Tous singletons culturels.
68. Pour me faire plaisir, j’aime juger différemment des jugements dominants : certaines pratiques acceptées, promues, valorisées par la société qui me compte comme membre, la culture qui remplit les 99% de ma vie physique et cérébrale, peuvent me sembler épouvantables. Par exemple (les exemples sont provocants), manger un animal me plonge dans l’horreur, imaginant la panique qu’il a connue devant la mort et pendant l’agonie ; remplir mon réservoir d’essence me plonge dans l’horreur de l’agonie des peuplades qui ont été déplacées, « déshumanisées » (leurs cultures foulées au pied), pour laisser place nette à l’activité d’extraction du combustible brut. Ce sont évidemment des réactions personnelles, cachées, que je ne peux chercher à partager hors de cercles très minoritaires. Dans mon milieu c’est impossible : je passerais pour un sensible, un con en fait, qu’il faudra songer à déboulonner avant qu’il ne pervertisse, par son audience éventuelle, notre culture conquérante, et ne menace des filières entières de l’industrie et de la consommation. Alors quand je le peux, seul, j’envisage un repas sans mort animale : je forme à ces instants un ensemble social d’une seule personne, un groupe d’un seul élément (drôle de groupe, moi-même et mes songes), un singleton en maths. Cela vous arrive-t-il parfois, quelques minutes, de former un singleton culturel, soit physique, soit mental, soit les deux ?