitter le rapport de forces, c’est quitter le corps, quitter les corps agrégés en sociétés et leurs ciments d’organisation: dématérialiser l’idée d’une application matérielle tournée vers l’utile. Cela ne « sert » donc à rien, c’est inutile. Voilà le premier palier. Quitter l’utile, quitter l’utilitaire. Cela existe déjà, c’est le sens d’une partie de la recherche scientifique fondamentale, d’une partie de la recherche artistique, d’une partie de la recherche philosophique. Séparer la connaissance, l’idée et la création d’une quelconque application… Ce n’est évidemment pas dans les mœurs et requiert pour l’individu beaucoup de vigilance, une faculté aussi de s’extraire des cultures qui correspondent  à son groupe social. Peut-être la liberté de l’homme se trouve-t-elle là, chez l’individu ? Vous pensez que c’est possible ?

146. L’absurde est une sensation.

La vision de l’absurde est un déclencheur. Par exemple, un adolescent songe à la mort comme le font les adolescents. Il s’amuse incroyablement avec une moto. Les sensations les plus fortes naissent en accélérant à fond en virage, en doublant là où il y a juste assez d’espace entre deux voitures qui se croisent. C’est limite, c’est grandiose. Et s’il survit jusqu’à la vieillesse, il s’en rappellera encore avec nostalgie sur son lit de mort. Ayant connu cette sensation  il se demande à quoi bon chercher à remplir sa vie en attendant la mort. Mais quelqu’un l’a vu et lui parle : aussitôt il détecte l’intérêt par le jugement. Il s’entend dire qu’il est con d’être comme il est, il est fou. Sous entendu, l’autre se trouve bien mieux car plus raisonnable : il ne s’aperçoit  même pas que s’il abaisse l’adolescent en question, c’est pour s’élever, lui,  au moins dans sa propre estime.  Il fait partie des gens biens. Rentré chez lui, l’adolescent voit ses parents. Ils sont inquiets car leur enfant représente leur immortalité. Ils ne le formulent pas comme cela, l’adolescent non plus, mais ce qu’il  sait, c’est qu’il refuse d’être la continuation de son père qu’il connait trop bien, et de sa mère, dont il pense avoir fait le tour. Cette vie là ? Jamais. Elle n’a pas de sens. Il voudrait trouver autre chose, entre deux sensations… Sa cérébralité est un chaos, où peut-être il entrevoit l’absurde… Que peut-il arriver alors ?

147. Du chaos nait l’idée ?

La trouvaille ne vient pas d’une réflexion structurée : elle vient du chaos, par intuition. (Mais bon sang, et si c’était…)  Après, évidemment, il est nécessaire de la comparer à ce que l’on voit, ce que l’on entend, lit, et reçoit des autres êtres vivants et de la constitution de la matière. Alors, s’il en reste quelque chose, il est possible de poursuivre. En fait, la découverte de cette « conscience courte » chez soi et chez les autres vivants, conduit à une marginalité sociale. Mais elle supprime aussi  l’inquiétude qui se situe aux marges cette  conscience.  Un chemin cérébral se trace peu à peu en même temps que surgit comme malgré soi une sensation d’apaisement. Par intuition aussi,  c’est elle, si elle perdure, qui montre que cette recherche n’est pas un égarement.

Fin de ce carnet.

4 juillet 2008

Papeteries et nucléaire.

136. A propos, vous savez que l’industrie papetière est extrêmement polluante ? Et que pour avoir le droit de faire fonctionner une usine de papier en Europe il faut lui adjoindre une station d’épuration des eaux sales extrêmement coûteuse en investissement (autant que l’usine de production), mais surtout en fonctionnement ? Evidemment, en Indonésie, pas besoin de station d’épuration, et la main d’œuvre y est 40 fois moins chère, souple, indifférente aux accidents car les autorités y veillent sur place. Et le bois ? Cette matière première pousse à coté, en lieu et place des derniers lambeaux de forêt équatoriale que l’on termine de défricher. Et l’on fabrique aussi dans ces usines des très bons papiers « recyclés », qui sont tellement prisés à cause de l’éthique. Les groupes internationaux qui détiennent l’industrie papetière ont fait le bon choix en délocalisant leur production, surtout qu’ils y ont été invités par les potiches gouvernementales, serviteurs vaniteux et zélés du millier d’empereurs internationaux que compte la planète aujourd’hui. Pour la curiosité, vous pouvez vérifier l’origine des ramettes que vous utilisez pour écrire vos puissants rapports sur le « développement durable ».

137. Nucléaire.

Bien sûr, d’autres groupes internationaux vendent des centrales nucléaires, et cela compense largement le « déficit commercial » causé par les délocalisations des productions « banales ». L’industrie nucléaire, cela ne produit pas de CO², on nous le répète souvent et nous sommes maintenant pénétrés du caractère finalement écologique de cette production si utile pour la production industrielle et le confort de tous. Elle produit aussi tout de même ce qu’on appelle tranquillement des « déchets nucléaires », qui dépassent par leur nocivité l’entendement humain. Cette nocivité ne correspond à aucune décision humaine gestionnaire : C’est que  la capacité de ces produits à tuer en masse tout être vivant d’ordre animal (et humain) se situe hors de notre échelle de temps. Par simple approche (pas besoin de contact) l’action mortelle de certains d’entre eux (les fameux HA-VL, les plus radioactifs et décrits pudiquement comme ayant une activité de « plus de 30 ans », dépasse les 3 millions d’années d’activité létale). Que disent les technocrates ? Que l’on étudie actuellement la possibilité de les stocker dans des containers et des lieux qui seront « sûrs » (sauf mouvements de terrains  et circulation « accidentelle » des eaux naturelles) pendant quelques siècles. Charge aux héritiers de notre civilisation de trouver la stabilité politique ainsi que les moyens techniques et financiers pour  reconnaître ces silos et les reconstruire tous les quelques siècles. Sous peine de mort généralisée dans des régions entières de la planète au hasard des disséminations par les eaux courantes et les poussières dans le vent…  pendant 3 millions d’années. (N’oublions pas que le verre, car ces produits sont  vitrifiés en une pauvre tentative pour les  rendre inertes, est soluble dans l’eau en quelques millénaires). Que met-on en balance face à cette pollution radicale, face à ce sacrifice planifié des générations qui auront la malchance de passer par là où la terre sera mortelle? La suprématie industrielle et financière, et le confort de quelques générations présentes…

Que disent encore les technocrates ? Qu’une future génération de réacteurs permettra d’utiliser ces déchets « à 98% ». Ils disent moins que la recherche fondamentale correspondant à cet espoir technologique n’est pas encore faite, qu’on est seulement en train de construire les machines pour la faire et qu’il y a une certaine probabilité de réussir, impossible à déterminer par avance (la recherche fondamentale n’obéit pas aux désirs des hommes, mais c’est plutôt elle qui les guide).

Et les 2% qui restent, en mettant tout au mieux? Ce n’est pas beaucoup 2%... Sauf que vu la nocivité du produit, la question qu’il pose reste intégralement la même.

L’homme, dans la décision collective, a une conscience courte. Mais il n’est pas tout sur la planète : les êtres vivants qui existeront dans trois millions d’années, la pollution s’étant épuisée, auront finalement de la place pour diverger en espèces nouvelles, qui occuperont les niches écologiques désertées grâce à l’action collective du plus conscient des primates. C’est une consolation ? Non, une règle cosmique qui nous échappe.

Publicité
Publicité
3 juillet 2008

Quel est ton futur?

120. Quel est ton futur ?

L’homme, être vivant, ne montre pas d’usure dans sa motivation instinctive : les vieux et les vielles idées finissent leur temps et disparaissent et sont remplacés par les générations nouvelles, qui se sentent très différentes des anciennes dont elles honorent certaines en faisant, avec cœur, table rase, et en oublient bien vite d’autres. Mais sur le fond, l’action humaine actuelle, si elle est beaucoup plus spectaculaire, est-elle si différente de celle des homo-sapiens du Paléolithique ? Que faisons-nous de nos fonctions primordiales d’êtres vivants ? La nourriture, la reproduction, la défense de l’espace de vie, bref, la croissance individuelle et collective ? Nous les avons sophistiquées, intellectualisées, technicisées, démultipliées, c’est certain. Ce faisant nous n’avons pourtant pas il me semble, trouvé à apaiser l’inquiétude métaphysique primordiale,  à la limite de la conscience, formulée et reformulée à toutes les époques : quel est mon futur ?

121. Mon futur proche ? Il est présent.

Mon futur proche, pas de problème : j’ai de quoi m’occuper largement et les journées n’ont que 24 heures pour conquérir mon bonheur ou  celui des autres, et parfois en jouir.  Ma vérité en quelques sortes. Mais l’autre futur, celui « des siècles et des siècles » ? Cette éternité expliquée à ces grands turbulents qui ne pensent qu’à transgresser les règles d’une société que moi, chef tribal, je dois préserver au jour le jour pour assurer ma situation et celle des gens qui comptent pour moi, grands et petits, avec ce plaisir intestin que j’éprouve tous les jours à exercer mon pouvoir ?

122. Une motivation désintéressée, c’est possible ?

Avec conscience, il doit y avoir autre chose à trouver qui brise le cercle enfermant de l’application des fonctions instinctives. D’aucun diront que ce « quelque chose » se trouve dans la motivation plutôt que dans une action objective. Je peux  tenter l’expérience de penser et d’agir de façon désintéressée.  Par exemple en soignant des malades pauvres qui même guéris ne serviront jamais à quoi que ce soit d’utile dans la société, et ne seront capable d’aucune reconnaissance, que de toute façon je ne recherche pas.  Pourquoi pas ? Ce serait très original, et  très rare (quand ce n’est pas destiné à se faire bien voir d’une base électorale, ou à gagner son paradis, c'est-à-dire se donner bonne conscience courte,  sans être nullement empêché,  par ailleurs, de mener les plus belles actions de prédation qui  enrichissent et  donnent honneur, bonheur et considération, comme dans les systèmes de contention des pauvres mis en place par les religions et les républiques laïques).

123. La pauvreté, un préalable ?

Le désintéressement…  Mais où cette expérience peut-elle conduire l’individu qui la tente, à part d’y laisser sa chemise et  devenir pauvre comme ceux qu’il aura soignés? Tenter de sortir du cercle instinctif de croissance de l’être vivant, cela conduirait à la pauvreté  et à tous ses inconvénients? Et à abandonner l’idée d’une quelconque « efficacité » ? C’est troublant et il faudrait tenter de trouver d’autres exemples de sortie de l’instinct. Ou alors cette pauvreté serait un nécessaire préalable?

124. Une échelle de valeurs.

On le sait bien, chaque espèce a des instincts différents qui les amènent à des centres d’intérêt et des comportements différents. La sensation de faim conduira la vache à manger de l’herbe. Le lion à chasser et tuer. Pour autant, y-t-il une échelle de valeur entre ces deux actions ? Chasser est-elle une action plus élevée qu’arracher des touffes d’herbe et  tuer incidemment les quelques insectes qui s’y trouvent, en les digérant ? Bien sûr, on dit en général que la chasse est noble car elle requiert de la stratégie, même instinctive : en tous cas l’homme en a fait un art. Mais justement, étant lui-même chasseur et carnivore, l’homme  n’a-t-il pas transposé étourdiment la propre image qu’il a de lui-même dans cette échelle de valeur, étant juge et partie ? Demandera-t-on à l’hirondelle si le vol est une aptitude noble ?

125.  Un regard extérieur, c’est très original.

Le jugement humain, pour les comportements, n’est-il pas très souvent réduit   au : «puisque je sais le faire, c’est ce qu’il y a de mieux» ?  Et si l’homme porte son regard à travers des images qu’il a de lui, est-il capable aussi d’envisager le monde  et les autres vivants avec un regard extérieur, c'est-à-dire, avec sa conscience, de tenter de les comprendre autrement qu’en termes d’espace de jeux qui lui serait dévolus, avec posés dessus des jouets qui lui appartiennent s’ils l’intéressent ou le distraient ? Le lion ne sait pas le faire, avec sa toute petite cérébralité, sa toute petite stratégie, et son tout petit territoire. Et la vache non plus, avec son tout petit cerveau. Au fait, il y a combien d’espèces sur la planète, qui ont leur toute petite appréhension de leur territoire et de leurs minuscules centres d’intérêts ?

126. Le choix animal.

Cette faculté de dépasser la condition de regardeur et d’acteur animal, l’homme doit pouvoir la trouver en lui, et la cultiver. D’ailleurs certains l’on fait, vous avez des exemples en tête, connus ou inconnus. Là se trouve un gisement d’élévation de l’esprit, c'est-à-dire une possibilité de sortie des contingences comportementales d’espèce. Mais ce n’est pas du tout en érigeant en arts des comportements instinctifs ! C’est dérangeant, n’est-ce pas ?

127. Des classements de propagande.

Les hiérarchies des  êtres vivants selon des échelles de valeurs que des hommes ont créées et remaniées en posant les dogmes de son essence divine, puis de sa simple excellence dominatrice, n’a pas de réalité. Elle n’est pas aléatoire, puisqu’elle a un sens, un but d’auto-propagande, pour que le moral soit bon. C’est une construction mentale, un conte, qui sert à fermer les yeux en se rassurant à peu de frais cérébraux. Cela dit, il reste un grand vide à combler : l’arrivée du dernier homme (nous-mêmes) sur la planète il y a 180 000 ans a-t-il un sens particulier en soi ? (Ou l’arrivée de « l’homme », si on considère que les espèces antérieures, Homo habilis et erectus par exemple, ou contemporaine d’Homo sapiens jusqu’à il y a 35 000 ans : Homo neanderthalensis,  ne méritent pas l’appellation « d’homme », mais on peut en palabrer à perte de vue, surtout si l’on estime avoir quelque chose à y gagner). Il y a beaucoup de réponses officielles, convergentes au fond. Mais y a-t-il beaucoup de réponses intimes, c'est-à-dire sans contrainte sociale ?

128. Un programme de rêve.

Alors, l’avènement des hommes a-t-il un sens en soi, qui soit d’une autre essence que les constructions mentales opacifiant cette conscience qui nous gêne tant qu’elle serait capable de nous conduire au désintérêt pour la tribu, au désintéressement tout court, et à la pauvreté ? En tout cas il semblerait intéressant de le trouver, ne serait-ce que par simple curiosité. Et si ce n’est pas un sens, ce pourrait être une connaissance particulière, inexplorée ?  Et peut-être que cette recherche serait apaisante au fond, même s’il n’y a rien à trouver ? (C’est incroyable, il faut toujours se trouver une « raison » pour agir, moi qui parle de désintéressement !) Mais l’apaisement, ce ne serait pas une bonne raison ?

En tout cas Il faudrait de la ténacité devant le vide ainsi déblayé et les quelques rares bribes de concepts avec quoi commencer ; de la modestie pour ne pas nous raconter de nouvelles histoires lénifiantes d’auto-propagande ; de la fierté car il ne s’agit pas d’avoir honte de ce qu’on peut trouver, même si cela risque d’être mal jugé par les groupes sociaux ; et de la compréhension vis-à-vis de ce qui est éloigné de notre savoir-être et de notre savoir-faire, et de notre savoir-penser. Curieux programme, n’est-ce pas ?

129. L’initiative individuelle et le groupe.

Les relations entre le groupe social, l’individu et l’initiative personnelles sont très ambigües. D’abord, il y a une hiérarchie dans le groupe, même dans ceux qui se déclarent « égalitaires ». Dans ce cas la hiérarchie est naturelle. Par exemple, celui qui a une voix qui porte, des gestes ronds et une intelligence tactique aura toute facilité naturelle à prendre un ascendant dans le groupe, par rapport à celui qui a la voix ténue, le geste maladroit, une compréhension et une intelligence des concepts, mais pas de tactique. Bien sûr, la tactique s’apprend, mais elle ne s’applique bien que quand elle est innée, vous le savez bien : si vous n’avez pas le goût des cartes ou des échecs, malgré tous les efforts de vos professeurs, malgré les vôtres, vous arriverez au mieux au stade de  joueur honorable. (Je le sais bien, moi qui ai été obligé d’apprendre les cartes pour ne pas passer pour un sauvage : ces jeux ne conviennent pas du tout à mon genre d’intelligence). Une aptitude à la tactique, un petit quelque chose d’indescriptible, mais très réel, que l’on appelle « charisme », fera d’un individu un redoutable porteur d’initiative. Ces deux caractéristiques, tactique et charisme, sont en très grande partie innées, vous ne croyez pas ?

130. Hiérarchies chevauchantes, opportunités.

Il est bien rare qu’il n’y ait qu’une hiérarchie dans un groupe humain. Il présente, sauf exceptions comme dans un régiment militaire ou une sous-direction administrative (et encore…), un foisonnement de hiérarchies chevauchantes, parallèles, plus ou moins concurrentes. Ces hiérarchies bougent dans le temps comme bougent les combinaisons des pièces d’échec à chaque jeu. Sauf que dans les jeux de stratégie, chacun joue à son tour, et que dans le vrai chacun tente de jouer dès qu’il le peut, à la faveur d’évènements plus ou moins prévus… C'est-à-dire en même temps que les autres joueurs, qui utilisent le même évènement. Par exemple, dans une société banale, un directeur de fort charisme et de forte tactique en est arrivé à cumuler plusieurs directions en fin de carrière. Quand il part à la retraite ou s’il a un accident, dès le déclenchement des effusions obligatoires dans un comportement social civilisé, les stratégies se déploient en même temps que les candidatures : le pouvoir qu’il avait rassemblé dans sa main, être insatiable et modèle de courage que nous n’oublierons jamais, va-t-il de nouveau être scindé ? Mais alors, j’ai enfin ma chance ? D’autres y ont pensé,  je les connais et je dois jouer finement.

131. Le sacrifice.

Même si les hiérarchies auxquelles on peut faire correspondre une classification des fonctions dans un groupe social sont toujours existantes, on peut dire aussi qu’elles ne sont jamais totalement acceptées par les individus. Sauf une exception  extraordinaire qui est le sacrifice individuel. Le sacrifice n’a rien à voir avec la médiocrité d’un type qui stagne dans sa hiérarchie, et qui se contente de son sort : cette exception là est héroïque et exemplaire, car il s’agit de perdre la vie de façon désintéressée, et dans ce cas l’homme est vraiment admirable. C’est assez rare, mais vous connaissez certainement un exemple parmi vos anciennes connaissances.

132. Brasier.

Ce sont les circonstances qui font le sacrifice, et une décision intuitive, immédiate. Personne ne peut dire d’avance qu’il se sacrifiera, même s’il se prépare psychologiquement. (Le plus horrible, si l’on est témoin d’une agression dans le métro, c’est de se trouver en hypoglycémie  en fin de journée, les bras mous et le moral bas,  et de détourner le regard avec les autres témoins… on ne s’en vantera pas). Si je meurs asphyxié en tentant maladroitement de sauver une petite fille du brasier, c’est d’abord parce que les circonstances se présentent, et qu’intuitivement je sais que si je la laisse mourir dans les flammes je ne pourrais de toute façon plus jamais me regarder dans une glace. Ce ne sont pas les règles sociales qui parlent à ce moment, mais celles, instinctives, du « singleton » : je n’ai pas le temps de penser ni de rien formuler mais je « sais » que je dois y aller. Ce faisant, je me place en au quart de seconde dans le groupe des « justes », quelle que soit ma position sociale et l’avenir qui me sera réservé.

133.  Médaille.

Mon désintéressement ne dure pas si longtemps en général, que je refuse la médaille. Même si éventuellement  je déteste le gouvernement et que je n’ignore pas que l’inventeur de cette médaille était une brute tactique et sanguinaire d’empereur, qui a répandu en masse la mort et la désolation, reléguant mon action héroïque à une minuscule anecdote… Le temps est passé (8 générations) et cela m’arrange bien de n’en conserver qu’une légende flatteuse qui contribue à souder le groupe social qu’est la Nation. J’ai donc quitté l’action irréfléchie du « singleton » culturel, pour rejoindre avec honneur mon groupe social et sa hiérarchie, partageant cette médaille avec tous ceux qui l’ont eue.

134. Loin des états major.

Je suis pompier. J’ai l’habitude de risquer ma vie pour secourir des gens en difficulté dans toutes sortes d’endroits incroyables et dangereux. Jamais personne ne me proposera une médaille pour ces actions de désintéressement qui sont normales. Mais je suis aguerri, je suis fier de ce que je fais, et je ne sais pas ce que je pourrais envisager d’autre maintenant à part faire l’instruction des élèves pompiers ? Je suis soldat. J’accepte le risque et j’accepte ma hiérarchie écrasante, tatillonne, prévisible dans son imprévisibilité. Dans ce cadre, je peux développer une camaraderie : une sorte de groupe informel entre quelques individus de même condition. S’il se présente une mission potentiellement mortelle, je sais que celui que les circonstances désigneront parmi mes camarades, donnera sa vie aux autres. Toutes les aventures guerrières, au milieu du carnage et de l’incurie, contiennent un de ces petits coins de ciel bleu qui rappellent ces épisodes héroïques. Ils se construisent hors des hiérarchies, loin des états-majors. Si vous avez connu un théâtre d’opérations, vous avez un tel souvenir ?

135. Contrainte hiérarchique, décision personnelle.

Le kamikaze, bien sûr, fait dont de sa vie pour l’avancée de sa cause.  De même l’esclave d’une fabrique. De même le saint chrétien qui, dans l’empire romain décadent, accepte le risque d’être livré en pâture aux lions du cirque. Son sacrifice est total, pour l’exemple qu’il montre et la victoire de son dieu, près duquel il sera assis dans l’au-delà. (A côté du chef tribal, physique ou virtuel, c’est la place d’honneur. L’honneur, cela se goûte en société ou dans sa représentation mentale). Il est très difficile de faire la part de l’obligation hiérarchique et celle de la décision personnelle dans ces sacrifices.

Je suis ouvrière textile en Malaisie, ou bien ouvrier dans une papeterie en Indonésie. Je suis issu d’une famille de paysans, mais depuis que les marchés ont été envahis par les productions subventionnées des pays riches, ce n’est plus viable et j’ai du émigrer vers la ville.  Je me crève la paillasse pour que les anonymes qui détiennent les actions de la société multinationale qui m’esclavage touchent des dividendes. Mon sacrifice n’est pas consenti, mais je n’ai aucun autre choix sauf la mort. Je ne peux m’y résoudre car mon instinct me dit de survivre quand même. On me dit, entre deux brimades, entre deux menaces de relégation à la mendicité, que c’est pour le bien de l’entreprise.

Je suis soldat. Je ne peux pas refuser d’attaquer la position ennemie, alors que je sais que je ne passerai pas le feu de leurs mitrailleuses. Mais il est hors de question que je désobéisse, car c’est le peloton qui m’attend, et surtout, l’opprobre post-mortem. Alors j’y vais.

Je suis en train de suivre une formation de kamikaze en 2008. J’étais venu par passion. Aujourd’hui je ne sais plus. Je ne pense plus car j’ai des gestes à faire, sans arrêt. Ce n’est pas une danse, c’est une sorte de prière gestuelle, et je ne suis jamais immobile. Et je dois toujours penser aux gestes que j’ai à faire, cette prière gestuelle qui me remplit complètement. Je vois le paradis, cette félicité immortelle. On me l’a appris par cœur et je me le récite. Bientôt, bientôt le paradis.

2 juillet 2008

L'esprit docile.

108. A notre époque on a le droit de presque tout dire  et son contraire. On a le droit de s’insurger, même si certaines précautions sont nécessaires (Moi-même, je prends quelques précautions). Mais le public, de faible curiosité, n’entend pas car il est assourdi, abruti, hagard, sous les assauts audio visuels, ludiques, sérieux-ludiques, à tel point qu’il ne fait pas, en masse, la différence entre la blague et le « sérieux », le vrai et le bidouillé pour rire, ou par propagande, ou les deux. Il n’a pas la ressource de choisir… Ses sources. L’apprentissage tel qu’il a été conçu en application des préceptes d’égalité et de liberté, est obsolète. Dépassé. Il est hors de question, sauf pour une élite qui reste constante, d’apprendre à apprendre, et de se construire un jugement personnel.

109. Vendre, c’est hyper sophistiqué.

Les groupes sociaux-économiques auxquels nous sommes agrégés priment sur l’individu : celui-ci doit apprendre à obéir à des préceptes érigés en religions (dans les grandes écoles notamment, mais aussi dans tous les centres d’apprentissage de plus bas niveau social) : se mettre corps et âme au service intime des empereurs mondiaux, et participer à leurs œuvres de créations de bénéfices immédiats, à leurs formidables guerres féodales (car ils sont en concurrence), et dépenser les riches aumônes qui leurs sont faites. Par exemple, rien qu’en chine, il faudrait une bonne vingtaine de centrales nucléaires neuves, le plus tôt possible, si on veut continuer comme ça. Qui aura le marché ? Moi ! Moi ! Moi ! Allez-y, les gars: IMPOSSIBILITE FORMELLE, CULTURELLE ET PERSONNELLE, D’ESSAYER DE PENSER A AUTRE CHOSE AVANT D’AVOIR GAGNE CETTE BATAILLE. Chaque agent et partenaire de notre groupe est un vecteur de vente et de création de bénéfice. Et vous serez des hommes, vous aurez vos salaires et nous les dividendes à dépenser, c’est pour le bonheur.

Je trouve que ces perspectives humaines, dominantes, sont étroites, et qu’elles ne s’écartent pas du fond d’activité potentiel de tous les êtres vivants, même si elles sont chez nous hyper sophistiquées, hypertrophiées.

110. Temps, remplacement.

Peu importe s’il possède de multiples châteaux-succursales sur la planète, et huit-cent mille fantassins-producteurs et vendeurs, l’empereur doit accroitre son domaine et sa fortune, c’est sa religion qui l’impose : car chaque année, il doit offrir des dons en dividendes et en valeur d’action aux dieux innommables, car anonymes, qui le tiennent dans sa main. Tout le reste est secondaire. Les monothéismes issus de la fixation par l’écriture de mythes et de découvertes sur la nature de l’homme, sont enfin remplacés.

111. Une religion chasse l’autre.

Cet animisme triomphant à notre époque victorieuse, qui consiste à honorer des divinités anonymes par le travail d’une multitude d’individus et l’exploitation (minière) de territoires, montre bien qu’une religion humaine est remplaçable par une autre. Question de temps et de remplacement des générations, d’usure des fidèles et des dirigeants, de changements d’habitudes de croire et de penser, d’opportunités techniques, de peurs. Qui a peur de la mort et de son éternité imagée ? Personne aujourd’hui, on n’y pense pas, elles sont abstraites, prises en charge par des spécialistes cotés en bourse. Je ne miserais pas un centime sur le devenir à moyen terme (quelques siècles) de cette nouvelle religion, ni des autres d’ailleurs, même les plus remuantes. Par contre, je suis certain qu’elles seront remplacées.

112. Des dogmes et des sociétés.

Et justement, qu’est-ce qui peut bien faire que ces dogmes s’installent, puis s’étiolent et soient  remplacés au cours du temps ? Ce n’est pas à cause de la découverte d’une vérité, qui permettrait d’éliminer les erreurs du passé, puisqu’il s’agit de dogmes, c'est-à-dire de « révélations » proclamées par des crieurs publics. En effet : aucun dogme ayant fleuri depuis l’avènement de la cérébralité humaine, résultat collatéral de sa conscience, de son inventivité, ne supporte un examen extérieur. Ils ne supportent que l’adhésion ou le rejet. L’adhésion suscitant l’approbation de ses adhérents, le rejet suscitant la désapprobation. Nous sommes, consubstantiellement à notre conscience courte (celle qui s’arrête aux frontières d’une culture tribale), tributaires (c’est exactement le mot) de telles appartenances, qui ne se définissent que par ce seul autre mot: la croyance. D’ailleurs, pourrait-on supporter de vivre sans croire ?

113. Changement de programme, hérésie.

L’effet de groupe est important dans la vie humaine. L’union fait la force. Les dirigeants parlent d’être ensemble et de rassembler pour agir, sous entendu : avancer (conquérir) dans la direction qui nous conduira au bien, en tous cas au mieux. Le fait qu’on puisse éventuellement soupçonner quelques uns de ces dirigeants se songer d’abord à leur propre « bien », à leur propre croissance dans la société où ils se trouvent à l’aise comme un poisson dans l’eau, n’enlève rien de  la force du slogan. Aux temps de l’inégalité, il s’agissait de rallier, de gré ou de force, et d’obéir. Aux temps de l’égalité il s’agit de rallier et de se conformer aux préceptes dirigeants. C’est très différent et cela revient au même : plus fort que les voisins, dominer, plus puissants et plus riches ? C’est un programme deux cent fois millénaire. Et si nous changions de programme, ce serait une hérésie humaine ? Ou une hérésie pour tout être vivant qui serait, comme nous, vindicatifs de nature ?

114. Au début était le Verbe .

Dans l’histoire d’une genèse, reprise de la tradition orale de façon à ce qu’elle serve l’utilitaire d’une organisation sociale nouvelle, on trouve en substance : « Alors apparut le verbe, et le verbe était Dieu ». Le verbe, c’est la parole, le langage. Il est certain qu’il faut parler le même langage, au sens propre et au sens figuré, pour faire un groupe humain structuré. Et cette superbe réalisation, si difficile à maintenir avec tous ses singletons et ses sous ensembles qui la composent, avait si bonne presse dans les temps anciens que le concept est passé de bouche à oreille de génération en génération. Puis, il a été écrit dans les ouvrages de référence de religions monothéistes.  Mais ce Dieu, à l’origine, n’était-il pas plutôt le groupe constitué, fort, cimenté par un même langage, le dieu de la tribu, sans lequel elle n’existerait pas ?

115. La surrection des dieux.

Les dogmes changent, et les religions aussi, à l’insu de la vie quotidienne : il n’existe pas de monothéisme total. Dès que la pression sociale et pénale se desserre, d’autres dieux osent apparaître, comme spontanément irradiés de nos consciences aux limites mouvantes.

116. Educations.

Un individu qui aurait connu le milieu du 19ème siècle par exemple, ses interdits, ses aspirations dans différents milieux sociaux, aurait été ébahi en visitant la fin du 20ème, avec ses différences d’habitudes de pensées, de vies, de considération des personnes féminines et masculines, des concepts à la mode. Mais, constatons le, des habitudes de pensée et de vie, il y en a toujours chez les hommes. Ce n’est pas leur « qualité » qui compte, c’est leur existence. Par exemple, un musulman intégriste, conditionné socialement pour donner sa dépouille mortelle à la cause de la croissance de la vraie foi, en échange du paradis (c'est-à-dire en échange d’un statut social privilégié dans le groupe humain vivant après la mort, qu’il ne pourrait jamais atteindre autrement), il est inutile d’essayer de lui parler. Il a un langage différent et ne comprendra pas, et on ne le comprendra pas. De plus, sa conscience spécialisée ne peut pas lui permettre d’envisager un autre langage que le sien. Et cet homme là y voit une horreur à abattre en donnant sa vie. Pourtant, c’est un homme comme un autre : plongez-le en bas âge dans une famille moyen-bourgeoise du 19ème siècle en France, et il sera un catholique respectueux du dogme catholique, et des transgressions comportementales que la société autorise aux hommes à cette époque.

117. Des hommes interchangeables ?

Un homme moyen, satisfait de sa conscience courte,  réussira raisonnablement partout où il sera parachuté par la naissance et l’éducation, pourvu que la société, le groupe humain où il atterrit soit bien formé, et qu’il n’ait pas d’accident de chance. Est-ce à dire que les hommes sont interchangeables, alors que des sondages de 1000 personnes sont capables d’indiquer les intentions  et les avis d’une population entière? C’est discutable, vous ne trouvez pas ? Et peut-être que cette interchangeabilité n’existe que dans le foisonnement d’une population, et non pas  à titre individuel ?

118. l’individu et la ruche.

La réunion des êtres humains en groupes structurés font leur puissance. Y-a-t-il un équivalent chez les autres êtres vivants ? La fourmilière ? La ruche ? Ou chaque individu a sa place dans l’organisation commune ? La comparaison ne tient pas : La structure d’une fourmilière d’une espèce donnée est stable. L’individu est condamné à faire les gestes qu’il fait, certes merveilleusement, mais dont l’initiative est calibrée absolument par une règle qu’il ne peut enfreindre volontairement. Il n’en a pas la ressource cérébrale. Les groupes humains sont instables et tributaires de la volonté des individus à ne pas enfreindre la règle qui a été mise en place à la foi volontairement  et sous la contrainte, et qui  a absolument besoin d’être constamment justifiée et réaffirmée : c’est le rôle de tous, chacun à sa place dans la société, dans un contexte d’initiative individuelle toujours possible, quelle qu’elle soit.

119. L’initiative n’a pas de sens déterminé.

L’initiative individuelle, chez l’homme, va dans tous les sens, et souvent vers une transgression. Si les circonstances sont favorables elle trouvera un écho, souvent après bien des vicissitudes, auprès d’autres individus qui vont peut-être se fédérer, au moins mentalement, autour de cette initiative, qui pourra peut-être s’ériger en système de pensée et d’action. Et puis les décennies passent, les siècles, et d’autres initiatives fédérant à leur tour des groupes humains, prennent le dessus et … s’étiolent et disparaissent à leur tour dans l’armoire à rangement de la préhistoire et de l’histoire, sans que l’on perçoive d’usure dans la motivation humaine.  Pendant ce temps la fourmilière, tant que l’espèce donnée perdure, reproduira un même schéma, inamovible, de comportement individuel et collectif, sans que les fourmis s’en inquiètent, il n’y a qu’à voir le cœur qu’elles mettent à l’ouvrage. On ne perçoit pas d’usure dans leur motivation instinctive. C’est le seul point commun avec les sociétés humaines, il me semble.

1 juillet 2008

Les empires contemporains

102. Les empires ont changé à notre époque contemporaine. La civilisation occidentale et son fer de lance idéologique, ont conquis tout l’espace planétaire, même si c’est forcément transitoire à l’échelle historique. A écouter les portes paroles officiels, c’est un bien puisqu’il s’agit du triomphe de la liberté, donc le mot est contenu dans celui de « libéralisme ». En gros, chacun peut se déplacer sans contrainte avec les valeurs qu’il a produites légalement (on a déjà parlé de la relativité, de la plasticité des droits). Les empires qui se sont constitués, héritiers en général des grandes entreprises qui se sont sorties à leur avantage de la première et de la seconde guerre mondiale du 20ème siècle, ont envahi la planète et y édictent leurs règles au sein de leurs unités de recherche, de production et de vente, et au sein de la vie sociale des pays, par les propagandes et les produits qu’ils y vendent. S’il existe 1000 sociétés vraiment mondiales et hyperpuissantes, mille empires, on pourrait dire qu’il y a en 2008 beaucoup plus d’empereurs que dans toute l’histoire humaine, et que chacun de ces empires est beaucoup plus puissant et riche que les anciens empires politiques ! Tiens, cela voudrait-il dire que les empires commerciaux ne sont pas des empires politiques ? Mais si, puisque ce sont eux, avec leurs lobbies, qui font les politiques des « nations ».

103. Barons locaux.

A l’échelle en dessous des empires, les hommes politiques qui « gouvernent » les provinces et les pays, qu’ils appartiennent à la civilisation occidentale ou aux anciennes colonies et protectorats qui lui courent après, ne sont que des barons locaux  qui tergiversent avec les empereurs, en courbant l’échine ou en s’alliant avec eux pour un profit immédiat. C’est logique, ils en dépendent. Et c’est cette logique qu’il est intéressant de décrypter pour une compréhension de l’homme social… Mais non, ce serait faire de la politique, et ce n’est plus à la mode ces derniers temps. Plus à la mode ? Qui peut dire que l’organisation des sociétés humaines, au jour le jour, et sa projection dans un avenir raisonnable (1 à 10 ans maximum) serait une mode ? Elle existe depuis que l’homme existe !

104. L’inégalité de l’Ancien Régime.

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, au 18ème siècle, la politique coulait de source, étant fondée sur l’inégalité. Elle était le fait du prince entouré de ses barons, conseillé par des technocrates qu’il appelait et renvoyait à sa guise. Puis, jusqu’à la fin du 20ème siècle, il a été lourdement question de convoquer, dans les pays civilisés, les peuples à cette activité d’organisation humaine : la politique. Et pour que chacun ait la possibilité d’accéder à l’intelligence commune, on a envoyé tout ce monde à l’école primaire.  Le résultat a été, bon an, mal an, ce que nos sociétés ont montré jusqu’à la fin du 20ème. On pourrait beaucoup en dire. Beaucoup en a été dit, et seuls les vieux et les  retraités sont nostalgiques, car ils ont été trop jeunes pour avoir connu la rudesse des mouvements sociaux pionniers, qui ont réussi à arracher un certain partage des richesses produites, dont ils ont profité (congés, retraites, logement, droit des enfants, sécurité sociale, horaires de travail et de repos, salaire…) (Je ne parle pas évidemment de la morale utilisée pour justifier cette production de richesses, qui s’est beaucoup appuyée sur l’exploitation de territoires et de populations vaincues,  dans des pays moins prêts à l’époque, à la guerre occidentale. Ce n’est pas le sujet).

105. La lutte sociale est éprouvante.

Les mouvements sociaux au 20ème siècle ont été éprouvants : ils passaient par la grève (plus rien à manger), la rébellion (coups de fusils de la garde nationale), la manifestation (batailles sans fairplay avec les milices patronales et la police), le black-out patronal (plus rien à manger), l’interrogatoire policier (je ne fais pas un dessin), la prison (la mise au ban) …

Cette période était aussi celle du dilettantisme de la bourgeoisie, le fleurissement des arts d’élite, et des arts populaires. Et puis la guerre omniprésente, proche ou lointaine, qui remplissait les esprits. L’apprentissage d’une participation des gens à la politique, sous le slogan (l’idéal ?) d’égalité en valeur humaine et de liberté d’agir, a été rude, et a donné ce qu’il a donné. Qui s’en souvient à présent ? Serait-ce aussi loin dans les esprits, aussi abstrait que l’antiquité grecque? Doit-on reléguer le 20ème siècle à quelques jeux intellectuels pour prof d’histoire ?

106. L’espoir d’une vie « plus juste ».

Quand on n’était pas dans un environnement bourgeois au siècle passé, on vivait et on mourait rudement donc, mais avec l’espoir d’une organisation sociale plus « juste », et le summum en a été connu dans le dernier quart du 20ème siècle, alors que déjà un balancement se produisait à l’initiative  des dieux anonymes que vénéraient les nouveaux empereurs. Avec l’avènement des très grands empires mondiaux, les barons locaux que devenaient nos princes élus se sont entourés d’un rempart de technocrates qu’ils convoquent et révoquent à l’initiative de leurs commanditaires multinationaux, et ils affirment « la » politique, comme de jolies marionnettes habillées en costume et en robe, dont on voit bien les ficelles. Est-ce un dévoiement et un malheur ? Pas pour tout le monde sans aucun doute, on le sait  bien dans les milieux que j’ai le bonheur bien compris, de fréquenter.

107. Esclaves ou consommateurs.

Le principe général, le fil conducteur, la cohérence philosophique, l’idéal, pour les empereurs contemporains, leurs dieux anonymes (les actionnaires) et leurs puissants serviteurs (et actionnaires), confortés par leurs sbires armés de technicité, de finance, de force militaire et  paramilitaire, c’est de transformer les peuples, soit en esclaves (producteurs), soit en masse consommatrice (prisonnière de ses désirs), dans le même temps taillables et corvéables à merci. Ils ridiculisent en passant les dirigeants politiques, en leur laissant le petit travail local d’organisation sociale à régler, faire la police des masses consommatrices et de celles des esclaves… sans parler de celle concernant les « inadaptés », qui peut-être voient leurs ficelles et gênent un peu par leurs voix discordantes... Nous sommes actuellement en plein dans ce mouvement de merveille humaine (tout le monde le dit, nos sociétés sont « avancées »), et il convient de parler d’avenir. L’avenir, c’est 2 ans ? C’est 10 ans, 175 ans, 300 ans, 10 millions d’années ?..  Qui veut en parler ?

30 juin 2008

Prisonniers de la conquête.

101. En fait l’homme organisé tend à accroître son domaine, sur lequel il colonise les esprits et assoit sa domination physique et culturelle… Y-a-t-il quelque chose de transcendant, ou pas, dans cette propension toujours vérifiée au cours de l’histoire humaine, à vouloir créer des empires ?  Où l’homme est-il obligé de le faire de par sa constitution propre ? Ce faisant, sort-il de la condition ordinaire d’être vivant, certes affublé d’une grande capacité de réalisations,  ou fait-il simplement une erreur conceptuelle en le croyant?

27 juin 2008

La conquête, la grande affaire.

100. Pourquoi l’homme, organisé en sociétés, cherche-t-il, avec des règles et une morale élastique, différente de celles qui régissent les pacifications internes à sa propre société, à conquérir les territoires physiques et  moraux d’autres sociétés ? Pour la gloire, c’est sûr, et l’édification d’arcs de triomphes dans ses capitales et ses sièges sociaux ; pour la fortune, les peuplades « ne mettant pas suffisamment en valeur » les richesses potentielles de leurs territoires, ce qui est une atteinte à sa morale; pour accroitre sa domination sur un petit bout de planète, puis sur un continent, puis sur la planète toute entière, puis… Et puis quoi ?

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
partage cérébral
  • Blog des idées sans complexes qui élèvent l'esprit. "Pour m'exprimer dans un gisement d'idées interdites en société, je me cache derrière le prête-nom Stéphane Noblet, car c'est un sculpteur dont je sais qu'il restera de marbre si on le questionne."
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité